Les coutumes japonaises au fil du calendrier

Le Japon au fil du calendrier : les traditions du mois de mars (« yayoi »)

Culture Histoire Tradition

Mois après mois, de janvier à décembre, de nombreuses anciennes traditions continuent d’imprégner et de rythmer la société japonaise moderne. Accompagné d’illustrations d’époque, penchons-nous en détail sur les coutumes du mois de mars (appelé dans l’ancien calendrier yayoi) et leurs origines.

La fête des poupées hina-matsuri tombe le 3 mars, c’est l’une des cinq fêtes saisonnières du calendrier japonais, avec le jour de la majorité (jinjitsu, le 7 janvier), la fête des garçons (tango, le 5 mai), la fête des étoiles (tanabata, le 7 juillet) et la fête des chrysanthèmes (chôyô, le 9 septembre). On l’appelle également jôshi, ou fête des pêchers.

Son origine remonte à la Chine des Trois Royaumes (220-280). On disait alors que les fleurs de pêcher éloignaient les mauvais esprits et la coutume voulait que l’on se purifie le jour du serpent, au début du 3e mois.

Ce rite a été introduit au Japon, où il a été coutume de faire porter ses impuretés ou ses malheurs à des poupées que l’on lâchait au fil de l’eau. On trouve encore trace de ces nagashi-bina (poupées filant sur l’eau) dans certaines régions des préfectures de Nara et de Tottori.

Dès les débuts de la période Heian (794-1185), afin de conjurer le mauvais sort, les aristocrates de Kyoto ont fait du 3 mars un jour dédié à la santé des enfants. Cette pratique s’est étendue à l’ensemble de la population pendant l’époque d’Edo (1603-1868) pour devenir l’actuel hina-matsuri.

Jusqu’à l’époque d’Edo, on célébrait sans distinction filles et garçons lors des fêtes de jôshi et de tango, il était de coutume lors de ces deux journées de se réjouir de la croissance de tous les jeunes enfants. Mais comme les fleurs de la famille des iris (shôbu) fleurissent en mai et que ces joncs odorants étaient associées aux faits militaires et aux arts martiaux, ce jour est progressivement devenu une fête dédiée aux garçons, quand le jôshi s’est retrouvé consacré aux filles.

Au mitan de l’époque d’Edo, dans l’« Almanach illustré, Edo au prisme des estampes ukiyo-e » (Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijiki), on présente ainsi la fête des poupées, hina-matsuri :

« Dès le 2 au soir dans les résidences bourgeoises, les fillettes habillées de kimono de fête offraient pour l’occasion à leurs proches de l’alcool de riz (shiro-zake) et des mets arrangés dans des boîtes à plusieurs niveaux. Les poupées hina ont peu à peu gagné en magnificence. »

C’est à dire qu’au fur et à mesure, elles sont devenues de plus en plus voyantes.

Le shogunat d’Edo a bien tenté de mettre un frein à cette escalade en interdisant l’ostentation. Pendant les réformes Kansei (1787-1793), la fabrique de grandes poupées a fait l’objet d’une régulation. Mais autrefois mla mortalité infantile sévissait beaucoup plus que maintenant, les parents n’ont pu réprimer cette envie de célébrer la santé et la croissance de leurs enfants. Ce souhait, conjugué à un sens esthétique et à un artisanat de la poupée si spécifique aux Japonais a permis que se développe cette fête si sophistiquée.

Cet ukiyo-e du XVIIIe siècle a été peint par Torii Kiyonaga, il est tiré du « Jeux d’enfants aux cinq fêtes, hina-matsuri » (Go-dakara Gosechi Asobi Hina-matsuri). Contrairement aux époques modernes, la poupée masculine (obina) est placée sur la droite, quand la poupée féminine (mebina) se retrouve à gauche. Au niveau médian sont assises les poupées de cinq musiciens au lieu des trois habituelles dames de cour. (Collections du Musée national de Tokyo, Source : Colbase)
Cet ukiyo-e du XVIIIe siècle a été peint par Torii Kiyonaga, il est tiré du « Jeux d’enfants aux cinq fêtes, hina-matsuri » (Go-dakara Gosechi Asobi Hina-matsuri). Contrairement aux époques modernes, la poupée masculine (obina) est placée sur la droite, quand la poupée féminine (mebina) se retrouve à gauche. Au niveau médian sont assises les poupées de cinq musiciens au lieu des trois habituelles dames de cour. (Collections du Musée national de Tokyo, Source : Colbase)

Cette superstition voulant qu’on ne puisse se marier dans l’année si les poupées n’étaient pas rapidement rangées après la fête, n’est apparue qu’au cours de l’ère Shôwa (1926-1989). À l’origine, traîner et ne pas ranger ces décorations étaient simplement un signe, la preuve que la maisonnée était mal entretenue, ce n’est que plus tard que l’idée de compromettre ses chances au mariage est venue se greffer.

La pêche à pied, un passe-temps familial

En mars, les jours de grande marée, quand la mer se retirait loin de la rive, baïnes et larges pans de bancs de sable poignaient dans la baie d’Edo les matins de marée basse. Quand la météo était propice, c’était le meilleur moment de l’année pour la pêche à pied.

Dans la ville d’Edo, Shinagawa, Takanawa (dans l’actuel arrondissement de Shinagawa) et Fukagawa-Suzaki (dans l’actuel arrondissement de Kôtô) étaient les meilleurs sites pour la pêche à pied.

On se rassemblait avant le lever du soleil, puis on embarquait sur de petits bateaux et on ramait vers le large. Enfin, quand à l’heure du lapin (vers 6 heures du matin), la marée commençait à descendre, on débarquait et on ramassait différentes sortes de palourdes (asari et hamaguri). À midi, quand le sable laissait la place aux vasières, quand « le fond de la mer se transformait en terre » (« Almanach de Tokyo », Tôto Saijiki), on se mettait à la pêche aux poissons plats (soles) et autres petites prises. Les embarcations revenaient avec la marée montante

Les enfants tout particulièrement aimaient cette pêche qui était un rendez-vous annuel prisé. On s’y retrouvait pour passer du bon temps en famille. Aujourd’hui, cela reste une activité familiale attirant les amateurs pendant la période de vacances nationales de fin avril-début mai.

Sur cette estampe de Utagawa Hiroshige II, tirée des « Grands sites d’Edo, la pêche à pied à Shinagawa » (Edo Meisho Shinagawa Shio-higari, 1858) on voit une scène de pêche en eaux peu profondes à Shinagawa. (Collections spéciales de la Tokyo Metropolitan Library)
Sur cette estampe de Utagawa Hiroshige II, tirée des « Grands sites d’Edo, la pêche à pied à Shinagawa » (Edo Meisho Shinagawa Shio-higari, 1858) on voit une scène de pêche en eaux peu profondes à Shinagawa. (Collections spéciales de la Tokyo Metropolitan Library)

Les sept châsses portatives (mikoshi) du festival Sanja Matsuri

Le Sanja Matsuri se déroulait à Asakusa les 17e et 18e jour du 3e mois. De nos jours le festival tombe donc en mai, mais à l’époque d’Edo, c’était une fête incontournable du mois de yayoi.

Le Sanja Matsuri était alors très différent de ce qu’il est devenu aujourd’hui. De nos jours le festival relève du sanctuaire shinto d’Asakusa, alors que jadis il était rattaché au temple bouddhiste Sensô-ji. Pendant l’époque d’Edo, le sanctuaire et temple ne faisaient qu’un, le site était unifié dans le un syncrétisme shinto-bouddhiste, mais à la suite de la séparation des cultes qui a eu lieu pendant l’ère Meiji (1868-1912), le temple Sensô-ji est devenu autonome et le festival lui a échappé.

Le clou de l’événement n’était pas la procession de châsses portatives (mikoshi), mais un cortège de chars (dashi).

Les trois mikoshi de l’actuel festival répondent au nom de Ichinomiya, Ninomiya et Sannomiya, mais jadis il y en avait sept dont trois qui avaient été offerts par Iemitsu, le troisième shôgun. Ces trois mikoshi originaux d’Iemitsu étant devenus des pièces de musée, ceux qui étaient utilisés lors du festival avaient été fabriqués ultérieurement à leur image, le septième avait pu être réalisé grâce aux dons des fidèles (ujiko). Malheureusement ces sept mikoshi ont disparu dans les flammes pendant la guerre et trois nouveaux ont été créés après-guerre. (Source : site du sanctuaire d’Asakusa)

Le festival Sanja Matsuri (Pixta)
Le festival Sanja Matsuri (Pixta)

Depuis le début de l’ère Heisei (1989-2019), le Sanja Matsuri a été le théâtre de nombreux événements. Des membres de groupes mafieux arborant force tatouages ont été impliqués dans des échauffourées ayant conduit à des arrestations (pour violation de l’ordre public dans la métropole de Tokyo).

Après une coupure deux ans due à la pandémie de Covid-19, le festival a repris en 2022. On ne peut que souhaiter qu’il se déroule à l’avenir sans anicroches tant il est emblématique des célébrations d’Edo.

Autres dates clés du mois de mars

Nom Date Détails
Dewamari (turnover) 5 mars Jour où les employés arrivent au terme de leur contrat annuel et sont remplacés par leur successeur.
Fukagawa Hachiman Yama-biraki 15 mars Ouverture au public des jardins du temple Eitai, rattaché à la divinité Hachiman.
Hanami Fin mars Ueno et Asukayama sont célèbres pour la floraison des cerisiers.

« Les Grands sites de Tokyo, Cerisiers en fleurs sous la pluie à Sumida-zutsumi » (Tôto meisho Sumida-zutsumi u-chû no sakura, 1831-45), peint par Utagawa Hiroshige I. Les habitants d’Edo semblaient trouver Ueno trop petit et le site d’Asukayama trop éloigné pour aller admirer les cerisiers en fleur. Sumida-zutsumi (à Mukojima, dans l’actuel arrondissement de Sumida) était au contraire très couru. (Collections spéciales de la Tokyo Metropolitan Library)
« Les Grands sites de Tokyo, Cerisiers en fleurs sous la pluie à Sumida-zutsumi » (Tôto meisho Sumida-zutsumi u-chû no sakura, 1831-45), peint par Utagawa Hiroshige I. Les habitants d’Edo semblaient trouver Ueno trop petit et le site d’Asukayama trop éloigné pour aller admirer les cerisiers en fleur. Sumida-zutsumi (à Mukojima, dans l’actuel arrondissement de Sumida) était au contraire très couru. (Collections spéciales de la Tokyo Metropolitan Library)

Bibliographie

  • « Almanach illustré, Edo au prisme des estampes ukiyo-e» (Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijiki, sous la direction Sato Yôjin, édité par Fujiwara Chieko, paru chez Kawade Shobô Shinsha)

(Photo de titre : « La Pêche à pied » [Shio-higari] de Hokusai est une gravure sur bois de type ukiyo-e datant du XVIIIe siècle. Dans cette scène très plaisante, on voit une mère et son enfant prendre du bon temps à la pêche à pied. Collections du Musée national de Tokyo, Source : Colbase.)

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