Les coutumes japonaises au fil du calendrier

Le Japon au fil du calendrier : les traditions du mois d’avril (« uzuki »)

Culture Histoire Tradition

Mois après mois, de janvier à décembre, de nombreuses anciennes traditions continuent d’imprégner et de rythmer la société japonaise moderne. Accompagné d’illustrations d’époque, penchons-nous en détail sur les coutumes du mois d’avril (appelé dans l’ancien calendrier uzuki) et leurs origines.

Célébrer la naissance de Bouddha

Le 8 avril, on célèbre la naissance (la venue en ce monde, kôtan) du Bouddha historique, Siddharta Gautama. Dans les temples de tout le pays on installe alors un petit dais (hana-midô) décoré de fleurs et abritant une statuette. On appelle ce rite Kanbutsu-e ou Hana Matsuri (qui signifie « Fête des fleurs ») car différentes sortes de pivoines (botan, shakuyaku) et d’iris (kakitsubata) sont utilisées en décoration.

Ce nom de « Hana Matsuri » a été forgé pendant l’ère Meiji (1868-1912) par des prieurs de l’école bouddhiste Jôdo Shinshû qui pensaient que la vue de ces fleurs délicatement colorées apaisait l’âme des fidèles. Cette appellation est ensuite restée attachée à la fête.

« Almanach de la capitale de l’Est, l’Été » (Tôto saijiki, Natsu no bu) et son dais hana-midô. On distingue sur l’image une statuette de Bouddha dont la base en forme de soucoupe contient du thé, les fidèles en versent sur l’effigie à l’aide d’une petite louche (hishaku). (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)
« Almanach de la capitale de l’Est, l’Été » (Tôto saijiki, Natsu no bu) et son dais hana-midô. On distingue sur l’image une statuette de Bouddha dont la base en forme de soucoupe contient du thé, les fidèles en versent sur l’effigie à l’aide d’une petite louche (hishaku). (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Comme le montre l’illustration ci-dessus, au centre du hana-midô, dont la base est concave, se trouve une effigie du Bouddha venant de naître. Les fidèles versent du thé d’hortensia (amacha) sur la statuette pour figurer le premier bain donné rituellement au nourrisson (ubuyu). La croyance veut que ce thé soit bon pour la santé des enfants et éloigne les maux de tout à chacun.

À l’époque d’Edo, on rapportait un peu de ce thé chez soi, on l’utilisait pour dissoudre la pierre à encre avant de calligraphier « Go Dairiki Bosatsu », ce qui signifie littéralement « Cinq Grands Bodhisattvas ». La calligraphie était ensuite placée dans le coffre où les vêtements étaient rangés. Cette coutume se serait répandue, car on pensait que cette forme de mantra pouvait protéger les habits des mites et autres nuisibles. (« Almanach illustré, Edo au prisme des estampes ukiyo-e » (Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijiki, paru chez Kawade Shobô Shinsha).

Le Kanbutsu-e a lieu tous les ans dans les temples de tout le Japon. Si la date du 8 avril est privilégiée (pour respecter les anciens calendriers), certaines régions l’organisent en mai pour profiter de la floraison et donner tout son lustre à cette fête des fleurs.

Effervescence autour de la première bonite de l’année

Yamaguchi Sodô, poète né en 1642, a composé le célèbre haïku « Vert feuillage alentours / Coucou dans les cimes / Toutes premières bonites » (Me-ni aoba / yama-hototogisu / hatsu-gatsuo). Ce poème raconte combien les habitants d’Edo attendaient avec impatience la première bonite de la saison.

« Primeur, vous avez dit primeur? Tout à sa fougue, “Bonite ? Bonite !” dit-il en s’affairant. » (Hatsu to ifu ji wo / isami de / katsuoka katsuoka to hashiri-yuku)

Ce haïku écrit par Issa (1763-1828) nous décrit l’entrain d’un poissonnier qui vient de faire l’acquisition de sa première bonite et qui, fougueux, parcourt la ville en poussant sa harangue. Autour de lui c’est l’effervescence. Car les toutes premieres bonites de la saison étaient si délicieuses qu’« il fallait en manger à tout prix, quitte à devoir mettre sa femme en gage ».

En effet, les coûts des primeurs étaient si élevés qu’on en aurait mis quelqu’un en gage. En 1812, un restaurant de luxe a acheté trois bonites pour 2 ryô et 1 bu (soit environ 405 000 yens actuels), un montant absolument inabordable pour le commun des mortels.

Mais en attendant un peu, les prix baissaient et on pouvait acheter une bonite pour 250 bu (environ 7 500 yens). Si ce montant restait très onéreux pour le quidam de base, cela commençait à créer des attroupements chez les femmes de la bourgeoisie, comme on peut le voir sur l’image proposée en début d’article.

« Celui qui vend de la bonite est intraitable avec les riches » écrit Jippensha Ikku (1765-1831) dans son « Pèlerinage aux Six Amida - Journal de Voyage, Edo, aller-retour dans la journée » (Rokuamida-môde - Edo no higaeri tabi-nikki). Ce trait d’esprit témoigne bien de ce que le petit peuple désargenté pensait de ce commerce.

Foule sous les glycines au sanctuaire de Kameido Tenjin

Pendant Edo, la folie des ventes estivales commençait au mois d’uzuki.

Les marchands de moustiquaires et de poissons rouges débarquaient alors dans la capitale, leur présence était indissociable de cette période de l’année.

(À gauche) « Le vendeur de poissons rouges, Cent historiettes » (Kingyo-zukushi, Hyakumonokatari), dans cette image à la composition originale, Utagawa Kuniyoshi nous montre un chat à l’affût épiant des poissons dans une vasque. Source : colbase. (À droite) Un vendeur ambulant de moustiquaires. Image tirée des « Petits métiers illustrés » (Shokunin zukushi e-kotoba). (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)
(À gauche) « Le vendeur de poissons rouges, Cent historiettes » (Kingyo-zukushi, Hyakumonokatari), dans cette image à la composition originale, Utagawa Kuniyoshi nous montre un chat à l’affût épiant des poissons dans une vasque. Source : colbase. (À droite) Un vendeur ambulant de moustiquaires. Image tirée des « Petits métiers illustrés » (Shokunin zukushi e-kotoba). (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Les moustiquaires protégeant des insectes étaient très demandées pour préparer l’arrivée de l’été. Les vendeurs arpentaient les rues en battant le rappel de leur clientèle de leur cri : « Moustiquaires ! Moustiquaires vertes ! »

De leur côté les vendeurs de poissons rouges criaient « Medaka ! Poissons rouges ! » et les enfants s’attroupaient.

On aimait aussi aller admirer les fleurs de glycine. Les badauds affluaient sur le célèbre site de Kameido Tenjin et de nos jours encore, le rendez-vous attire les foules. Le site internet du sanctuaire indique qu’on peut y voir plus de 50 pieds de glycine qui fleurissent tous au même rythme, dégageant ce parfum si doux qui embaume tant.

(À gauche) Les glycines du sanctuaire Kameido Tenjin (appelé autrefois Tenman-gû) de Hiroshige. Image tirée des « Trente-six vues de la capitale de l’Est » (Tôto Sanjûrokkei). (À droite) « Glycines et bergeronnette » (Fuji, Sekirei) de Katsushika Hokusai. La bergeronnette est un oiseau de la famille des moineaux. (Source : colbase)
(À gauche) Les glycines du sanctuaire Kameido Tenjin (appelé autrefois Tenman-gû) de Hiroshige. Image tirée des « Trente-six vues de la capitale de l’Est » (Tôto Sanjûrokkei). (À droite) « Glycines et bergeronnette » (Fuji, Sekirei) de Katsushika Hokusai. La bergeronnette est un oiseau de la famille des moineaux. (Source : colbase)

Rien n’a changé depuis Edo. Dans les « Grands sites d’Edo, les fleurs au fil du calendrier » (Edo meisho hana-goyomi) qui recense les meilleurs endroits de la capitale pour admirer les fleurs selon les saisons, on peut lire : « Au plus fort de la saison, les eaux de l’étang semblent se teinter de mauve. »

Jadis, des maisons de thé s’installaient sous les glycines. On pouvait y déguster leur célèbre plat de coquillages à base de nariha-shijimi. Naruhira est le nom du pont qui enjambe le fleuve Sumida et les petits coquillages (shijimi) ressemblant à des palourdes pêchés à cet endroit avaient la réputation d’être délicieux. Qu’elle nous semble lointaine, cette époque où la Sumida était un lieu de pêche…

En avril, on troquait ses habits chauds pour des vêtements plus légers. En ville, cela ne concernait en fait que les samouraïs, car les roturiers qui ne possédaient rien d’autre que ce qu’ils avaient sur le dos n’avaient guère le loisir de changer de tenue.

Cette coutume de changer de tenue viendrait de la cour impériale, quand au 1er jour du 4e mois l’empereur changeait de lieu de résidence, il optait alors pour des habits non doublés de coton, pratique que les samouraïs durent imiter.

En ville, c’est tout un paysage qui alors se transformait quand les samouraïs déambulaient dans leur tenue estivale. Autant de petits détails qui laissaient présager de la venue de l’été.

Bibliographie

  • « Almanach illustré, Edo au prisme des estampes ukiyo-e » (Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijiki, sous la direction Sato Yôjin, édité par Fujiwara Chieko, paru chez Kawade Shobô Shinsha)
  • « Faire ses comptes à Edo » (Edo no zeni-kanjô) Yamamoto Hirofumi, paru chez Yôsensha.

(Photo de titre : « Le mois d’avril » (U no hanazuki) de Utagawa Toyokuni III. Des bourgeoises sont attroupées autour de l’étal d’un poissonnier venu vendre sa marchandise dans un quartier résidentiel. On le voit préparer un poisson, lever les filets qu’il s’apprête à vendre. Ces scènes croquées dans les quartiers résidentiels de la capitale étaient souvent traitées dans les estampes ukiyo-e de l’époque. Collections spéciales de la Tokyo Metropolitan Library)

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