Les coutumes japonaises au fil du calendrier

Le Japon au fil du calendrier : les traditions du mois de juin (« minazuki »)

Tradition Culture

Mois après mois, de janvier à décembre, de nombreuses anciennes traditions continuent d’imprégner et de rythmer la société japonaise moderne. Accompagné d’illustrations d’époque, penchons-nous en détail sur les coutumes du mois de juin (appelé dans l’ancien calendrier minazuki) et leurs origines.

Le mont Fuji, son culte et ses artefacts

Jadis, quand la ville n’était pas tant hérissée de gratte-ciel, il était facile à Edo d’apercevoir le mont Fuji au détour d’une ruelle. Dans l’actuel Tokyo, le toponyme de Fujimi-zaka qui signifie littéralement la butte (saka ici prononcé zaka) d’où l’on peut voir (mi) le Fuji en témoigne.

Le mont Fuji faisait l’objet d’un culte. Les habitants aimaient certes à le contempler, mais beaucoup rêvaient surtout de pouvoir en faire l’ascension. Or, à l’époque une telle expédition était coûteuse, hors de portée des bourses d’un citoyen ordinaire.

C’est ainsi que furent érigés des artefacts, de petits monticules représentant le mont Fuji. Plus besoin d’aller jusqu’au volcan, on pouvait se recueillir devant ces petits tumulus, agrémentés parfois de bloc de lave provenant effectivement du Fuji. Le premier jour du 6e mois, tous se rassemblaient devant ces tertres appelés Fujizuka, pour célébrer la date rituelle marquant l’ouverture de la saison. À compter de ce jour, il redevenait permis de se rendre en montagne et sur le mont Fuji. (Voir également notre article : Les petits monts Fuji de Tokyo)

À Edo, le plus ancien des tertres représentant le mont Fuji se trouve à Takata-no-Fuji. De nos jours encore on peut le contempler dans l’enceinte du sanctuaire Mizu-inari (dans l’arrondissement de Shinjuku). « Souvenirs d’Edo illustrés » (Ehon edo miyage), Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.
À Edo, le plus ancien des tertres représentant le mont Fuji se trouve à Takata-no-Fuji. De nos jours encore on peut le contempler dans l’enceinte du sanctuaire Mizu-inari (dans l’arrondissement de Shinjuku). « Souvenirs d’Edo illustrés » (Ehon edo miyage), Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.

On peut trouver des tertres similaires dans plusieurs quartiers de Tokyo. Citons le Shinagawa Fuji (dans le sanctuaire de Shinagawa), Otowa Fuji (dans le temple de Gokoku-ji) ou encore Sendagaya Fuji (dans le sanctuaire de Hatomori Hachiman). Qu’ils soient situés dans des lieux sacrés prouve qu’ils faisaient bien l’objet d’un culte. Après s’être recueillis, les dévots faisaient souvent l’acquisition d’un porte-bonheur en forme de serpent réalisé avec de la paille tressée (mugiwara-ja), qu’ils plaçaient ensuite dans leur demeure, car ce talisman était censé protéger des maladies et des épidémies.

Aux pieds de l’enfant, on distingue un serpent en paille tressée (cerclé de rouge). « Sixième mois, aller se recueillir au Fuji » (Minazuki fuji-san), Collections du musée des coutumes locales de l’arrondissement d’Adachi.
Aux pieds de l’enfant, on distingue un serpent en paille tressée (cerclé de rouge). « Sixième mois, aller se recueillir au Fuji » (Minazuki fuji-san), Collections du musée des coutumes locales de l’arrondissement d’Adachi.

Tenka matsuri, l’opération « prestige » du shogunat

Minazuki, c’est aussi le mois des festivals d’été. Les plus somptueux de ces « Tenka matsuri » comme il était alors coutume de les appeler, étaient sans doute le festival Tennô, à Kanda Myôjin, le principal sanctuaire shinto d’Edo, ou le festival Sannô Gongen au sanctuaire Hie.

Le shogunat tenait à être le mécène de ce festival pour des questions de prestige car ces célébrations devaient pouvoir prouver qu’Edo valait bien Kyoto et qu’il n’avait rien à envier aux fastes de la cour impériale. La procession de chars pénétrait dans l’enceinte du château d’Edo par la porte Hanzômon et avançait jusqu’au shôgun qui les regardait défiler. Le festival de Tenno se déroulait du 5e au 14e jour du 6e mois et le festival de Sannô Gongen le 15e jour du 6e mois (du calendrier lunaire).

La procession de chars (dashi) et de châsses portatives (mikoshi) constituait le point d’orgue du festival aux décorations flamboyantes. « Issu d’un rite agraire (...), le festival visait originellement à honorer les déités, mais les habitants d’Edo lui ont donné une toute autre tournure. Devenu une pratique absolument ostentatoire et chamarrée, le festival a alors été l’occasion aux hommes et aux dieux de communier et de se réjouir ensemble. » (« Illustrations légendées. Edo au fil du temps vu par l’ukiyoe», Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijiki).

Mais assurer le déroulement de deux « Tenka matsuri » par an pesait lourd sur les finances du shogunat, alors à partir de 1681, les festivals sont devenus bisannuels.

Illustration figurant la procession (nerimono) du festival Tennô au sanctuaire Kanda Myôjin avec ses chars et châsses portatives. « Procession du Festival de Kanda » (Kanda Gosairei Banduke), Collections spéciales de Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo.
Illustration figurant la procession (nerimono) du festival Tennô au sanctuaire Kanda Myôjin avec ses chars et châsses portatives. « Procession du Festival de Kanda » (Kanda Gosairei Banduke), Collections spéciales de Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo.

Manger de l’anguille le « jour du bœuf »

La coutume de manger de l’anguille le « jour du bœuf » au creux de l’été a pris racine à l’époque d’Edo. La période estivale appelée doyô correspond aux 18 jours précédant le premier jour de l’automne, la coutume voulait qu’on mange alors de l’anguille. De nos jours, on en déguste de la fin juillet à début août, mais dans l’ancien calendrier, le début de l’automne tombait à la fin du 6e mois, minazuki était donc le mois de l’anguille.

À Edo en 1852, on a pu répertorier plus de 200 petits restaurants portant l’enseigne « Anguille grillée à la mode d’Edo » (Edo-mae Dai-kabayaki).

(Voir également notre article : « Doyô no ushi no hi » : comment les Japonais ont coutume de déguster de l’anguille en plein été)

Palmarès des restaurants d’« Anguille grillée à la mode d’Edo » (Edo-mae Dai-kabayaki Banzuke) de 1852. À l’instar des lutteurs de sumo, les meilleurs recevaient le titre d’ôzeki. Collections spéciales de Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo.
Palmarès des restaurants d’« Anguille grillée à la mode d’Edo » (Edo-mae Dai-kabayaki Banzuke) de 1852. À l’instar des lutteurs de sumo, les meilleurs recevaient le titre d’ôzeki. Collections spéciales de Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo.

On pourrait donc penser que le jour du bœuf, tous les restaurants seraient sur le pont à faire des affaires, pourtant à Daikokuya, le grand ôzeki de l’ouest et à Kandagawa, le maegashira en fin de première division, les portes restaient closes. Il fallait être assez tordu et faire preuve d’un fort esprit de contradiction (heso magari) pour fermer un jour de forte affluence, gage de bonnes recettes. Mais cette posture était tout à fait typique, car montrer qu’on ne se laisse pas faire faisait aussi partie du pur esprit d’Edo. Toujours pour filer la métaphore du sumo, les restaurants Owada faisaient eux office d’arbitre (gyôji), donc de vétéran bien installé. En effet, chaîne avant l’heure, on comptait pas moins de dix restaurants Owada en ville, ces établissements faisaient référence en la matière, ils étaient la vitrine de la profession.

L’inventeur du « jour de l’anguille » serait Hiraga Gennai, mais aucun document n’est jamais venu confirmer cette thèse. Il existe d’autres pistes, le mouvement aurait pu être lancé par Zenbei, le propriétaire du célèbre restaurant d’anguilles Harukiya, ou popularisé par Ôta Nampo, un écrivain des années 1780, qui aurait utilisé le terme de « jour du boeuf à la veille de l’automne » (doyô no ushi no hi) dans un de ses poèmes satiriques (kyôka). Mais rien n’est vraiment clair.

Un rite qui remonte au livre du Kojiki

Le dernier jour du 6e mois, il était coutume de célébrer un rite de purification appelé le nagoshi no harae. Au mitan de l’année, on confectionnait des cercles de chaume suffisamment grands pour qu’une personne puisse y passer debout, qu’on installait dans l’enceinte des sanctuaires. On pensait que passer dans le cercle permettait de se purifier en se débarrassant des soucis et des malheurs accumulés pendant les six premiers mois de l’année.

Cercle de chaume. Illustration tirée de « Cent vues du mont Fuji » (Fugaku hyakkei). Collections de la bibliothèque de la Diète nationale.
Cercle de chaume. Illustration tirée de « Cent vues du mont Fuji » (Fugaku hyakkei). Collections de la bibliothèque de la Diète nationale.

Certains sanctuaires proposaient des katashiro, cette pratique consiste à écrire son nom et son nom sur un morceau de papier de forme humaine. Ce « substitut » chargé des maux du fidèle était ensuite brûlé au sanctuaire afin que le croyant recouvre la santé.

Ce rite viendrait de la pratique dite de grande purification (ô-harae), que l’on retrouve déjà dans les pages de la « Chronique des faits anciens » (Kojiki, VIIIe) au moment où Izanagi no Mikoto, s’adonne à des lustrations à son retour des enfers où il est allé chercher son épouse et soeur.

Le terme de nagoshi a deux graphies, on utilise celle qui signifie arrière-saison, ou fin de l’été, mais l’expression viendrait de l’idéogramme utilisé pour dire « apaisement (de la colère d’un dieu emporté) ». Sachant que koshi-goshi dans sa forme verbale koeru peut également vouloir dire « passer (outre, au-delà) » et « être au-dessus des conflits », le vocable permet d’indiquer à la fois que les saisons et que les humeurs passent.

Aux alentours du 30 juin, il n’est pas rare de nos jours encore de voir ces cercles de chaume purificatoires dans les sanctuaires.

D’autres traditions de juin

Nom Date Description
Kajô 16 juin Jour des sucreries (que l’on mange après les avoir dédiées aux dieux), notamment au château d’Edo.
Marché aux physalis 23-24 juin Le marché aux physalis (hoozuki vendus en pot et en tant que plante médicinale) du sanctuaire Atago.

Bibliographie indicative

  • « Illustrations légendées. Edo au fil du temps vu par l’ukiyoe » (Zusetsu Ukiyoe ni miru Edo no Saijiki, sous la direction de Satô Yôjin revu par Fujiwara Chieko, paru chez Kawade Shobo Shinsha)
  • « Edo en bref, en dessins et en infographies, Donner à voir le petit peuple d’Edo » (Sarai no Edo : CG de yomigaeru edo-shomin no kurashi, Shogakukan)

(Photo de titre : procession du festival Sannô Gongen au sanctuaire Hie. L’illustration tirée de « Capitale de l’Est : Vue de la procession au Festival du sanctuaire Hie » [Tôto Hie Ôkami-sairei Nerikomi no Zu], Collections spéciales de la Bibliothèque centrale de la métropole de Tokyo.)

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