Le manga et l'anime deviennent des marques
La passion du sushi à travers les mangas
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Un monde de traditions
Chaque pays a un plat qui symbolise sa culture et ses traditions. Au Japon, c’est sans aucun doute le sushi. Cette façon de former des boulettes de riz vinaigré qu’on garnit de poissons ou fruits de mer reflète parfaitement l’esprit de l’Archipel.
Lorsque le président américain Barack Obama s’est rendu en visite officielle au Japon en 2014, il a été invité à déguster le menu du chef du restaurant Sukiyabashi Jirô, dans le quartier Ginza de Tokyo. Le chef, Ono Jirô, premier maître sushi à avoir obtenu trois étoiles au guide Michelin, a même fait l’objet d’un documentaire, Jiro Dreams of Sushi, en 2011. Cependant, le sushi à prix exorbitants qu’on sert de nos jours aux chefs d’états a des origines populaires. Il s’agissait au départ de mets de restauration rapide pour le peuple, et les kaiten sushi, où les petites assiettes de sushis à bas prix défilent sur un tapis roulant, restent très populaires.

Le 23 avril 2014, le Premier ministre japonais Abe Shinzô invite le président américain Barack Obama à dîner au restaurant Sukiyabashi Jirô. (Avec l’aimable autorisation du Bureau de relations publiques du Cabinet ; © Jiji)
Ce mets est devenu le thème de nombreuses séries de manga, donc nous en présentons quelques-unes ici.
Les origines du sushi
Le sushi, sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui (nigiri-zushi), voit le jour dans la ville d’Edo au XVIIIe siècle. Le série Sushi Ichi ! d’Ogawa Etsushi décrit le quotidien des maîtres sushi de l’époque. Le quartier des sushis, Sushi Yokochô (aujourd’hui dans l’arrondissement tokyoïte de Sumida) abritait des restaurants chics mais aussi des stands ambulants.
Notre héros, Taisuke, tient le restaurant Nanohana Sushi. Affublé du sobriquet « Shippû Taisuke » (Taisuke la bourrasque), c’est un garçon bien dans sa tête, aimable et très talentueux. Il est ainsi tout aussi adepte à manier les cœurs des gens que les couteaux de cuisine.
À l’époque, les eaux au large d’Edo grouillaient de poissons, fournissant les habitants en nourriture fraiche. C’est toutefois grâce à un changement dans l’environnement et l’arrivée d’un nouvel assaisonnement que le sushi a vu le jour.
De nos jours, la véritable star du sushi est le thon (maguro). C’est dans la première moitié du XIXe siècle qu’un changement dans les courants marins de la Mer du Japon a pu générer des prises de thon plus importantes le long des côtes. Considéré trop gras et difficile à stocker dans le passé, ce poisson était le plus souvent utilisé comme engrais. Mais sa conservation a été grandement améliorée grâce l’arrivée d’une nouvelle variété de sauce soja à forte teneur en sel dans la région du Kantô. Le thon mariné dans la sauce soja, puis pressé à la main sur du riz vinaigré, est à l’origine du sushi. Ce mets commence à remplir les estomacs des ouvriers d’Edo.

De gauche à droite : akami, chûtoro et ôtoro. Ces noms indiquent de quelle partie du poisson provient le morceau, et sa richesse en matière grasse. (© Pixta)
À première vue, le sushi de base parait bien simple, avec une garniture (neta) posée sur une boulette de riz appelée (shari). La préparation demande néanmoins une grande habileté. Quand la boulette de riz est formée, il faut qu’elle ait assez de substance pour garder sa forme à la présentation, mais se défasse aussitôt en bouche. C’est donc un équilibre entre le solide et le friable qui exige une grande compétence.
Le manga Edomae sushi shokunin Kirara no shigoto (« Le travail de Kirara, maître sushi à Edo », scénario de Hayakawa Hikari et illustrations de Hashimoto Kozô), suit l’apprentissage de la jeune Kaidô Kirara.
Au Japon, la gastronomie est par tradition un monde d’hommes, mais ayant appris les bases du sushi toute jeune de son grand-père, Kirara est déjà maîtresse dans l’art de préparer les boulettes de riz selon la méthode hontegaeshi, et ses sushis ont idéalement la forme d’un éventail ouvert (appelé jigami). Le riz est doux et aéré, et même si les ingrédients proviennent d’un bar à sushis tournant, ses mets sont aussi bons voire meilleurs que n’importe quel sushi de Ginza. Et si elle se fait offrir un travail aux conditions imbattables dans ce quartier, Kirara préfère poursuivre son rêve de préparer des sushis pour le plus grand monde, pas uniquement pour l’élite. Elle choisit ainsi de décliner la proposition et de continuer sa voie pour pouvoir un jour reprendre le restaurant de son grand-père, qui avait succombé à une maladie cardiaque.
La référence du manga sur les sushis
Apprendre le métier de shokunin (artisan) de sushi demande un long et laborieux apprentissage, qui demande une technique hors-pair mais aussi un caractère irréprochable. C’est un peu comme dans le sumo : un grand lutteur yokozuna doit allier force et dignité.
Le manga Shôta no sushi, de Terasawa Daisuke, qui est considérée la réference dans le genre, décrit de manière détaillée l’acheminement pour acquérir ce savoir-faire.
La famille de Sekiguchi Shôta gère Tomoe, le restaurant de sushis de son quartier à Otaru, sur l’île de Hokkaidô. Mais l’arrivée d’un concurrent important met le commerce en péril. Dans l’espoir de sauver l’affaire familiale, Shôta participe à un concours de sushi. C’est là où son travail et sa détermination attirent l’attention de Ôtori Seigorô, un célèbre chef de Tokyo, qui invite Shôta à devenir son apprenti une fois le collège terminé. Son rêve est de devenir le meilleur maître sushi du Japon et de faire du restaurant familial le plus prisé du pays.
Devenir apprenti ne signifie pas de commencer tout de suite à donner forme aux boulettes shari. Selon un vieux dicton, un apprenti commence par passer trois ans à apprendre à préparer le shari. Cuire le riz parfaitement demande déjà un long apprentissage.
Durant sa première année, Shôta est commis de cuisine, faisant surtout le ménage et la plonge. On lui permet ensuite de préparer les ingrédients et même de cuisiner l’omelette sucrée tamagoyaki. Acquérir l’habilité pour commencer à former les sushis prend déjà sept à huit ans. Pendant ce temps, il n’y a aucun cours. La base de la formation est de comprendre en regardant. Les apprentis doivent profiter des pauses dans leur travail pour observer les maître sushi chevronnés au travail.

Il existe des méthodes différentes pour former les boulettes de riz. Le manga Shôta no sushi présente plusieurs techniques infaillibles. (© Pixta)
L’apprentissage du sushi est extrêmement rigoureux. On raconte comment certains nouveaux-venus à Sukiyabashi Jirô abandonnent dès le premier jour. Shôta croule sous le travail mais son rêve de changer le sort de son restaurant familial le soutient.
En dehors de ses tâches quotidiennes, Shôta travaille à approfondir ses connaissances. Il se rend au marché aux poissons à l’aube pour s’entraîner à reconnaitre la qualité des produits. Il rend visite à des personnes qui peuvent lui apprendre comment mieux préparer le shari. Il ne dort parfois que deux heures par nuit, mais certains le soutiennent et ses progrès sont rapides.
« Un entraînement sévère développe l’esprit autant que la technique » et « pour devenir un artisan de premier ordre, il faut allier savoir-faire et cœur » sont deux préceptes sur lesquels le jeune homme se base. Cette approche trouve sans doute ses origines dans la philosophie du bouddhisme zen qui dit que l’homme évolue en s’essayant à toutes les tâches et que même celles les plus ingrates font partie de l’apprentissage.
Shôta no sushi diffuse également des connaissances de base, comme par exemple le fait que le riz nouvellement récolté n’est pas adapté à la préparation du shari, et qu’il vaut mieux utiliser du riz plus vieux.
Les temps évoluent mais l’esprit du sushi reste le même
La première publication en série de Shôta no sushi remonte à 1992. Le monde a bien changé depuis et le sushi est devenu un mets consommé dans de nombreux endroits de la planète. Il semblerait que la rigueur de la formation de Shôta ne soit plus adaptée au XXIe siècle. Aujourd’hui, on entend même dire les tâches ingrates du quotidien ne servent uniquement qu’à fournir une main-d’œuvre à bas prix aux restaurants. Ce n’est donc guère étonnant de constater que les jeunes ne souhaitent plus entreprendre de telles formations.
Il existe désormais des écoles spécialisées qui enseignent les techniques du sushi. Leur raisonnement est de dire qu’il est bien plus efficace d’apprendre en essayant les techniques qu’en observant les maîtres. L’argument n’est pas sans fondement… Alors, l’idée qu’il faudrait un entraînement rigoureux pour développer l’esprit et l’humanité est-elle toujours d’actualité ? Un apprenti plus âgé que Shôta, Saji Anto, le prend en grippe et saisit toutes les occasions pour lui faire du mal. Le personnage est certes bien vilain, mais lui aussi cherche à maîtriser l’art de préparer des sushis. Et grâce aux rigueurs de l’apprentissage, il finit par se transformer en un homme droit et respecté. C’est un beau témoignage.
En même temps que les sushis haut-de-gamme, la version peu onéreuse sur tapis roulant se répand aussi à travers le monde. Beaucoup de personnes pensent qu’au lieu de demeurer une expérience quasi-mystique, le sushi devrait être un plaisir abordable, permettant aux amateurs de rentrer sans façons dans un restaurant et prendre plaisir à empiler des plats.
Même aujourd’hui toutefois, il existe encore des artisans qui ont été enrichis par leur formation, qui se lèvent aux aurores afin de débusquer les plus beaux morceaux aux marchés aux poissons pour leurs clients, et qui passeront des heures à préparer les ingrédients. C’est l’existence de tels artisans dévoués qui donne son cachet au sushi. Garder cette notion en tête en le dégustant rajoute un je-ne-sais-quoi à la saveur de chaque bouchée.
(Photo de titre : [gauche à droite] Shôta no sushi a paru dans l’hebdomadaire Weekly Shônen de 1992 à 1997, suivi de Shôta no sushi zenkoku taikaishû, de 1997 à 2000, et puis Shôta no sushi 2 World Stage, de 2013 à 2015. Photo de Nippon.com)