Le Japon terre d’accueil des cultures du monde

Thanh Ha : une pure cuisine vietnamienne née dans une cité HLM multiculturelle de Yokohama

Gastronomie Tourisme

On trouve beaucoup d’établissements proposant des cuisines étrangères au Japon, mais l’on se demande parfois ce qui a mené ces restaurateurs à s’installer sur une île aux confins de l’Asie. Nous vous emmenons justement à la rencontre de Thanh Ha, une Vietnamienne à la vie tumultueuse, arrivée sur l’Archipel il y a 30 ans. Elle a ouvert son restaurant du même nom dans un complexe de logements sociaux en bordure de la ville de Yokohama, où le « vivre ensemble » n’est pas toujours de tout repos.

Une adresse de cuisine ethnique à ne pas manquer

Le pho, soupe typique vietnamienne au bœuf et aux nouilles dont se dégage une nuée blanche, arrive à ma table. J’ai rajouté beaucoup de coriandre avant de goûter au bouillon qui s’est avéré tellement riche tout en étant délicat... Et à la première bouchée de viande, mes baguettes ne se sont plus arrêtées. J’étais en sueur et tout mon corps en redemandait.

Selon Thanh Ha, qui a donné son nom au restaurant, c’est le bouillon qui fait le pho. C’est en faisant mijoter à feu doux du bœuf, du porc, du poulet et des légumes pendant dix heures qu’elle arrive à obtenir ce goût original de sa ville natale, Saigon (Hô Chi Minh-Ville aujourd’hui). L’association du côté croquant de la coriandre et des pousses de soja avec les pâtes moelleuses ravit les papilles.

La diversité ethnique croissante du Japon d’aujourd’hui fait que le nombre de sympathiques restaurants proposant des cuisines venues d’ailleurs a énormément augmenté. Thanh Ha en est un parfait exemple. On n’a qu’à ouvrir la porte coulissante pour avoir l’impression d’être au Vietnam, malgré le irasshai ! (bienvenue !) éraillé de la propriétaire. L’arôme de la coriandre, si représentatif de la cuisine vietnamienne, remplit les narines, et les étagères le long des murs remplies de produits alimentaires vietnamiens offrent un charme supplémenaire.

Thanh Ha est en même temps un restaurant et une épicerie vietnamienne. (© Fuchi Takayuki)
Thanh Ha est en même temps un restaurant et une épicerie vietnamienne. (© Fuchi Takayuki)

La clientèle est très diversifiée. À part les convives vietnamiens, j’aperçois aussi des Japonais amateurs de cuisine ethnique, ainsi qu’un Américain accompagné d’une Philippine, sans doute un marin de la base navale américaine et sa petite amie. Ils ne se gênent pas pour ouvrir le réfrigérateur et se servir en bière vietnamienne Saigon. Ce sont sans doute des habitués.

De nos jours, les restaurants vietnamiens ne sont plus rares au Japon, mais peu d’entre eux peuvent se vanter d’un accueil aussi authentique que Thanh Ha, ce qui est lié à son emplacement. Le restaurant se trouve au cœur d’Ichô, le complexe de logements sociaux le plus multiethnique du Japon.

Le « vivre ensemble » compliqué dans une cité ouvrière

Les premiers étrangers sont arrivées à Ichô dans les années 80. La zone est immense avec ses 80 tours qui s’étendent du quartier Izumi de la ville de Yokohama jusqu’à la ville de Yamato. Un centre pour la promotion de résidents permanents a été mis en place à Minami Rinkan, dans la ville de Yamato, en 1980 pour soutenir les demandes de résidence des réfugiés du Vietnam, Laos, Cambodge et autres pays du Sud-Est asiatique fuyant les guerres civiles et crises politiques de leur pays. Beaucoup d’entre eux se sont installés à Ichô et les étrangers, venus de dix pays différents, représentent aujourd’hui 20 % de la population du complexe. En quelque sorte, Ichô a ouvert la voie vers l’internationalisation du Japon.

Le complexe HLM d’Ichô a ouvert ses portes en 1971. C’est le plus grand complexe résidentiel de la préfecture de Kanagawa, et le plus multiculturel de tout le pays. Des panneaux multilingues prolifèrent à travers la cité. (© Fuchi Takayuki)
Le complexe HLM d’Ichô a ouvert ses portes en 1971. C’est le plus grand complexe résidentiel de la préfecture de Kanagawa, et le plus multiculturel de tout le pays. Des panneaux multilingues prolifèrent à travers la cité. (© Fuchi Takayuki)

Endô Takeo habite le complexe depuis 1973 et a été dans le passé le président de l’association des locataires. Il travaille depuis de nombreuses années à promouvoir une bonne entente entre les résidents japonais et étrangers qui s’y trouvent.

« J’ai eu beaucoup de contact avec les soldats américains après la guerre et je suis curieux des cultures étrangères, alors j’ai commencé à échanger avec les résidents étrangers sans que personne ne me le demande. Tout ça a démarré grâce à l’équipe de foot vietnamienne. »

En 2006, l’équipe de foot vietnamienne de la cité s’est qualifiée pour les éliminatoires de la ligue japonaise vietnamienne de football, qui devaient avoir lieu à Ichô. Des équipes vietnamiennes de tout le Japon y ont débarquées. En jouant « chez eux », l’équipe d’Ichô a remporté la victoire, et les jeunes l’ont bien fait savoir en célébrant dans les rizières à proximité du complexe... Des voitures de police sont rapidement arrivées sur place suite à des plaintes de locataires.

C’est Endô qui a apporté son aide aux jeunes footballeurs en ces moments difficiles. Il raconte : « J’ai eu pitié d’eux et je leur ai proposé de se servir de la salle de réunion. Ils étaient ravis et c’est comme ça que nos échanges ont commencé. »

À l’époque, il y avait pas mal de disputes entre les résidents japonais de la cité et les étrangers qui faisaient trop de bruit en sortant les poubelles ou mettaient de la viande à sécher sur leurs balcons. Et lorsqu’il y avait des plaintes, c’est vers Endô que l’on se dirigeait, car il pouvait facilement servir de médiateur. Un jour cependant, il a failli prendre des coups par un résident japonais qui l’accusait de prendre le parti des étrangers. C’est l’intervention de l’un d’entre eux qui l’a sauvé ce jour là.

Endô Takeo a apporté son aide à beaucoup d’étrangers habitant le complexe d'Ichô. Il raconte que c’est désormais le vieillissement de la population qui est problématique. (© Kumazaki Takashi)
Endô Takeo a apporté son aide à beaucoup d’étrangers habitant le complexe d’Ichô. Il raconte que c’est désormais le vieillissement de la population qui est problématique. (© Kumazaki Takashi)

Endô Takeo a pensé que le meilleur moyen de combler l’énorme fossé culturel entre les japonais et les étrangers serait la nourriture.

« Je me suis dit que la culture culinaire serait un façon efficace d’apprendre à se connaître, et j’ai mis en place des cours de cuisine. Imaginez-vous, lorsqu’on a annoncé un cours de préparation de gyoza (raviolis), 50 japonais se sont inscrits ! Les gens qui n’ont pas pu intégrer le cours étaient en colère ! Nous avons beaucoup de Péruviens vivant dans le complexe, et eux ont demandé un cours de préparation de soupe miso. Et bien sûr, il y avait aussi la cuisine vietnamienne. »

Il était un temps où les résidents de la cité se plaignaient souvent de la forte odeur de la cuisine vietnamienne, et là aussi, on a fait appel à Endô pour résoudre le problème. Il raconte avec un sourire gêné que quand il rendait visite aux Vietnamiens, il était lui-même surpris par l’intensité des effluves. « Mais on finit par s’y habituer et même apprécier, mais j’avoue que l’odeur de la coriandre reste compliquée pour moi... »

La cuisine vietnamienne a fini par devenir l’une des cuisines locales du complexe. Quand j’ai diné à Thanh Ha, le restaurant vietnamien phare de la zone, j’ai suivi le pho au bœuf d’un bi cuon et de banh mi.

Le bi cuon est un rouleau de printemps frais avec de la couenne de porc. La particularité de son goût vient du mélange de couenne de porc croustillant et la saveur sucrée du miso aux cacahuètes. Et puis, il y a le banh mi, un sandwich à la vietnamienne qui devient de plus en plus populaire à Tokyo. À Thanh Ha, la propriétaire cuit ses propres baguettes de pain qu’elle remplit de légumes et de viande de porc. C’est un plat qui est particulièrement apprécié par les femmes.

La jeune serveuse a recommandé le bi cuon qui coûte 600 yens (4 euros). Le plat s'accorde bien avec la bière. (© Fuchi Takayuki)
La jeune serveuse a recommandé le bi cuon qui coûte 600 yens (4 euros). Le plat s’accorde bien avec la bière. (© Fuchi Takayuki)

Tout en dégustant ses succulents mets, j’écoute Thanh Ha me raconter sa vie quelque peu tumultueuse. « Je suis arrivée au Japon il y a 30 ans », dit-elle. « Tout a changé au Vietnam après la guerre. Les gens de Saigon n’ont pas eu d’autre choix que de partir. »

Thanh Ha faisait partie des « boat people »

Voici donc ce qu’elle m’a expliqué.

Dans les années 70, suite aux guerres civiles, le Vietnam, le Laos et le Cambodge sont tous devenus des pays socialistes. Ceux qui avaient des liens avec les régimes précédents ne se sentaient plus en sécurité et ont cherché à se réfugier ailleurs. On les appelait les « boat people ». Thanh Ha était l’une de ces personnes et s’est retrouvée aux Philippines. Beaucoup d’étrangers qui habitent Ichô ont eu un parcours similaire.

« Je suis allée rendre visite à mon frère cadet et ma sœur cadette qui étaient aux États Unis, mais ce pays m’a fait peur. Les Américains ont tous des armes à feu. À côté de ça, le Japon me paraissait bien plus sûr. Et puis les Japonais ne sont pas grands de taille, et ils ont les cheveux noirs, comme les Vietnamiens. Je me sentais à l’aise ici.

Une fois sa demande d’asile au Japon acceptée, elle s’est installée dans la cité ouvrière d’Ichô, et s’est mise à travailler d’arrache-pied. Elle a commencé par être hôtesse d’accueil dans un karaoké. Elle a aussi nettoyé les toilettes dans les gares et fait la corvée de pomme de terre dans une usine. Tout ce labeur lui a permis de mettre de l’argent de côté et d’ouvrir son restaurant il y a 19 ans. Elle a eu deux enfants après son arrivée au Japon, qui ont fait de belles études et sont allés à l’université.

« Mais ni l’un ni l’autre ne parle vietnamien. J’étais toujours beaucoup trop occupée pour prendre le temps de leur apprendre. »

Le restaurant auquel elle a donné son nom est ce qu’elle a de plus précieux après ses enfants. Il est devenu un vrai refuge pour ses compatriotes qui ont quitté leur pays pour s’installer au Japon.

Thanh Ha est arrivée du Vietnam il y a 30 ans. Elle a maintenant 68 ans. (© Fuchi Takayuki)
Thanh Ha est arrivée du Vietnam il y a 30 ans. Elle a maintenant 68 ans. (© Fuchi Takayuki)

Garder le moral malgré la pandémie

La pandémie a jeté une ombre sur tout le complexe d’Ichô. Certains Vietnamiens qui travaillaient dans les usines aux alentours ont perdu leur travail et les nombreux stagiaires techniciens vietnamiens sont également en difficulté.

« Nous avons moins de clients vietnamiens qu’avant. Il n’y a pas de boulot à cause du Covid. Beaucoup de gens qui venaient prendre leur repas ici avant mangent chez eux maintenant. »

« C’est difficile pour tout le monde et notre établissement en souffre. Presque toutes mes économies y sont passées, mais nos clients japonais nous soutiennent et je ne veux pas les laisser tomber. Certaines personnes m’appellent pour me dire qu’ils viendront aussitôt qu’ils pourront, et me demandent de les attendre. Certains m’envoient même des fleurs ! Je voudrais garder le moral et continuer pour tous ces gens. Je peux travailler grâce à mon restaurant. J’ai de la chance. »

Cette cantine vietnamienne est peuplée de gens simples et courageux.

Le restaurant vietnamien Thanh Ha (© Fuchi Takayuki)
Le restaurant vietnamien Thanh Ha (© Fuchi Takayuki)

Thanh Ha

  • Adresse : 3050 Iida-chô, Izumi-ku, Yokohama-shi, Kanagawa
  • 15 minutes à pied de la station Kôza Shibuya de la ligne Odakyû Dentetsu Enoshima
  • Horaires : Ouvert de 10 h à 21 h. Fermé le jeudi.

(Photo de titre : le pho du restaurant Thanh Ha, son plat le plus populaire. Il coûte 750 yens. © Fuchi Takayuki)

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