Les milles et une merveilles de Kyoto

Kyoto à l’ère du coronavirus : trouver une nouvelle manière de découvrir l’ancienne capitale

Visiter le Japon Tourisme

Après la pandémie, des sites à Kyoto qui attiraient des millions de visiteurs venus du monde entier cherchent à se réinventer. Une balade fluviale sur la rivière Hozu et des visites nocturnes du temple Kiyomizu-dera sont parmi les approches novatrices mises en place par l’industrie du tourisme dans l’ancienne capitale impériale.

La fin du tourisme de masse à Kyoto ?

Kyoto a été la capitale du Japon pendant des siècles. Son histoire et ses traditions attirent énormément de touristes venus de tout le Japon, ainsi que du monde entier. Ses sites renommés ont reçu un nombre record de 53 millions de visiteurs en 2019, tandis que 88 millions ont visité la préfecture de Kyoto, ce qui représente une partie importante de l’économie locale.

L’arrivée du Covid-19 a mis fin à tout ça. Suite à la propagation du virus, les visiteurs japonais ont mis leurs projets de voyages en veilleuse, et le pays s’est fermé à tous les voyageurs étrangers. Les restrictions sur les touristes étrangers ont eu un effet catastrophique sur l’industrie hôtelière. Selon l’association de tourisme de Kyoto, le taux de visiteurs étrangers restait, en mai 2022, à environ 1 % de ce qu’il avait été avant la pandémie.

Au début de l’été 2021, je suis allé à Kyoto pour discuter avec les agences de voyage et des représentants des temples bouddhiques de l’impact de la pandémie sur leur ville. Ils m’ont répondu que tout était différent, mais, en même temps, qu’eux aussi changaient. Ils trouvent de nouveaux moyens de faire venir les touristes japonais et sont à la recherche d’options durables qui leur permettraient de rester pertinents. 

Remonter la rivière

Le Shinkansen qui m’emmène vers Kyoto est presque vide. On vient à ma rencontre à la gare et nous prenons la ligne Arashiyama vers l’ouest, jusqu’à la gare de JR Saga Arashiyama, point de départ de la ligne Sagano Romantic Train, un train à locomotive diesel qui remonte le long de la rivière Hozu, vers la ville de Kameoka. Il n’y a presque personne à bord et la plupart des beaux wagons en bois restent fermés, les quelques passagers étant regroupés dans un seul wagon. Le conducteur peut ainsi nous parler (et même chanter quelques chansons) au sujet des paysages traversés. Le train s’arrête à un point de vue particulièrement pittoresque pour que les passagers puissent faire des photos de la rivière. Arashiyama est connu pour ses forêts de bambous, mais la vallée de la rivière est magnifique et change d’aspect selon les saisons. Nous avons admiré le cadre verdoyant de ce début d’été, mais en automne, les couleurs flamboyantes font qu’il est très difficile d’avoir une place à la fenêtre. (Voir également notre article : Se promener en train à Kyoto : les panoramas de Randen, Eizan et Sagano)

Nous descendons du train à la gare de Kameoka Torokko. Plutôt que de prendre le bus qui emmène les visiteurs au point de départ des ballades sur la rivière, un peu en amont, nous avons décidé de prendre un attelage à un cheval qui suit un chemin sinueux. Le cheval de trait, dans le modèle des chevaux de Ban’Ei, des courses de traction dans le Hokkaidô, ne se dépêche pas. Le trajet de 25 minutes le long des herbes hautes cache par moments les grues sur les chantiers de Kameoka, nous permettant ainsi de remonter dans le temps au son des sabots du cheval et de la rivière.

Agile, un hongre de cinq ans, nous emmène vers l’embarcadère.
Agile, un hongre de cinq ans, nous emmène vers l’embarcadère.

À l’embarcadère de Kameoka, nous sommes reçus par Toyota Tomoya, un vétéran de la rivière qui est aujourd’hui directeur de l’Association des ballades fluviales de Hozu. Il nous raconte que l’usage commercial de la rivière Katsura — qui n’est connue comme Hozu que sur une partie de son parcours — remonte à plus de 12 siècles. La ville de Kyoto a connu de nombreux incendies au fil des siècles et il a toujours fallu ramener des quantités importantes de bois pour la reconstruction. Ce bois venait des forêts au nord de Kyoto, et était transporté en convois de radeaux faits de grumes guidés vers l’aval par des flotteurs (ou draveurs) habiles.

Des flotteurs faisant flotter des grumes sur la rivière Hozu pendant l'ère Meiji (1868-1912). (Avec l’aimable permission de l’association des ballades fluviales de Hozu)
Des flotteurs faisant flotter des grumes sur la rivière Hozu pendant l’ère Meiji (1868-1912). (Avec l’aimable permission de l’association des ballades fluviales de Hozu)

Du tourisme fluvial à Kyoto

Toyota raconte en riant que vu l’historique de l’industrie, il n’avait pas été reçu à bras ouverts par les familles locales quand il était venu, encore jeune, s’installer dans la région. « J’ai longtemps été considéré comme un étranger. » Mais ayant persévéré en tant que flotteur et épousé une fille du pays, il fait maintenant partie intégrante de l’industrie fluviale de Kameoka.

C’est peut être le fait de venir d’ailleurs qui lui a permis d’apporter des idées nouvelles à l’industrie. Il explique que celle-ci a évolué au fil des siècles, s’adaptant aux besoins, comme par exemple le passage des radeaux de bois, utilisés à partir de l’époque Heian (794-1185), à des bateaux en bois qui pouvaient transporter du riz et d’autres produits venant des riches terres agricoles de Tanba, au nord de Kyoto, pour nourrir la capitale. L’utilisation de bateaux en bois, et la mise en place de voies navigables par Suminokura Ryôi, dont la famille avait fait fortune dans le commerce entre Nagasaki et la Chine des Ming, a permis le transport de denrées plus variées. Toutefois, les bateliers devaient ensuite remonter la rivière à pieds, en tirant leurs bateaux avec des cordes. Par endroits, les berges de la rivière sont en pierre ou bêton, lui donnant plus l’aspect d’un parc d’attraction que d’une rivière sauvage de rafting. Cependant, le contexte historique démontre que c’est bel et bien une voie navigable de travail.

La rivière a été la voie principale reliant Tanba à Kyoto jusqu’à l’ouverture de la ligne de chemins de fer San’in en 1899, ce qui a porté un coup dur aux bateliers. Après la Seconde Guerre mondiale, la construction de routes à travers les montagnes a permis l’utilisation de camions pour le transport et mis fin une fois pour toute au commerce fluvial.

Le tourisme fluvial, par contre, a une plus longue histoire dans la région. Toyota explique : « La vallée de Hozu, où coule la rivière Hozu, a toujours été à la pointe des transports, depuis la création de voies navigables il y a 400 ans et jusqu’à nos jours. Déjà, vers la fin des années 1800, le diplomate britannique, Ernest Satow, parlait des sensations fortes du voyage le long de la rivière, bien avant que le rafting en eau vive devienne un loisir en occident. Ses écrits ont fait que des étrangers connus, tels que Franz Ferdinand, héritier du trône autrichien s’y est essayé en 1893, suivi du prince héritier britannique, Edward, en 1922. » Leurs récits ont fait que d’autres étrangers sont venus goûter à la rivière Hozu, ce qui a contribué à en faire un site touristique pour les japonais aussi.

Le défi d’une nouvelle expérience pour les visiteurs à Kyoto

Vers la fin des années 1980, la ligne San’in est devenue plus directe, avec la construction de plusieurs nouveaux tunnels, et la ligne de Sagano a été mise hors service. À la place, le train torokko, à locomotive diesel, a repris le service en 1991 pour emmener les voyageurs de Kyoto à Kameoka, d’où ils pourraient embarquer sur les bateaux de plaisance qui les ramèneraient à Arashiyama. Ceci marque le début de l’ère moderne du tourisme fluvial de plaisance.

Notre pilote, debout vers la poupe, nous guide à travers les rapides tandis que deux membres de l’équipage utilisent des bâtons pour éviter les rochers.
Notre pilote, debout vers la poupe, nous guide à travers les rapides tandis que deux membres de l’équipage utilisent des bâtons pour éviter les rochers.

Pour l’instant, ce succès reste en veille. Notre bateau solitaire ne transporte que quelques passagers, rien à voir avec la flotte de bateaux qui transportaient de nombreux visiteurs il y a quelques années. Toyota et ses congénères sont à la recherche d’approches différents qui leur permettraient de rester actifs et pertinents.

« Nous voudrions proposer aux touristes une expérience qui leur ferait comprendre l’importance des rivières au Japon. Quand les trains ont remplacé les rivières pour assurer les transports, c’est tout un mode de vie qui a disparu. Ces gens n’avaient aucun filet de sécurité, et leur gagne-pain a disparu d’un jour à l’autre. Il faut que nous fassions un effort. Kyoto reste en tête de liste des endroits que les gens veulent visiter après la pandémie. Il faut que nous comprenions comment ils voudraient passer leur séjour et le rendre encore plus agréable. »

Toyota prend de plus en plus compte de l’écotourisme dans son approche. Les membres de son association connaissent la rivière Hozu mieux que quiconque, et sont témoins de l’effet de la pollution sur la rivière. Il explique : « Depuis toujours, nous collectons les déchets jetés dans la rivière, mais là, nous essayons aussi de comprendre d’où ils viennent. »

Depuis 2012, il a effectué des tests qui utilisent des bouées avec des balises GPS pour démontrer que les déchets jetés dans la rivière à Kameoka peuvent arriver jusqu’à la baie d’Osaka en quelques jours. Il a aussi créé une « carte de déchets de la rivière » en forme de base de données de photos fournies par les résidents à travers le bassin fluvial, pour essayer d’identifier les sources de pollution. En 2012, Kameoka est devenu la première communauté non-maritime à organiser le sommet sur les déchets marins grâce au travail de Toyota et la prise de conscience que les déchets marins qui pullulent dans les océans viennent de l’intérieur des terres. En 2018, Kameoka a été parmi les premières villes du Japon à interdire l’utilisation des sacs en plastique.

Funada Yukio est aussi impliqué dans les efforts relatifs à la rivière Hozu. Son organisation, Nippon Junrei, invite des étudiants universitaires à faire des ballades en rivière tout en ramassant les déchets le long du trajet. Depuis mai 2021, l’éco-tourisme avec des étudiants ou autres est en plein essor, ce qui permet de développer une toute autre perspective sur comment vivre une expérience fluviale en période de crise environnementale.

Notre descente de la rivière a pris environ deux heures. Nous avons flotté en aval sur environ 16 kilomètres, un trajectoire deux fois plus long qu’à vol d’oiseau, jusqu’à l’embarcadère connu du pont Togetsukyô d’Arashiyama. Sur une partie calme de la rivière, après les derniers rapides, d’autres bateaux se sont approché du nôtre, et on nous a proposé du oden (ragoût à la sauce de soja), des calmars frits et des boissons. L’équipage a profité des boissons rafraichissantes après l’effort fourni qui comprenait un commentaire détaillé des sites traversés, ainsi que des récits d’inondations et autres évènements liés à la rivière.

Le temple emblématique de Kyoto comme on ne l’a jamais vu

Une fois rentrés à Kyoto, nous prenons le chemin de notre hôtel, Terrace Kiyomizu, qui se trouve en bas du temple de Kiyomizu-dera. Le quartier est tranquille, la plupart des boutiques de souvenirs et magasins de location de kimonos ayant fermé pour la journée, ou restant fermés depuis des mois suite au manque de touristes. La ruelle Gojô-zaka et la montée de Sannen-zaka, normalement noires de monde, sont désertes.

La celèbre montée Gojôzaka, déserte, mène vers le temple.
La celèbre montée Gojôzaka, déserte, mène vers le temple.

Le temple est ouvert aux visiteurs de 6 h à 18 h, mais nous avons réservé la visite guidée de nuit, Kurayami no Kiyomizudera. Nous montons les marches au coucher du soleil et nous nous trouvons sur un lieu qui grouille normalement de monde.

Le soleil se couche sur le portail Niômon et sa splendide vue sur Kyoto.
Le soleil se couche sur le portail Niômon et sa splendide vue sur Kyoto.

Nous profitons de cette vue exceptionnelle jusqu’à ce que le soleil sombre derrière les montagnes où nous avions navigué en bateau le matin même. Nous nous dirigeons ensuite vers le Kyôdô (pavillon de prière) où nous nous asseyons sous le célèbre dragon peint au plafond, et inscrivons nos prières de la soirée sur papier avec les plumes calligraphiques fournies. Nous les ramenons au cœur du temple, à travers le gejin et nejin (sanctuaires extérieur et intérieur), et accédons au nainaijin (le saint des saints du temple).

Nous sommes dans le Hondô, le pavillon principal, qui a été reconstruit au XVIIe siècle. Notre guide, Mori Seigen, l’un des prêtres principaux du Kiyomizu-dera, nous raconte que la construction, par dessus un sol abaissé en pierre, est typique d’un style d’architecture bien plus ancien, remontant à l’époque de Nara (710-794). Il nous explique que la statue à l’image du bodhisattva Kannon, entourée de statues nombreuses de divinités protectrices, n’est pas normalement accessible au public. Depuis peu, le temple propose des visites spéciales aux fidèles, leur donnant accès à des endroits qu’on ne peut pas visiter normalement. Il nous emmène aussi le long d’un couloir étroit en bois, derrière le hall du Kannon, aussi près que possible des Hibutsu, les bouddhas cachés, les principaux objets de vénération du temple, auxquels les visiteurs n’ont jamais accès.

La pièce est éclairée avec des warôsoku, bougies traditionnelles japonaises. Leurs flammes illuminent les visages des statues protectrices qui semblent nous darder de leurs regards pendant que Mori nous parle du temple et de son histoire, ainsi que du rôle de Kannon, déesse de la miséricorde, dans le quotidien du peuple. À tour de rôle, nous déposons nos feuilles de prière au pied de la statue de Kannon, et offrons une prière en ajoutant une pincée d’encens au brasier.

Le nainaijin, dans le hall central, abrite de nombreuses statues de divinités bouddhiques, et est éclairé seulement à la lueur de bougies. (Avec l’aimable autorisation du Kiyomizu-dera)
Le nainaijin, dans le hall central, abrite de nombreuses statues de divinités bouddhiques, et est éclairé seulement à la lueur de bougies. (Avec l’aimable autorisation du Kiyomizu-dera)

Il est strictement interdit de prendre des photos à l’intérieur du nainaijin, mais une fois dehors, nous sortons nos appareils pour prendre des photos de nuit du célèbre pilotis du temple, surplombant les jardins et la cascade à l’ouest. Mori nous dit que la cascade est particulièrement symbolique des changements apportés au temple par la pandémie.

« Au départ, c’était un temple de quartier, un endroit où les gens du coin pouvaient venir se recueillir et profiter des cerisiers en fleur au printemps. L’afflux de touristes depuis quelques années a fait qu’il n’est plus possible d’en profiter de cette façon. Un homme est venu me voir en larmes récemment pour me dire son bonheur à pouvoir une nouvelle fois entendre le son de la cascade de chez lui. Cela faisait longtemps qu’il ne pouvait plus rien entendre dans la journée à cause du bruit des bus dans le parking. » Le silence permet aussi aux gens d’entendre les cris des musasabi, des écureuils volants géants qui nichent dans les forêts avoisinantes du temples.

Kiyomizu-dera est un temple qui a toujours été proche des gens du quartier et des touristes. Selon Mori, jusqu’au début des années 70, le portail était ouvert 24 heures sur 24. Une tentative d’incendie criminel a fait que, depuis 1975, le portail est fermé à 18 h tous les soirs. Les visites nocturnes donnent à nouveau aux gens la possibilité de connaître le temple en dehors des heures d’ouverture, pour la première fois depuis près d’un demi-siècle.

Mori nous dit qu’en effet, la pandémie a été pour nous tous l’occasion de réfléchir à nos relations avec les autres et avec le monde en général. Le temple se penche sur des moyens de communiquer avec les fidèles en ligne, pour pouvoir rester connecté avec un lieu que beaucoup ne peuvent plus visiter facilement. « À Kiyomizudera, ça va encore. Ici, c’est un lieu de culte et pas simplement une destination touristique, et les gens chercheront toujours des moyens pour rester connectés avec nous. C’est beaucoup plus dur pour les boutiques et autres établissements de Kyoto, et il nous faut aussi réfléchir à comment leur apporter de l’aide » dit Mori.

Réinventer un haut-lieu touristique

Les paroles de Mori sont en phase avec ce que j’ai ressenti à Kyoto. Pour les résidents, la vie est plus simple sans des millions de touristes affluant dans les rues, les boutiques et les temples. La circulation est plus fluide, ce qui permet d’accéder plus facilement aux sites et de mieux en profiter. Ceci étant, l’impact économique est terrible. Les revenus fiscaux de Kyoto n’ont jamais été considérables, avec peu de sièges d’entreprises, et un nombre très important de temples et d’organisations religieuses qui attirent les foules mais ne paient pas d’impôts

La ville a toujours trouvé le moyen de renaître de ses cendres après les grands incendies du passé. Aujourd’hui, il lui faut trouver le moyen de faire venir des visiteurs plus passionnés, en plus petit nombre. L’écotourisme et des visites spéciales de nuit font partie de ces approches innovantes qui pourraient garder Kyoto en tête des destinations incontournables.

(Photo de titre : une vue de nuit du temple Kiyomizu-dera. Toutes les photos sont de Nippon.com, sauf mentions contraires. Merci à l’Association Nippon Junrei et Funada Yukio pour leur aide pendant le circuit.)

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