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Taihu Tokyo : la bière artisanale de Taïwan fait des vagues dans la capitale nippone

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Kagurazaka possède sa culture particulière depuis l’époque d’Edo. Renommé pour ses geishas au début du siècle dernier, ce quartier tokyoïte s’est ensuite tourné vers la gastronomie dans les années 1920 avec l’essor économique du Japon. Aujourd’hui lieu cosmopolite, il abrite une brasserie de bière artisanale qui transmet la culture gastronomique de Taïwan.

Une petite ruelle de Tokyo propose une bière artisanale taïwanaise

En montant la pente de la rue principale de Kagurazaka, il faut prendre à droite juste avant le temple emblématique de Zenkoku-ji. On peut apercevoir un peu plus loin une vieille bâtisse à deux étages, avec un rideau noren à l’entrée qui évoque un établissement traditionnel japonais plutôt chic. Mais l’enseigne, elle, indique « bière artisanale et cuisine traditionnelle de Taïwan » : nous voici arrivés à « Taihu Tokyo », gérée par la brasserie taïwanaise Taihu Brewing.

Le bar à l’intérieur est bien plus chic que l’apparence extérieure ne laisserait deviner.
Le bar à l’intérieur est bien plus chic que l’apparence extérieure ne laisserait deviner.

À la place d’une ambiance lumineuse typiquement taïwanaise, le look rappelle plutôt un élégant bar urbain. Les murs sont noirs, et plus d’une dizaine de tireuses à bière sont alignées le long du comptoir.

L’étage supérieur réserve une autre surprise, avec son intérieur à carreaux blancs cette fois-ci très typique des restaurants Taïwanais. Les tables et les chaises sont en inox et le menu affiché sur le mur. Là pour le coup, on se croirait à Taïwan.

Ce contraste frappant entre les deux étages finit par créer un ensemble harmonieux.

En haut de l’escalier, le chic du bar se transforme en buvette taïwanaise.
En haut de l’escalier, le chic du bar se transforme en buvette taïwanaise.

Durant l’époque d’Edo (1603-1868), Kagurazaka était un quartier de belles demeures de samouraïs et de temples regroupés autour du Zenkoku-ji, qui abrite la statue de la divinité Bishamonten. La zone est devenue un centre de divertissement après l’ouverture de la gare d’Ushigome (maintenant Iidabashi) de la ligne de chemins de fer Tôbu, à l’ère Meiji. Ayant été relativement épargné lors du grand séisme du Kantô en 1923, Kagurazaka a continué à prospérer jusqu’à la guerre. Parmi ses résidents, le quartier comptait des grands de la littérature, tels Ozaki Kôyô (1868-1903) et Izumi Kyôka (1871-1939).

Si l’essor économique de l’après-guerre en a fait une nouvelle fois un quartier rouge, c’était également le cœur du ryôtei seiji, soit « la politique des restaurants chics » où les fonctionnaires de haut rang se rencontraient pour des transactions en coulisse.

À la conquête du marché de bière artisanale

Les bières artisanales du Japon se font actuellement connaître petit à petit. De nombreuses brasseries ont été créés à travers le pays après la réforme des taxes sur les alcools en 1994. En 2021, il y en avait déjà plus de 500. La concurrence est aujourd’hui féroce.

Dans ces circonstances, pourquoi donc la brasserie taïwanaise Taihu Brewing choisirait-elle d’entrer en lice ? Et pourquoi choisir Kagurazaka ? Chen Hsiang, chargé de relations publiques à Taihu, a fait le tour des quartiers de Tokyo et a trouvé que Kagurazaka était l’endroit idéal. « C’est un quartier riche en culture et en histoire, et en même temps assez tranquille. »

Taihu Brewing a repris le fonds de commerce après la fermeture du locataire précédent, un restaurant japonais, et y a installé Taihu Tokyo.

Pour son logo, Taihu Tokyo a choisi une gourde hyôtan contenant un tigre et du houblon.
Pour son logo, Taihu Tokyo a choisi une gourde hyôtan contenant un tigre et du houblon.

À l'intérieur, un choix de bières artisanales uniques
À l’intérieur, un choix de bières artisanales uniques

Alors que de nombreux établissements Taihu à Taïwan disposent d’un design moderne, certains virent vers une sensibilité contemporaine à la japonaise, en utilisant des anciennes kominka, reliquats de l’occupation de Taïwan par le Japon. À Tokyo, le choix a été fait de mélanger ces deux styles pour mieux s’adapter à la culture locale.

Le gérant, Tanaka Shinnosuke, dont la femme est taïwanaise, explique que « la bâtisse n’a pas changé d’aspect, et nous espérons que la cuisine et la bière artisanales de Taïwan pourront se fondre dans la culture locale ».

Faisons voyager nos papilles

Le secret du succès de la bière artisanale vient de l’utilisation de saveurs locales pour créer des produits uniques. Dans la plupart des cas, les bières de Taihu Brewing sont des IPA riches en houblon, mais avec l’ajout de saveurs typiquement taïwanaises comme la mesona, la goyave, l’oseille de Guinée, la prune verte, ou la pelure de mandarine chenpi.

La mesona chinensis est une herbe dont on fabrique une gelée noire désaltérante. Cette gelée est un dessert très apprécié à Taïwan, mais sa saveur est assez particulière, et les jeunes trouvent qu’elle a plutôt un goût de médicament. Tanaka explique comment « au Japon, certains l’adorent et d’autres la détestent ».

La bière à la pelure de mandarine chenpi a aussi une amertume assez particulière. Celle aux fruits confits est très appréciée des Taïwanais résidant sur l’Archipel. La bière à la prune verte est celle qui s’allie le mieux au palais des Japonais qui sont déjà amateurs de prunes. Tanaka précise : « Ce qu’on peut dire des fans de bière artisanale, c’est qu’ils aiment partir à l’aventure, à la découverte de saveurs dépaysantes. »

Des bières en cannette sont aussi disponibles au magasin, avec des designs très colorés.
Des bières en cannette sont aussi disponibles au magasin, avec des designs très colorés.

Taïwan comme si on y était

En plus de la bière, Taihu Tokyo propose aussi un choix de mets nationaux. À l’étage, on se croirait dans l’atmosphère chaleureuse d’une buvette à Taïwan.

Nagaya Rika est en cuisine. Elle est née et a grandi à Taipei mais habite à Kagurazaka depuis plus de dix ans avec son mari japonais. Elle a commencé à Taihu dès son ouverture. Elle avait déjà travaillé en cuisine dans un restaurant à Ginza et depuis qu’elle a repris la restauration à Taihu, elle recueille des informations sur les ingrédients et les dernières tendances à Taïwan pour les intégrer dans ses menus.

« Nous reproduisons les saveurs de Taïwan à l’authentique » explique-t-elle. « On voulait vraiment que nos clients au Japon qui ne pouvaient aller à Taïwan lors de la pandémie puissent se sentir ici comme s’ils y étaient. » La direction soutient pleinement cette initiative de proposer la vraie cuisine de Taïwan, sans l’adapter au palais japonais.

Il est toutefois difficile de se procurer certains ingrédients. Par exemple, on ne trouve pas le basilic de Taïwan qui sert dans de nombreux plats Taïwanais, et il a fallu le substituer par autre chose. Les entrailles fraiches de porc, utilisées dans le poêlé de porc, sont aussi quasi-introuvables et il a fallu se tourner vers des produits pré-cuits. Ce type de restaurant à Taïwan est connu pour la rapidité du service, et Nagaya en avait le tournis quand elle travaillait encore seule en cuisine. En revanche, elle insiste pour exprimer son plaisir de faire goûter à tous ces clients japonais la cuisine familiale taïwanaise.

Taiwan comme si on y était
Taïwan comme si on y était

La traversée de la pandémie et le rebond

Le monde entier s’est trouvé quasi-paralysé à partir de mars 2020, avec l’arrivée de la pandémie du coronavirus. Taihu Tokyo a ouvert ses portes en juin de la même année. La déclaration de l’état d’urgence en 2021 les a forcés à fermer pendant six mois. Les mesures prises par le gouvernement, demandant aux restaurants de ne pas servir d’alcool et de fermer leurs portes à 20 h, ont porté un coup dur.

Face à une telle situation, Taihu Tokyo s’est concentré sur les ventes à emporter, utilisant des bouteilles en verre qui permettaient de garder le goût d’une bière fraichement tirée. « Ce sont les clients qui ont bien voulu faire l’expérience de Taihu à domicile qui nous ont tiré d’affaire durant ces moments difficiles », témoigne Tanaka.

Pendant cette période, l’établissement servait uniquement dans la journée. « Certains clients buvaient une bière au déjeuner » raconte Tanaka. Beaucoup se dépêchaient de venir diner après le travail puisque le restaurant fermait à 18 h 30.

C’est avec beaucoup d’émotion que Tanaka se remémore cette époque. « Les gens se disaient en manque de Taïwan. Il y avait vraiment des clients au Japon qui étaient en pleine déprime parce qu’ils ne pouvaient pas visiter Taïwan et goûter les plats typiques. »

Au sortir de la crise sanitaire, les affaires ont pu reprendre à Kagurazaka. Taihu Tokyo a retrouvé son entrain et les ventes ont augmenté de manière très satisfaisante en 2023. Tanaka raconte que depuis l’été dernier, « on a presque doublé les importations de fûts de Taïwan ». À l’avenir, il voudrait proposer une aventure encore plus poussée en immersion dans les traditions culinaires.

Au sein de Kagurazaka et son histoire qui remonte à l’époque d’Edo, Taihu Brewing a lancé une nouvelle culture gastronomique à travers ses bières artisanales.

Le personnel de Taihu Tokyo, avec Tanaka Shinnosuke (à droite) et Nagaya Rika (à gauche). Photo de Nippon.com.
Le personnel de Taihu Tokyo, avec Tanaka Shinnosuke (à droite) et Nagaya Rika (à gauche). Photo de Nippon.com.

(Toutes les photos © Semba Satoru, sauf mention contraire)

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