La culture pop nippone se mondialise

Pourquoi les séries japonaises n’arrivent-elles pas à s’exporter à l’étranger ?

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Les chaînes de télévision japonaises produisent de nombreuses séries (ou dramas) mais très peu franchissent les frontières de l’Archipel, que ce soit pour des adaptations ou même pour une simple rediffusion. Parmi les obstacles, des saisons trop courtes et des budgets limités.

Les animes en tête des contenus exportés à l’étranger

Si les animes japonais comme One Piece ou des films tels que Monster ou Drive My Car font un carton à l’étranger, les séries, ou « dramas » , qui parviennent à être diffusées hors des frontières de l’Archipel sont peu nombreuses. En fait, le Japon en importe même plus qu’il n’en exporte.

En décembre 2023, la chaîne publique NHK diffusait la deuxième saison de DOC, une série italienne dont l’intrigue se déroule en milieu hospitalier. TV Tokyo, pour sa part, diffusait la série coréenne It’s Beautiful Now et Fuji TV une autre série coréenne The World of the Married. Les chaînes satellites payantes, elles, non plus ne sont pas en reste puisqu’elles proposent des séries étrangères à toute heure de la journée.

Les programmes télévisés des diffuseurs japonais ne s’exportent que rarement à l’étranger. Selon une enquête menée par le ministère des Affaires intérieures et des Communications, les productions télévisées nippones s’exportaient à hauteur de 65,6 milliards de yens, avec une généreuse part de 56,7 milliards de yens pour les animes, et seulement 3,6 milliards de yens pour les dramas (soit 5,5 % du total).

À l’exception de Taïwan, qui a toujours compté de nombreux fans de dramas japonais et qui s’est mise récemment à en diffuser simultanément avec le Japon, les productions qui ont su s’exporter en 2023 se comptent sur les doigts de la main : il s’agit de Connected : The Homebound Detective, une production nippo-britannique de deux épisodes de la chaîne NTV et de Ossan’s Love de TV Asahi, initialement une mini-série en 2016, mais remaniée en une véritable série en 2018.

Connected, qui raconte l’histoire d’un homme refusant de quitter la chambre de son enfance et qui se met à enquêter sur le meurtre d’une chanteuse idol sur internet, a été plébiscité par une société américaine pour en faire un remake. Ossan’s Love est une comédie qui décrit différentes histoires d’amour entre des hommes d’affaires d’âge moyen, et qui a su gagner le cœur de fans du pays tout entier. Les remakes ne se sont pas fait attendre : en 2021, une version hongkongaise voyait le jour et une version thaïlandaise est d’ores et déjà annoncée pour cette année. Mais ce ne sont que deux séries sur plus d’une centaine créées chaque année au Japon...

Trop peu de saisons

Pour placer des séries nationales sur le marché étranger, il y a grosso modo deux moyens : soit elles sont exportées non adaptées pour une rediffusion avec rachat des droits d’auteur, soit les droits de production sont vendus en vue d’un remake. Les dramas coréens se rangent généralement dans le premier cas de figure.

TV Asahi a racheté les droits de la série coréenne Itaewon Class (2020) pour en faire un remake. Dans cette série, le spectateur fait la connaissance d’une jeune fille sans le sou qui cherche à se faire une place dans le monde de la restauration. À la sauce japonaise, Itaewon Class est devenue Roppongi Class (2022), mais c’est un cas assez rare. Les remakes nécessitent des budgets de production et des temps de tournage considérables, alors qu’il est si simple de rediffuser une série achetée par la chaîne.

Autre raison pour laquelle les productions japonaises peinent à s’exporter, et celle-là est peut-être moins évidente. Rediffuser une série n’est pas difficile après l’avoir doublée et/ou sous-titrée mais le problème avec les dramas nippons, c’est qu’ils ne sont souvent composés que de quelques épisodes, rendant difficile leur rediffusion à l’étranger.

Sur les chaînes privées japonaises, les dramas sont diffusés pendant trois mois non-stop. On appelle ça le style kûru, du français « cours ». Elles débutent généralement en avril, juillet, octobre ou janvier, avec entre 10 et 12 épisodes d’une heure chacun, même si dans le cas de séries diffusées tard le soir, les épisodes peuvent ne durer que 30 minutes. Hormis ses traditionnelles séries matinales (asa-dora) et fictions historiques (taïga dramas), même la NHK a récemment commencé à produire davantage de séries sur la base du système kûru.

Comparez maintenant cela à la production coréenne que nous avons mentionnée ci-dessus It’s Beautiful Now, avec 50 épisodes d’une heure chacun (réorganisée en 65 épisodes au Japon). La série Winter Sonata, à l’origine de la vague sud-coréenne qui déferlera sur le Japon en 2003, comportait 20 épisodes d’environ une heure chacun. Mais la série numéro 1 au box-office des productions sud-coréennes, c’est Crash Landing on You, diffusée au Japon sur Netflix. Les 16 épisodes de la série sont assez longs (entre 1 h 10 et 1 h 50). Pour les chaînes étrangères, les séries japonaises finissent trop rapidement pour en racheter les droits de diffusion.

Autre point, les séries de pays occidentaux comportent un grand nombre de saisons. Citons la série américaine New York, unité spéciale, où des détectives enquêtent sur des crimes perpétrés contre des femmes et des enfants : une vingtaine d’épisodes de chacun 45 minutes environ, avec 24 saisons qui se sont succédé (et une 25e et une 26e saisons ont d’ores et déjà été annoncées). C’est donc un monde bien différent de celui des séries japonaises.

Le système kûru

Les séries télévisées japonaises suivent ce système kûru depuis les années 1980, et ce pour diverses raisons. La première est que les diffuseurs privés redoutaient des séries mal choisies. Si le nombre de spectateurs est en chute libre dès le début de la série, mieux vaut l’abandonner et passer à autre chose. Si une chaîne s’engage pour six mois ou un an, le manque à gagner est considérable ; abandonner la diffusion d’un drama au bout de trois mois permet de mieux s’en sortir et de limiter les pertes.

La quête de profits des diffuseurs privés a aussi eu son rôle à jouer. Les chaînes se sont développées de façon régulière dans les années 1990, si bien que le fait de pouvoir renégocier des contrats de sponsors simplement et rapidement jouait en leur faveur, avec des espaces publicitaires faciles à vendre. Elles pouvaient gagner davantage de redevance publicitaire par le biais de durée de rotation de séries courtes. Cependant, cette situation a aussi ses inconvénients, dont la difficulté d’exportation des séries à l’étranger.

Les séries matinales de la NHK se prêtent bien à l’exportation ; un grand nombre de saisons et chaque épisode ne dure que 15 minutes. Toutefois, exception à la règle : O-Shin. Cette série a été diffusée de 1983 à 1984, avec 297 épisodes a vu ses droits de diffusion rachetés dans 75 pays et territoires. L’histoire de l’évolution du personnage principal à travers de nombreuses épreuves a su trouver son public, notamment dans les pays en développement d’Asie et d’Afrique, mais pas que. La série a également rencontré un grand succès aux États-Unis et au Canada. Là encore, il s’agit d’une exception ; la série a obtenu 52,6 % d’audience au Japon et s’est également bien vendue à l’étranger.

Citons une autre série matinale : Ama-chan en 2013. 156 épisodes, un grand succès au Japon, une diffusion sur 13 marchés étrangers, dont l’Indonésie et les Philippines : carton plein. Le personnage principal, Amano Aki, originaire d’une zone rurale de la préfecture d’Iwate, aspire à devenir une chanteuse idol. Son optimisme et sa capacité à distinguer clairement les bonnes choses des mauvaises ont permis de franchir cette barrière.

Par ailleurs, il y a Sakamoto Yûji, qui a remporté le prix du meilleur scénario en 2023 à Cannes pour Monster. Il a choisi de vendre les droits de sa série Mother (2010) au marché de la télévision turque pour les besoins d’un remake. Le rachat des droits a été difficile car la série ne comptait à l’origine que 11 épisodes. Arrivée sur le marché turc, la série a été allongée pour en comporter 85, rendant sa diffusion à l’étranger plus simple. Résultat : l’adaptation turque de Mother a été diffusée dans plus de 40 pays.

La version originale de Mother s’est également exportée vers la Corée du Sud, la France et l’Espagne, mais seulement sous la forme d’un remake. Si la série n’avait pas été aussi courte, elle aurait probablement conquis d’autres marchés à l’étranger.

Le Japon et les États-Unis ne jouent pas dans la même cour

Autre raison expliquant pourquoi les séries télévisées japonaises peinent à se vendre à l’étranger : une qualité peu homogène en raison d’une trop grande différence entre les budgets de production. Le budget d’une série d’une heure diffusée en prime time au Japon, entre 19 h et 23 h, est compris entre 30 et 40 millions de yens par épisode (180 000 et 240 000 euros). On est bien loin de la série américaine Lost (2004) qui avait un budget de 4,5 millions de dollars (720 millions de yens) par épisode. Et Lost n’est qu’un exemple parmi tant d’autres séries américaines.

Les séries américaines et japonaises ne jouent décidément pas dans la même cour...

Des budgets aussi colossaux permettent de faire appel à des stars internationales, d’avoir des scripts réglés à la lettre près, des tournages élaborés et une esthétique méticuleusement soignée.

Si les productions américaines peuvent s’offrir des budgets aussi importants, c’est parce qu’elles s’attendent à générer des revenus en continu grâce à leur diffusion à l’étranger et sur des plateformes payantes comme Netflix.

De gros budgets sinon rien

Les séries coréennes ont également pu élargir leur marché grâce au rachat de leurs droits à l’étranger et à la diffusion payante sur des plateformes de streaming, si bien que le budget de leur production par épisode est également supérieur à 100 millions de yens. Jusque dans les années 1990, le budget des productions coréennes était bas, avec des contenus réputés de mauvaise qualité. Cependant, le grand nombre d’épisodes permettait d’augmenter les reventes. Le gouvernement a lui aussi apporté son aide pour dynamiser l’industrie.

Le gouvernement coréen soutient le paysage audiovisuel et son industrie par le biais du Gender Equality Media Award. Créé en 1999, il encourage à aborder les histoires d’amour en prenant en compte les questions liées au genre et à la diversité dans son ensemble dans les séries télévisées. Cette démarche a notamment su trouver écho auprès du public féminin.

En 2009, le gouvernement sud-coréen a également créé l’Agence coréenne de contenu créatif. Il a mis en place des branches notamment aux États-Unis et aux Émirats arabes unis afin de vendre des séries télévisées entre autres contenus. Au Japon, aucune agence de ce type n’a été créé par le gouvernement.

Au Japon, la série qui a dominé l’industrie de la télévision, c’est sans conteste Vivant. Diffusée par la chaîne TBS à partir de 2023, la série raconte l’histoire d’un conflit entre une unité secrète des Forces japonaises d’autodéfense appelée Beppan et une organisation terroriste internationale. Avec un budget particulièrement élevé, chaque épisode, dix en tout, a coûté environ 100 millions de yens. Cela n’aurait pas été possible sans la coopération du plus grand service de streaming payant du Japon, U-Next, au sein duquel TBS détient une participation en capital. Les simples droits de diffusion des sponsors n’auraient pas été suffisants pour permettre une production aussi coûteuse.

Un budget aussi élevé que celui de Vivant a permis d’inviter des stars telles que Sakai Masato, Yakusho Kôji et Abe Hiroshi. Le tournage qui a pris deux mois et demi s’est déroulé en Mongolie et les images de synthèse ont été utilisées le moins possible pour garantir des scènes réalistes. Tout cela n’aurait pas pu être possible sans un budget aussi important.

Lors du dernier MIPCOM (Marché international des contenus audiovisuels) qui a eu lieu en octobre à Cannes, le plus important marché de contenu télévisuel au monde, Vivant a reçu l’édition 2023 du prix de l’acheteur pour les séries japonaises, une distinction décernée par les acheteurs de programmes présents. Après avoir été acclamé par les acheteurs, il y a fort à parier que la série s’exportera au-delà des frontières de l’Archipel. Là encore, la série peut remercier son budget de production élevé.

L’avenir des diffuseurs japonais déterminé par l’exportation des séries à l’étranger

Si les dramas nippons peinent tant à s’exporter, ce n’est pas parce que les réalisateurs et les scénaristes de talent ne sont pas aussi nombreux que dans les autres pays, loin de là. Et cela est flagrant avec Kawai Hayato, l’un des réalisateurs de la série à succès de Netflix The Naked Director, une série qui traite de l’âge d’or des vidéos pour adultes au Japon. Il est actuellement le réalisateur en chef de Tax Solver sur NTV.

En, 2023, on retrouve d’anciens élèves de la télévision japonaise dans deux autres séries Netflix à succès. Sanctuary, une série sur le monde du sumô basée sur un scénario de Kanazawa Tomoki, qui n’est autre que l’un des scénaristes de la série à succès Naoki Hanzawa (2020). Autre exemple, Masumoto Jun, cette fois-ci du côté de la création de programmes télévisés pour Fuji TV jusqu’en 2019, était en charge de la planification, de la production et des scénarios de The Days, une série sur les sept premiers jours qui ont suivi la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.

Si une solution peut être trouvée aux problèmes du nombre d’épisodes, du budget des productions et de l’importance excessive accordée à la jeunesse du public dans le but de satisfaire les sponsors, les séries télévisées japonaises ne devraient pas avoir trop de mal à s’exporter à l’étranger. L’aspect pécuniaire reste une question épineuse toutefois. Le nombre d’abonnés sur les plateformes de streaming payantes telles que Telasa de la chaîne TV Asahi ou FOD de Fuji est insuffisant. Cependant, en règle générale les radiodiffuseurs japonais doivent établir des partenariats avec des plateformes de streaming étrangères.

Au Japon, la demande de séries télévisées a atteint son apogée. Si certains pensent que TVer, un service gratuit qui propose du contenu depuis un groupe de diffuseurs, pourrait être une solution, le revenu des stations individuelles ne représente qu’une infime partie des publicités diffusées. Ce service n’offrant aucun réel changement par rapport au modèle publicitaire traditionnel, il pourra difficilement devenir la base d’une nouvelle source de revenus. La capacité des séries nippons à s’exporter à l’étranger aura un impact majeur sur l’avenir des diffuseurs japonais.

(Photo de titre : un panneau présentant des séries japonaises au MIPCOM, le plus grand marché international des contenus audiovisuels au monde. Mother, à gauche, est l’une des rares séries qui a réussi à s’exporter avec succès à l’étranger. Avril 2018, à Cannes, en France. ©AFP/Jiji).

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