Entreprises made in Nippon

Les sushis surgelés, un moyen de déguster du poisson par-delà les saisons

Gastronomie Technologie

Tôshin Suisan ; voici le fournisseur de produits de la mer qui délie de nombreuses langues sur le marché de Toyosu à Tokyo. Il prétend que ses sushis surgelés sont aussi frais et délicieux que des sushis servis dans les meilleurs restaurants. Rien que ça ! Délicieuse et pratique pour réduire le gaspillage alimentaire, l’alternative en séduit plus d’un.

Un grand nom de la vente de poisson révolutionne le secteur

Les sushis, un incontournable de la gastronomie nippone, sont disponibles absolument partout, qu’il s’agisse de sushis de première qualité dans des bars à sushis, ou d’entrée de gamme dans des restaurants kaiten-zushi. Sé déclinant sous de nombreuses variétés dans les supérettes, ils sont également très pratiques à manger sur le pouce.

À emporter, ils ont certes leurs avantages, mais ce n’est pas pour autant la façon idéale de savourer les sushis. En été, le poisson cru présente des risques d’intoxication alimentaire, et le shari, le lit de riz vinaigré sur lequel repose le poisson, a tendance à se dessécher. Un sushi à emporter et un sushi fraîchement préparé sont donc deux choses totalement différentes. Mais ça, c’était avant Tôshin Suisan, avant que ce fournisseur en poisson, qui possède plusieurs points de vente au marché de Toyosu de Tokyo et même ailleurs, ne mette au point un système permettant de servir des sushis surgelés aussi délicieux que s’ils étaient frais, mais qui eux peuvent bien sûr peuvent se conserver plus longtemps.

L’assortiment de neuf sushis congelés et décongelés
L’assortiment de neuf sushis congelés et décongelés

Le set de sushis surgelés de Tôshin Suisan contient neuf sushis : deux de thon chûtoro (partie moyennement grasse du poisson) pêché au large de la préfecture de Nagasaki et une tranche de thon ordinaire, un sushi de saumon aurora de marque norvégienne, un sushi de daurade rouge (madai), un sushi de turbot (hirame), un sushi de calmar diamant (sode ika), un sushi de crevette et un sushi de chinchard (aji). Les neuf pièces coûtent 2 200 yens (14 euros), un prix raisonnable pour un assortiment savoureux, avec un shari bien humidifié. Même après décongélation, le calmar et le chinchard restent frais, sans que leur couleur ne change. Goûtez-les et testez par vous-même ; difficile de croire que ces sushis n’ont jamais été congelés.

La réputation de Tôshin Suisan en tant que fournisseur de poisson n’est plus à faire. Forte de plus de 70 ans d’histoire, et possédant des points de vente à Ogikubo, sa boutique principale, et d’autres dans des grands magasins de haut de gamme tels que Ginza Mitsukoshi, Tôshin Suisan a pignon sur rue. Takahashi Jun’ichi, responsable des relations publiques de l’entreprise, explique que ce set de sushis surgelés cible des personnes qui sont trop occupées pour se rendre dans un magasin avant l’heure de fermeture ou dont le quartier n’a pas de bar à sushis ou de poissonnerie.

Le magasin principal de Tôshin Suisan dans le bâtiment Town Seven à la gare JR Ogikubo, à Tokyo.
Le magasin principal de Tôshin Suisan dans le bâtiment Town Seven à la gare JR Ogikubo, à Tokyo.

Surgelés, les sushis conservent plus longtemps leur fraîcheur

Il s’agissait initialement pour la société Tôshin Suisan de trouver une solution contre la baisse de la consommation de poisson en général. Un grand nombre de consommateurs préfèrent d’autres alternatives, la préparation du poisson demandant beaucoup de travail, une situation rendue encore plus difficile en raison du manque de personnel dans de nombreux petits supermarchés capable de nettoyer et de découper en filets des poissons entiers. Cherchant à remédier à cette situation, en 2018, Tôshin Suisan a mis en place sa propre cuisine centrale, la Tôshinkan, où elle transforme et fournit poissons et fruits de mer, notamment sous forme de sashimis, de filets de poisson, de sushis ou encore de produits d’épicerie fine, à une centaine de magasins à Tokyo et dans ses environs.

Le responsable des relations publiques Takahashi Jun'ichi (à gauche), et le chef du département commercial Kosuge Masamitsu devant la Tôshinkan, près du magasin principal d'Ogikubo de l'entreprise.
Le responsable des relations publiques Takahashi Jun’ichi (à gauche), et le chef du département commercial Kosuge Masamitsu devant la Tôshinkan, près du magasin principal d’Ogikubo de l’entreprise.

En raison des mesures de confinement pendant la pandémie de coronavirus, les ventes de produits surgelés ont augmenté ces dernières années. Les produits surgelés résolvent deux problèmes communs à de nombreux ménages ; ils sont pratiques et ils se conservent, permettant ainsi de réduire la quantité d’aliments jetés. Inspirée par les Objectifs de développement durable (ODD) définis par les Nations unies sur le gaspillage alimentaire, l’entreprise Tôshin Suisan a mis au point une méthode permettant de proposer des sashimis et des sushis surgelés pouvant être expédiés facilement et n’importe où au Japon. Par ailleurs, explique l’entreprise, il s’agissait également de prouver que le poisson, en particulier les sushis, est tout aussi délicieux même s’il n’est pas consommé immédiatement après sa préparation.

Les sushis surgelés ne sont pas une idée nouvelle. Tôshin Suisan n’a pas le monopole en la matière ; il en existe déjà plusieurs types sur le marché. Cependant, dans de nombreux cas, si le poisson est généralement d’assez bonne qualité, le shari de riz, lui, laisse parfois à désirer. Il est souvent sec. Cherchant à résoudre ce problème Tôshin Suisan a mené différents essais pour finalement constater que les grains de riz se conservent mieux lorsqu’ils sont congelés rapidement, à l’aide d’une machine spéciale de congélation liquide mise au point par le fabricant Technican, basé à Yokohama.

L’assortiment de sushis est transformé à l'aide de la machine de congélation rapide Tômin (au centre) et d'une emballeuse sous vide (à droite).
L’assortiment de sushis est transformé à l’aide de la machine de congélation rapide Tômin (au centre) et d’une emballeuse sous vide (à droite).

Cette machine de congélation rapide permet de refroidir en peu de temps des aliments emballés sous vide à l’aide d’un liquide contenant environ 50 % d’alcool et refroidi à -30 °C. L’alcool est plus efficace que la congélation utilisant de l’air refroidi, car il possède une plus grande capacité à conduire la chaleur. Le fabriquant Technican explique par ailleurs que les liquides sont de meilleurs conducteurs que les solides. Prenant l’exemple trivial d’un sauna, il rappelle qu’il est plus facile de résister à un sauna chauffé à 90°C qu’à de l’eau chaude chauffée à la même température.

L’alcool a la particularité de rester liquide, même à des températures négatives. Par ailleurs, il est intéressant de noter que de l’alcool refroidi à -30°C peut refroidir de la nourriture huit fois plus vite que du gaz nitrogène refroidi à -100°C. Pour des raisons d’ordre sanitaire, Tôshin Suisan emballe les tranches de poisson et le riz séparément. Mais l’un comme l’autre se retrouvent congelés en moins de 15 minutes.

L’écran digital du congélateur liquide affiche une température intérieure de -29,6°C. Au premier plan, un set de sushis fraîchement congelés.
L’écran digital du congélateur liquide affiche une température intérieure de -29,6°C. Au premier plan, un set de sushis fraîchement congelés.

Sitôt pêché sitôt congelé

La technique de congélation rapide permet de conserver la saveur des aliments plus longtemps après leur décongélation. Kosuge Masamitsu, qui dirige le département commercial de Tôshin Suisan, explique que les aliments se dilatent souvent pendant le refroidissement entre 5°C et -5°C. Mais la congélation liquide rapide peut remédier à ce problème en rendant cette période plus courte, réduisant au minimum la déformation des aliments.

Le liquide rougeâtre suinté par le poisson ou la viande lors du processus de décongélation, est appelé « drip ». Sa sécrétion est le résultat de l’altération de la structure des tissus lors de la dilatation. Le poisson ou la viande subit alors une perte d’humidité, de protéines et d’umami. La congélation liquide rapide réduit la durée pendant laquelle l’aliment se trouve dans cette « zone dangereuse » de température, lui assurant de conserver toute sa fraîcheur. Ce processus permet également au riz de conserver toute son humidité et sa consistance moelleuse.

Les sushis peuvent être dressés immédiatement après décongélation. Le poisson ne suinte presque pas et chaque grain de riz conserve tout son volume.
Les sushis peuvent être dressés immédiatement après décongélation. Le poisson ne suinte presque pas et chaque grain de riz conserve tout son volume.

Dans la plupart des cas, le poisson est acheminé à Tôshinkan le lendemain de la pêche, pour perdre le moins de temps possible, et traiter le poisson lorsqu’il est le plus frais. Il est ensuite emballé sous vide, une étape importante car la moindre particule d’air réduit la surface d’exposition avec le liquide, rendant plus difficile le processus de congélation. Ce processus est l’élément central du vaste réseau de distribution de l’entreprise Tôshin Suisan, forte de nombreuses années d’expertise dans la commercialisation du poisson.

Conservés à -60°C dans des congélateurs industriels, les sushis conservent toute leur saveur jusqu’à 180 jours après la congélation. Après leur achat, les sets de sushis, eux, se conservent jusqu’à quatre jours dans un congélateur ordinaire. Pour la décongélation : il suffit de plonger le poisson dans de l’eau glacée pendant 20 minutes et de réchauffer le riz en le plaçant, si vous êtes pressé, 1 minute et 30 secondes au micro-ondes ou 10 minutes dans un cuiseur à vapeur.

Après emballage sous vide, l’assortiment de sushis est placé dans le congélateur. Cette méthode libère moins de « gouttes » qu’un emballage sous vide dans des sacs classique.
Après emballage sous vide, l’assortiment de sushis est placé dans le congélateur. Cette méthode libère moins de « gouttes » qu’un emballage sous vide dans des sacs classique.

Des poissons par-delà les saisons ?

Grâce à la méthode de Tôshin Suisan, le poisson reste savoureux pendant six mois, de quoi réjouir les amateurs qui pourront peut-être un jour déguster n’importe quelle variété même hors saison. Par exemple, le balaou (sanma), qui se déguste habituellement en automne, pourrait être disponible au printemps, les bonites qui font leurs premières apparitions en avril et mai pourraient inversement être dégustées en automne, et le thon pêché au large d’Ôma dans la préfecture d’Aomori au cœur de l’hiver pourrait être servi du printemps à la saison estivale.

Les poissons à chair foncée tels que les sardines, le maquereau et le chinchard, dont les prises sont généralement plutôt abondantes, pourraient être congelées de la même manière. Il serait alors possible de déguster ces poissons tout au long de l’année, et de les consommer sous forme de sashimis ou de sushis. Cela permettrait de réduire le gaspillage alimentaire, l’un des objectifs fixés par les Nations unies en matière d’objectifs de développement durable (ODD). Un poisson qui a perdu sa fraîcheur ne peut plus être vendu et sert généralement plutôt d’appât ou d’engrais.

Tôshin Suisan cherche déjà à ajouter de nouvelles variétés de poisson dans ses assortiments de sushis surgelés, telles que de l’oursin (uni) ou encore des œufs de saumon (ikura). S’agissant des canaux de diffusion, l’entreprise cherche également les moyens de rendre cet assortiment de sushis disponible en magasin ; il n’est pour le moment qu’en vente sur Internet. Tôshin Suisan propose de la même façon des donburi de fruits de mer, des bols de riz et du poisson grillé. Et l’entreprise ne connaît pas la crise.

De nouvelles opportunités

Grâce à Tôshin Suisan, il sera peut-être bientôt possible de déguster de vrais sushis et donburi aux fruits de mer sans avoir à se rendre dans un magasin de sushis. Consommation à domicile, bien sûr, mais pas que. Tôshin Suisan s’attend à une demande croissante de la part des touristes, dans et hors des frontières de l’Archipel. Les sushis surgelés séduisent même parfois des clients inattendus. Tôshin Suisan a notamment reçu une commande de 30 donburi aux fruits de mer de la part d’une maison de retraite.

Le donburi aux fruits de mer de Tôshin Suisan et son lit de riz blanc vinaigré ni trop humide ni trop sec. Poisson frais ou poisson surgelé ; difficile de faire la différence (Photo avec l'aimable autorisation de Tôshin Suisan)
Le donburi aux fruits de mer de Tôshin Suisan et son lit de riz blanc vinaigré ni trop humide ni trop sec. Poisson frais ou poisson surgelé ; difficile de faire la différence (Photo avec l’aimable autorisation de Tôshin Suisan)

Pour des raisons sanitaires, de nombreuses maisons de retraite proposent peu de poisson cru, en particulier les poissons à chair foncée, qui sont plus susceptibles d’être infectés par des parasites à l’origine de l’anisakiase, une maladie débilitante, affaiblissant les personnes qui en sont atteintes. Ainsi, de nombreux établissements proposent des plats sans poisson, comme des rouleaux enveloppés d’une feuille de nori contenant du concombre et du kanpyô, des tranches d’omelettes roulées ou des inari-zushi, du tofu frit farci avec du riz vinaigré pour sushis.

Mais avec les sushis surgelés, plus de problèmes de bactéries ou de parasites quels qu’ils soient. Et l’option a plu aux résidents qui ne sont régalés des donburi aux fruits de mer. Beaucoup d’entre eux salivent d’avance à l’idée de goûter les sushis surgelés.

Tôshin Suisan espère également que ses produits surgelés pourront être utilisés afin des fins éducatives dans les établissements scolaires. Les enfants aiment reproduire les gestes et techniques les chefs sushi, mais la formation du shari requiert beaucoup d’adresse, ce qui en décourage beaucoup de cuisiniers en herbe. Mais avec le set de sushis surgelés et ses shari de sushis préformés, plus de problème. Les maîtres queux nippons n’ont qu’à bien se tenir ! Et les sushis surgelés en eux-mêmes sont délicieux, contribuant à éduquer des palais encore peu expérimentés. Les visiteurs étrangers au Japon seront également à coup sûr excités à l’idée de se prendre pour des chefs sushis d’un jour, et de s’essayer à la préparation de sushis avec le set de sushis surgelés.

L’auteur de cet article s’est lui-même pris au jeu et a préparé ses propres sushis. Avec ou sans wasabi (wasabi nuki), c’est selon les goûts.
L’auteur de cet article s’est lui-même pris au jeu et a préparé ses propres sushis. Avec ou sans wasabi (wasabi nuki), c’est selon les goûts.

(Toutes les photos sont de Nippon.com, sauf mentions contraires.)

technologie tourisme sushi entreprise alimentation poisson Toyosu