Le photographe Haga Hideo, grand témoin du folklore de l’archipel japonais
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Des influences importantes

Haga Hideo (© Haga Library)
L’étude du folklore japonais, établie par Yanagita Kunio (1875-1962) et Orikuchi Shinobu (1887-1953), examine la vie quotidienne des Japonais ainsi que l’implantation de leurs coutumes et cultures. Cette recherche comprend des études sur le terrain et la lecture de documents, mais aussi le travail de photographes professionnels dont les clichés renseignent sur les rituels folkloriques et les cérémonies, et peuvent constituer un témoignage visuel important. Les photos de manifestations traditionnelles qui ont disparu sont particulièrement précieuses. Ainsi, l’héritage de Haga Hideo, qui a été l’un des plus grands photographes du folklore de l’Archipel, est inestimable.
Haga est né en 1921 à Dalian, dans le nord-est de la Chine. Il arrive au Japon en 1939 pour prendre des cours préparatoires à l’Université Keiô. Il est déjà passionné de photographie, et adhère au club photo de l’établissement. Ayant intégré le département de littérature chinoise, les cours du professeur Orikuchi Shinobu suscitent énormément son intérêt pour l’étude du folklore
C’est dans les années 1950 que Haga devient photographe professionnel. Après la fermeture de la société où il travaille, il doit choisir quel chemin suivre : poursuivre dans son domaine de prédilection ou trouver un autre travail ? Sur les conseils d’Okuno Shintarô (1899-1968), le spécialiste en littérature chinoise qui avait été son mentor à l’université, il décide de se consacrer à la photographie d’événements traditionnels et folkloriques. Dans le cadre d’une étude mise en place par neuf facultés d’arts et de lettres, il passe 182 jours entre 1955 et 1957 sur l’île d’Amami-Ôshima, à photographier des pratiques folkloriques locales.
Immortaliser un patrimoine
Par hasard, l’éditeur Heibonsha était sur le point de publier deux séries de livres sur le folklore, dont une de cinq volumes sur le vocabulaire folklorique et une encyclopédie en treize volumes sur l’évolution des études sur le folklore japonais. C’est Haga qui fournit les clichés pour ces publications, ce qui lui assure un revenu régulier et trace la voie de sa carrière de photographe du folklore.
Se basant sur ses travaux, Haga publie en 1959 un premier recueil de photos, Tanokami: Nihon no inasaku girei (Les divinités des rizières : les rituels autour de la culture du riz au Japon). L’ouvrage présente sept rituels et cérémonies autour de la culture du riz dans les préfectures de Fukushima, Aichi, et Hiroshima, ainsi qu’à Amami Ôshima et d’autres régions de la préfecture de Kagoshima. Toutes ces photos sont réalisées par Haga dans les années 1950, une période où la modernisation transformait rapidement la vie de village. Il n’y a aucun doute que Haga ressentait l’importance d’immortaliser un mode de vie en voie de disparition, et ses photographies témoignent de ce sentiment.

Aenokoto, un rituel de la péninsule de Noto qui a lieu au début de décembre. La famille remercie les divinités pour la récolte de riz de l’année en présentant une balle de riz au dieu des rizières. Bien que ce dernier ne soit pas visible des humains, on le fête comme s’il était présent en personne. Préfecture d’Ishikawa, 1954. (© Haga Hideo)

La cérémonie de dispersion de graines tanemaki iwai. Un homme tenant une poignée de riz non-décortiqué. Le fond noir donne l’impression que la main flotte. Préfecture d’Aichi, 1956. (© Haga Hideo)

Le rite du nanoka iwai, où l’on place un crabe sur la tête d’un bébé de sept jours. La cérémonie exprime le désir que l’enfant arrivera à la prochaine étape de sa vie en rampant comme un crabe. Île d’Okinoerabu, préfecture de Kagoshima, 1956. (© Haga Hideo)

Zujô unpan : il était courant dans les îles du sud du Japon de porter des fardeaux sur la tête. Cette photo représente une femme portant des feuilles de cycadale qu’on utilise comme carburant. Préfecture de Kagoshima, 1956. (© Haga Hideo)

Mushi-okuri : une scène fantasmagorique de personnes marchant le long d’une rizière au crépuscule, suivant une effigie de paille qui ouvre le cortège. Préfecture d’Aichi, 1957. (© Haga Hideo)
Tout en continuant à immortaliser des rituels et des cérémonies culturelles comme ceux dans son premier recueil de photos, Haga se met à la recherche de la meilleure façon de les photographier. D’un côté, il se rend compte que faire des photos de certaines scènes risque d’omettre les éléments les plus importants d’une cérémonie. D’autre part élaborer des mises en scène peut diluer la vitalité du vécu des sujets. Il finit par favoriser une approche minimaliste pour obtenir les résultats voulus.
Dans un texte où il décrit comment il a photographié la divinité des rizières, il explique la façon dont son approche « élimine toutes les distractions ou intrusions accidentelles pour rehausser l’essence du moment ». C’est grâce à cela que les moments précieux capturés dans les photos de Haga gardent toute leur fraicheur malgré le passage du temps. Après la publication de son premier recueil, Haga ressent une obligation de voyager à travers le Japon pour photogra

Shima ni kaeru (Retourner à l’île). Une photo de la barque qui relie plusieurs îles de l’archipel Gotô . Ce jour-là, la mer était calme, mais la navette est interrompue lorsque l’eau est agitée. Préfecture de Nagasaki, 1962. (© Haga Hideo)

Une ama, une pêcheuse en apnée. Ses outils pour récolter les fruits de mer sont attachés à la cordelette qu’elle porte autour de la taille. Elle tape légèrement sur le bastingage pour demander aux dieux de la protéger pendant son travail. Préfecture d’Ishikawa, 1962. (© Haga Hideo)
Une collection de photos hors-pair
À partir des années 1960, Haga s’est aussi mis à réaliser des clichés dans d’autres pays que le Japon. Durant l’Expo universelle de 1970 d’Osaka, il s’occupe de la mise en scène de l’espace « Festivals du monde, festivals du Japon », ce qui sans nul doute éveille sa curiosité au sujet du folklore des autres pays. Ses pèlerinages photographiques fournissent l’impulsion pour la création en 1984 de la Bibliothèque Haga, dotée au départ de 300 000 de ses photos prises dans 70 pays. Avec l’addition d’images d’autres photographes ayant le même regard, la collection compte désormais plus de 400 000 photos, et constitue la première bibliothèque du folklore au monde.
Au fil des années, Haga publie de nombreux recueils de photos, plus de 70 en tout. Nihon no Minzoku (Le Folklore du Japon), publié en 1997, regroupe ses photos phares en deux volumes. Shashin minzokugaku : Tôzai no kamigami (L’Étude du folklore en photos : les divinités d’orient et d’occident) est publié en 2017, lorsque Haga a 95 ans. Ce volume explore l’étude du folklore, la grande passion de sa vie, et témoigne de l’ampleur et de la richesse incomparable du travail photographique qu’il a accompli.

Sakaki oni : l’arrivée de ce démon (oni) est l’apothéose du Hana matsuri, un festival qui a lieu de novembre à janvier dans la partie nord de la préfecture d’Aichi. Le comédien se transforme en démon en mettant ce masque, ce qui lui donne la force de manier une énorme hache durant toute la cérémonie. Préfecture d’Aichi, 1972. (© Haga Hideo)

Muradachi : une scène d’un festival qui a lieu au sanctuaire de Kunitsu. Après un repas festif organisé par les notables, les participants un peu éméchés forment un cortège joyeux pour ramener le gohei, un bâton décoré de guirlandes de papier, au sanctuaire. Préfecture de Fukui, 1973. (© Haga Hideo)

Ennen no mai : l’angle de cette photographie est atypique. Elle montre le mouvement dynamique associé à cette danse rituelle effectuée afin de prier pour la longévité, au temple de Môtsû-ji, à Hiraizumi, tous les ans le 20 janvier. Préfecture d’Iwate, 1979. (© Haga Hideo)

Saidaiji eyô. Ce rituel se tient tous les ans en février au temple Saidai-ji, connu pour son Hadaka matsuri (festival nu). Cette photographie est imprégnée de l’énergie des hommes nus se bousculant pour attraper l’amulette sacrée shingi. Préfecture d’Okayama, 1979. (© Haga Hideo)

Mayunganashi, un rite de l’île d’Ishigaki. Les villageois offrent des mets raffinés aux divinités qui arrivent de « Nirai », la terre des dieux. Le lien étroit entre les divinités et leurs hôtes ressort dans cette photographie. Préfecture d’Okinawa, 1988. (© Haga Hideo)

Hibuse no tsukai : vêtus de costumes de paille, les hommes qui démarrent une année néfaste, appelée yaku-doshi, portent des bâtons gohei décorés de guirlandes en papier. Ils poussent d’étranges cris en défilant dans les rues de la ville qu’ils aspergent d’eau. Ce sont des émissaires des divinités. Préfecture de Miyagi, 1996. (© Haga Hideo)
Comment partager cet héritage ?
Haga est décédé en 2022, à l’âge de 101 ans. Bien qu’il était en fauteuil roulant les dernières années, sa passion pour la photo ne l’a jamais quitté. Son fils, Hinata, gère sa bibliothèque de photos. En collaboration avec Nippon.com, celui-ci a entrepris de numériser toutes les photos de son père et de les rendre disponibles à travers le monde pour mieux faire connaitre le travail titanesque de son père. Les clichés artistiques ne font pas forcément de bonnes photos documentaires, mais les bonnes photos documentaires sont vraiment artistiques. Comment utiliser cet héritage de la meilleure des manières ? Cette réflexion est encore en cours. Mais il n’y a aucun doute que le partage de ce précieux patrimoine avec les générations futures aura un retentissement bien plus fort que ce que l’on imagine.

Jûsan iwai (« célébration des 13 ans ») : les filles effectuent ce rite lorsqu’elle atteignent l’âge de 13 ans, selon le calcul traditionnel de l’âge. Il s’agt de la seule fête qui honore les filles au sein de leur maison. L’expression tendue de cette fille vêtue d’un kimono neuf laisse une impression profonde. Île d’Okinoerabu, préfecture de Kagoshima, 1957. (© Haga Hideo)

Des négatifs du jûsan iwai. Cette séquence de photographies est précieuse car elle témoigne du comportement de la jeune fille durant le rite. (© Haga Hideo)
(Photo de titre : la cérémonie yûkui sur l’île d’Iriomote tourne autour de la visite de la divinité Miroku. Celle-ci porte un masque de Hotei, l’un des sept dieux du bonheur dans le panthéon bouddhique, et tient un éventail de commandement gunbai dans la main droite. Il est accompagné de chanteurs et de musiciens. Préfecture d’Okinawa, 1988. © Haga Hideo)