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Les « yoji jukugo », ou l’art de la concision des expressions japonaises en quatre caractères

Le japonais

« Tomber sept fois, se relever huit » ; une expression passée dans le langage courant, louant celui qui persévère, quoi qu’il en coûte, faisant fi des défaites essuyées. Cherchez sur Internet cette phrase et vous trouverez une multitude d’images toutes plus motivantes les unes que les autres arborant fièrement ces quelques mots – et même des tatouages. En japonais, il suffit seulement de quatre caractères pour traduire cette phrase :七転八起 (shichiten hakki), un exemple typique de ce qu’on appelle les « yoji jukugo ».

Les yoji jukugo sont constitués de quatre idéogrammes, ou kanji, mis les uns à la suite de l’autre. On les utilise principalement à l’écrit, donnant du relief à un récit, tout en transmettant un certain nombre d’informations au lecteur avec seulement quatre caractères. C’est tout ça, les yoji jukugo. Comme les proverbes dans notre langue, beaucoup sont obscurs ou littéraires, mais certains sont extrêmement connus. On les apprend à l’école primaire, et certains yoji jukugo sont même passés dans le langage courant.

Les Daruma sont communément associés au proverbe « tomber sept fois, se relever huit », car un poids au niveau de leur base leur permet de se relever à chaque fois qu’ils se renversent.
Les poupées Daruma sont communément associés au proverbe « tomber sept fois, se relever huit », car un poids au niveau de leur base leur permet de se relever à chaque fois qu’ils se renversent. (Photo : Pohan Chen/flickr)

Des origines variées

Si certains yoji jukugo proviennent du japonais courant, d’autres trouvent leurs origines dans des épisodes de l’histoire de la Chine. L’expression 呉越同舟 (Go-Etsu dôshû) en est exemple. Elle fait référence à des ennemis se retrouvant « dans le même bateau ». Elle décrit une alliance tout à fait inattendue entre deux personnes ; à bien y regarder quelque peu différente donc de l’expression « sur le même bateau ». En fait, ce yoji jukugo remonte à une anecdote décrite par le général Sun Tzu (VIe siècle avant J.-C) selon laquelle des ennemis des anciens États chinois de Wu et Yue (Go et Etsu en japonais) se prêtaient, contre toute attente, main forte lors d’une tempête en mer.

D’autres yoji jukugo encore trouvent leurs origines dans le bouddhisme. Par exemple, 諸行無常 (shogyô mujô), dont les quatre kanji signifient respectivement « divers », « choses », « rien » et « permanent », se traduit ainsi par « toute chose est éphémère ». Un autre yoji jukugo, lui aussi originaire du bouddhisme, 言語道断 (gongo dôdan), a vu sa signification évoluer au fil des époques. Initialement, il signifiait que les vérités profondes ne peuvent être exprimées par des mots, mais il veut maintenant tout simplement dire « inqualifiable », dans le sens de « scandaleux » ou « absurde ».

Une expression connue empruntée à l’anglais est également passée dans le langage courant en japonais. To kill two birds with one stone, littéralement « tuer deux oiseaux avec une seule pierre », en japonais se dit一石二鳥 (isseki nichô). En français également, l’expression est proche ; « faire d’une pierre deux coups ». Chacun des kanji qui composent ce yoji jukugo signifient successivement « un », « pierre », « deux » et « oiseau ». Ces caractères font partie des 240 caractères enseignés aux élèves des premières années d’école primaire. Celui-ci est plutôt facile à retenir, surtout pour les anglophones et les francophones.

Phrases faisant intervenir des nombres

Le plaisir esthétique des yoji jukugo, par rapport à d’autres proverbes, réside dans leur équilibre parfait. Parfaitement symétriques, ces phrases à quatre kanji peuvent être décomposées en deux paires de caractères, qui souvent se répètent ou marquent un contraste pour créer un effet d’accentuation. Ainsi, la phrase 一喜一憂 (ikki ichiyû) en est un bon exemple. À eux seuls, ces quatre caractères expriment « la turbulence émotionnelle de la réaction à une situation changeante » : « une joie, une tristesse » ; en d’autres termes « passer par des hauts et des bas face à une situation ». Autre exemple, l’expression 一進一退 (isshin ittai), qui traduit une impasse : « un pas en avant » et « un pas en arrière » .

De nombreux autres yoji jukugo utilisent des chiffres. 再三再四 (saisan saishi) – composés des caractères « encore », « trois », « encore », « quatre » – signifie « encore et encore ». 十人十色 (jûnin toiro) – « dix », « personnes », « dix », « couleurs » – exprime l’idée que les opinions et les goûts varient d’une personne à une autre.

Il existe également une variante moins inspirante de 七転八起 (shichiten hakki) « tomber sept fois, se relever huit » : 七転八倒 (shichiten battô), qui signifie littéralement « tomber sept fois, retomber huit »,  qui veut dire en réalité « se tordre de douleur ».

Exemples de yoji jukugo

馬耳東風 baji tôfû « le vent de l’est dans l’oreille d’un cheval », ce qui rentre dans une oreille ressort par l’autre (faire la sourde oreille)
酒池肉林 shuchi nikurin « étangs d’alcool, forêts de viande », un banquet somptueux (bombance)
無我夢中 muga muchû « pas de soi, au milieu d’un rêve », être complètement absorbé par quelque chose (avec acharnement, à corps perdu)
単刀直入 tantô chokunyû « une attaque directe par un seul épéiste », aller à l’essentiel (ne pas tourner autour du pot)
以心伝心 ishin denshin « transmis d’un cœur à l’autre », une communication qui se passe de mot (être sur la même longueur d’onde)
異口同音 iku dôon « différentes bouches, un seul son », d’une seule et même voix (à l’unisson)

De la matière pour la matière grise ?

Les yoji jukugo sont communément définis comme des expressions imagées ou idiomatiques, comme les exemples que nous avons vus ci-dessus. Une école de pensée, cependant, prend seulement en compte le fait qu’ils soient composés de quatre caractères. Ainsi des expressions des plus banales telle que 立入禁止 (tachiiri kinshi), qui signifie « interdiction d’entrée » ou encore 高速道路 (kôsoku dôro), « autoroute », seraient elles aussi au même titre considérées comme des yoji jukugo.

Une anecdote permet de bien comprendre la différence. Un jour, un enseignant demande à ses élèves de compléter le yoji jukugo __肉__食, attendant la réponse 弱肉強食 (jakuniku kyôshoku). Il écrit les kanji signifiant « faible » et « viande » à côté de « fort » et « manger » pour obtenir l’expression signifiant « la loi du plus fort ». Mais un élève donne la réponse 焼肉定食 (yakiniku teishoku), qui signifie simplement un menu de viande grillée...

Techniquement, la réponse de l’élève est correcte, mais c’est le fait qu’elle ne corresponde pas aux attentes du professeur qui est drôle. Les yoji jukugo sont avant tout considérés comme des expressions idiomatiques. Celles et ceux qui aiment apprendre des langues étrangères en trouveront bien d’autres ; les dictionnaires en regorgent, dans tous les domaines. Les yoji jukugo sont certes courts donc vraisemblablement faciles à retenir mais pour ceux qui apprécient la beauté de la langue en elle-même, toute cette poésie exprimée en seulement quatre caractère est un terrain d’exploration privilégié.

(Photo de titre : le yoji jukugo « ichigo ichie » qui signifie que chaque moment de vie est absolument unique)

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