Le train miniature offert par les Américains qui a poussé le Japon à se moderniser

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Les trains ont sans aucun doute été l’une des technologies qui ont le plus influencé l’histoire du Japon, modifiant radicalement le paysage du pays et de ses villes. Afin de pousser l’Archipel à s’ouvrir aux relations commerciales au milieu du XIXe siècle, le gouvernement américain a vanté les charmes de l’Occident en leur offrant une petite locomotive. Les Japonais en ont été fascinés.

Une mini locomotive en cadeau de la part des États-Unis

Les origines de l’engouement du Japon pour les trains remonte à plus de 160 ans. En juillet 1853, Yevfimiy Putyatin, membre de la marine russe, effectue la première démonstration d’une machine à vapeur miniature devant un petit public sur son navire au large de Nagasaki. Parmi les personnes présentes, Nakamura Kisuke, qui a ensuite travaillé avec l’inventeur de renom Tanaka Hisashige pour construire un modèle basé sur ce qu’il a observé.

La visite du commodore américain Matthew Perry en 1853 au cours de laquelle ce dernier transmet la demande du gouvernement américain pour que le shogunat ouvre le Japon au commerce est intervenue un mois avant celle de Putyatin. À son retour en 1854 dans la région d’Edo (Tokyo), Perry invite les membres du shogunat à observer de près les merveilles de l’Occident.

Selon Francis L. Hawks, qui a écrit « Récit de l’expédition d’un escadron américain dans les mers de Chine et au Japon » (Narrative of the Expedition of an American Squadron to the China Seas and Japan), les Japonais ont été surpris par les artefacts que le gouvernement américain avait envoyés en cadeau au souverain de l’Archipel. Parmi ces présents, il y avait une « mini locomotive, une voiture et une somme d’argent » ainsi qu’une piste circulaire d’un peu plus de 100 mètres de long. Ce train à vapeur, un peu comme un jouet fantastique, a immédiatement captivé l’esprit.

Bien que le wagon de la locomotive soit « si petit qu’il puisse à peine transporter un enfant de six ans », certains des fonctionnaires qui l’ont vue rouler ont insisté pour faire un tour dessus. Ainsi, mettant leur gêne de côté, ils ont fini par monter sur le toit au lieu de pénétrer à l’intérieur, s’accrochant désespérément à leurs robes amples volant au vent alors qu’ils tournaient autour de la piste. Hawks écrit que lors d’une démonstration ultérieure, les spectateurs japonais « n’ont pas pu réprimer leurs cris de joie à chaque coup de sifflet à vapeur ».

Un des samouraïs à être monté à bord du train, cependant, offre une perspective différente dans ses écrits. Kawada Hachinosuke décrit comment il a sereinement observé le véhicule, l’a esquissé et a pris des notes pour une étude plus approfondie. Il est apparemment lui aussi monté sur le toit afin de découvrir le train en mouvement par lui-même dans un esprit d’enquête scientifique.

Un train freiné par le shogunat

Ce train-cadeau a contribué à alimenter le mécontentement qui a conduit à la chute du shogunat lors de la Restauration de Meiji (1868). Pour les membres de l’élite éduquée, c’était un argument visible et convaincant que le Japon était un pays sous-développé, retenu aux portes du progrès technologique par les politiques isolationnistes du shogunat. Pour de nombreux intellectuels, le sakoku (la période d’isolement international général imposé par les dirigeants Tokugawa depuis 1635) avait détourné le Japon des voies naturelles d’avancement suivies par d’autres pays, qui bénéficiaient du libre échange des connaissances.

Alors que la pression étrangère sur le Japon pour importer la technologie avait commencé dans les années 1850, le premier chemin de fer n’a été construit qu’après la création du gouvernement de Meiji. Les négociations pour trouver l’investissement nécessaire ont commencé dès que le pouvoir politique a été officiellement rétabli à Mutsuhito, l’empereur Meiji, en 1868. Richard Brunton, un ingénieur des chemins de fer britannique qui avait été nommé par le nouveau gouvernement pour construire des phares, faisait partie de ceux qui ont donné leur avis sur les plans pour construire une ligne de chemin de fer entre Tokyo et Yokohama.

C’était un choix naturel pour la première connexion ferroviaire du Japon. Tokyo était la capitale et le centre du pouvoir politique, et à proximité de Yokohama se trouvait un important groupement international où vivaient des centaines d’étrangers, y compris des membres de missions diplomatiques et des experts engagés par le gouvernement japonais pour introduire les méthodes et technologies occidentales. La nouvelle du plan s’est rapidement répandue, attirant des investisseurs à l’étranger. Du personnel étranger, majoritairement britannique, a alors été engagé pour faire de ce chemin de fer une réalité.

Un symbole de la modernisation du Japon

Lors de la création de la première ligne ferroviaire du Japon, des experts étrangers ont été impliqués dans tous les aspects du projet, de la pose des rails à la construction des gares. Aucun, cependant, n’a exercé son travail sans la supervision de responsables japonais. Inoue Masaru était l’un de ces superviseurs.

Il était membre des « cinq génies de Chôshû », un groupe de samouraïs parti étudier en Grande-Bretagne en 1863, quelques années avant l’effondrement du shogunat des Tokugawa. Inoue a appris le génie civil à Londres et est revenu en 1868 dans son pays, où il a été nommé chef du Bureau des chemins de fer en 1871. Il était l’un des plus éminents défenseurs de l’introduction de ce nouveau mode de transport au Japon, et on se souvient aujourd’hui de lui comme le « père des chemins de fer japonais ». (Voir notre article lié : Les « cinq génies de Chôshû » et la fondation d’un État moderne au Japon)

La première locomotive à vapeur importée au Japon de Grande-Bretagne, construite en 1871, est actuellement exposée au Railway Museum de la préfecture de Saitama.
La première locomotive à vapeur importée au Japon de Grande-Bretagne, construite en 1871, est actuellement exposée au Musée des Chemins de fer, dans la préfecture de Saitama.

Le 14 octobre 1872, la première ligne de chemin de fer du Japon a été officiellement inaugurée. L’empereur lui-même était présent ce jour-là, aux côtés de responsables gouvernementaux et de diplomates, des ambassadeurs du royaume Ryûkyû (l’actuelle préfecture d’Okinawa), et même des chefs du peuple indigène des Aïnous, tels que décrits par l’orientaliste américain William Elliot Griffis, qui a assisté à la cérémonie.

Le Japon a adopté le transport ferroviaire avec enthousiasme et a ensuite fait importer davantage de locomotives, de matériel roulant et de rails pour étendre le réseau. Dans les années qui ont suivi, de nombreuses autres villes japonaises ont été reliées par les chemins de fer, et les trains, avec l’architecture en brique, sont devenues les symboles de la modernisation du Japon. En 1896, Inoue Masaru a créé la société par actions (SPA) Kisha Seizô à Osaka en tant que premier fabricant de locomotives au Japon. Il a été l’un des piliers du développement ferroviaire du pays jusqu’en 1972, date à laquelle la compagnie a fusionné avec Kawasaki Heavy Industries.

Même sans le cadeau du commodore Perry, les Japonais auraient tôt ou tard adopté le transport ferroviaire. Mais cette spectaculaire manifestation de 1854 devant l’élite d’Edo est restée dans les mémoires comme l’un des éléments clefs à avoir déclenché la modernisation du Japon.

(Voir également notre article : La révolution industrielle du Japon : rattraper les puissances occidentales)

(Photo et texte : rédaction de Nippon.com. Photo de titre : la gare de Tokyo, l’un des bâtiments emblématiques représente les prémices des réseaux de chemins de fer japonais et l’architecture du Japon moderne.)

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