Plus de femmes en politique, mais pour quand ?

Société Politique

Concernant l’égalité homme-femme dans le monde politique, disons-le clairement, le Japon est très en retard. Une loi sur la parité dans ce milieu est entrée en vigueur en mai 2018. Va-t-elle réellement changer les choses ? Nous en discutons avec Miura Mari, professeur à l’Université Sophia, qui a participé à l’élaboration de ce texte.

Miura Mari MIURA Mari

Née en 1967. Professeur à la faculté de Droit de l’Université Sophia de Tokyo. Spécialiste de politique japonaise contemporaine, de la théorie de l’État-providence et des études de genre. Docteur en sciences politiques de l’Université de Californie de Berkeley (UCB).

Le Japon n’en est pas fier : au classement mondial 2018 concernant la représentation féminine en politique, l’Archipel n’arrive qu’au 165e rang sur 193. Mais en mai 2018, une loi dite « pour la promotion de la participation égale des hommes et des femmes dans le domaine politique », qui résulte d’initiatives citoyennes féminines, est entrée en application. Même s’il est non contraignant, ce texte a néanmoins une grande portée, nous explique Miura Mari.

(Note : sur l’égalité des sexes en général, le rapport 2019 du Forum économique international publié le 17 décembre 2019 a classé le Japon 121e sur 153 pays...)

Le rôle clef des médias

— Quelle signification revêt l'augmentation du nombre de femmes en politique ?

MIURA MAMI  Que les femmes ne constituent qu’un dixième environ de la représentation nationale, alors que la moitié des électeurs sont des femmes, constitue un problème pour la démocratie. Plus la communication entre les électeurs et le personnel politique est riche, meilleure est la qualité de la politique. Certains thèmes, à commencer par les violences sexuelles, sont plus faciles à aborder pour les électrices avec des femmes parlementaires.

Dans une société où le modèle masculin est la référence, les problèmes des femmes ont tendance à être écartés et considérés comme des questions particulières car périphériques. Ainsi, le rôle qu’on peut attendre des femmes parlementaires est de faire de ces questions des sujets politiques.

Des femmes assistent depuis les tribunes de la Diète réservées au public à l’adoption de la loi sur la parité dans le monde politique le 16 mai 2018 (Jiji)
Des femmes assistent depuis les tribunes de la Diète réservées au public à l’adoption de la loi sur la parité dans le monde politique le 16 mai 2018. (Jiji Press)

— Les premières élections nationales après l’adoption de cette loi seront celles de la Chambre des Conseillers en juillet prochain. Quels sont les effets de cette loi à l’heure actuelle ?

M.M. Déjà, nous pouvons constater que les médias portent un intérêt croissant pour les candidates femmes. Je pense que cela a un impact positif sur celles qui hésitent encore à faire acte de candidature.

Les médias comparent aussi les initiatives prises par les différents partis pour soutenir les candidatures féminines. La pression est donc très forte. Ainsi, pour les élections de la Chambre des Conseillers en juillet, le Parti démocrate constitutionnel s’est fixé l’objectif de 40 % de candidates femmes, le Parti communiste de 50 %, et le Parti démocrate du peuple de 30 %. Les partis d’opposition sont déterminés à montrer à quel point ils s’activent. Et cela a une influence sur le parti au pouvoir, le Parti libéral démocrate (PLD) qui envisage sérieusement de promouvoir lui aussi les candidates femmes.

Actuellement, les femmes occupent 20,7 % des sièges de la Chambre des Conseillers, par rapport à 10,1 % dans celle des Représentants. La moitié des membres de la Chambre des Conseillers est renouvelée tous les 3 ans pour un mandat de 6 ans, alors toute la question est de savoir quelle sera la proportion des femmes à ce moment-là, en 2025.

— Les médias rapportent que certains partis politiques ont du mal à recruter des candidates femmes...

M.M. Le processus de sélection des candidats au sein des partis est opaque, et le problème est que personne, sauf les gens qui ont les contacts adéquats, ne sait comment se porter candidat. Dans les élections locales, il y a beaucoup de candidats indépendants, mais dans une élection nationale, il est impossible d’être élu sans l’homologation d’un parti.

Les partis politiques n’ont pas d’opportunité de créer des liens avec des personnes éloignées des réseaux existants, forcément masculins, et ils ne réussissent pas à localiser de nouveaux « gisements » de candidats potentiels. Si les partis s’ouvrent davantage, cela leur permettra de rassembler une plus grande diversité de personnes. Les partis eux-mêmes doivent se réformer.

Le problème du harcèlement sexuel en politique

— La loi sur la parité nécessite un environnement qui facilite la présence de femmes parlementaires. Mais le harcèlement sexuel dont elles peuvent être victimes est-il un obstacle majeur à leur participation à la vie politique ?

M.M. Les Européens et les Américains auront peut-être du mal à le croire, mais au Japon, beaucoup pense que la politique est un domaine réservé aux hommes. Parmi eux, certains sont prêts à utiliser des moyens peu honorables pour éliminer les femmes de la politique, et il est à craindre que l’attention portée par les médias aux candidates femmes les poussent à réagir de manière excessive. Nous sommes parvenus à un stade où il faut mener des enquêtes pour comprendre la situation et définir des mesures pour lutter contre le harcèlement sexuel et les attaques envers les femmes engagées dans la politique.

Si l’on veut éliminer ce grave problème, les partis et les assemblées doivent tous prendre leurs responsabilités à cet égard. En clair, ils doivent rendre plus facile la candidature de femmes en assumant la responsabilité qui est la leur de les protéger du harcèlement venant du parti ou de leurs partisans.

En 2014, alors que Shiomura Ayaka, une femme membre du conseil municipal de Tokyo, posait des questions sur le système de soutien aux femmes enceintes et à la maternité, elle s’est fait huer par des conseillers hommes qui lui ont ont crié qu’elle ferait mieux de se marier rapidement (voir notre article lié). Voici une forme de harcèlement sexuel. Le conseil municipal de Tokyo s’est uniquement contenté de les réprimander légèrement... Il faut plutôt que les assemblées élues définissent un code de conduite, et créent des instances chargées de traiter les plaintes qui leur sont adressées.

Et puis, parlons du harcèlement sur les réseaux sociaux également. Pour lutter, il faut que les responsables de ces réseaux développent des mesures contre les propos haineux visant les femmes.

— Que pensez-vous de la manière dont les médias traitent les femmes membres des assemblées ?

M.M. Quand les médias parlent des femmes politiciennes, ce n’est pas à propos de la manière dont elles travaillent, mais plutôt sur leur apparence, leurs vêtements ou leur vie privée. Comme elles ne sont pas nombreuses, même les nouvelles élues attirent l’attention. Cela est sans doute un avantage pour quelqu’un qui fait de la politique, mais attention, car une seule erreur peut les mettre en péril. Passe encore s’il s’agit d’une faute politique, mais s’il s’agit d’un scandale lié à une aventure sentimentale par exemple, cela jouera presque toujours en leur défaveur. Il est important de montrer de nouvelles images de femmes dans des rôles décisifs, aussi afin de faire disparaître les stéréotypes qui existent dans les médias.

Le manque de compétition entre les partis : une autre barrière

— Pouvez-vous résumer la situation des femmes parlementaires des 30 dernières années ?

M.M. Les élections de 1989 à la Chambre des conseillers ont été une étape importante. Le pourcentage de femmes élues a atteint 18 % du total, et on a parlé à l’époque du « tourbillon des Madones ». Les années 1990 ont vu l’effondrement de la domination du PLD, et la réforme électorale de 1994 a contribué à créer une ère du progrès pour les femmes parlementaires.

Si l’on regarde de près les avancées en matière de mesures liées aux femmes, on constate que la période entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000 les a vues se succéder. En 1994, la loi sur le travail à temps partiel, en 1995, celle sur le congé d’éducation et de soin aux personnes dépendantes, en 1999, la loi fondamentale sur la participation égale des hommes et des femmes à la société, et en 2001, la loi sur les violences conjugales. Toutes ces mesures ont été promues par des femmes parlementaires.

Et puis, dans les années 2000, le Premier ministre Koizumi Junichirô a opté, lors des élections générales de 2005, pour une stratégie visant à augmenter le nombre de femmes élues, et le PLD a ensuite encouragé les candidatures de femmes jusqu’à un certain niveau. En 2009, le nombre de femmes parlementaires a augmenté avec la naissance du Parti démocrate qui comptait un nombre relativement important de femmes parlementaires. 

Mais globalement, on peut parler d’une stagnation. De plus, la situation actuelle, dans laquelle ce sont des hommes influents qui choisissent les femmes candidates, empêchent la solidarité entre femmes à l’intérieur et à l’extérieur des partis. Il est aujourd’hui impossible pour elles de collaborer au-delà des partis et d’élaborer ensemble des mesures comme elles le faisaient dans les années 1990.

— La perception d’une répartition des rôles en fonction du sexe fait obstacle à la participation des femmes à la vie politique dans tous les pays, mais existe-t-il des spécificités japonaises à cet égard ?

M.M. À l’étranger, les femmes parlementaires sont plus nombreuses parce que la concurrence est rude entre les partis et qu’il emerge toujours de nouveaux candidats. Mais au Japon, l’alternance politique est extrêmement limité. Le PLD est au pouvoir depuis bien longtemps... Comme les hommes en règle générale continuent à occuper la place qu’ils ont obtenue et qu'ils ne se retirent pas de la politique, il n’y a pas d’opportunité pour les femmes de s’y immiscer. La loi sur l’égalité n’est qu’un premier pas. Il faudra sans doute un système de quota à l’avenir.

Des jeunes lycéennes motivées par la politique

— La loi sur la parité demande à tous les partis des programmes pour former des personnes à la politique, et vous-même avez créé un cours de formation de femmes en position de leadership. Quelle est votre objectif ?

M.M. Je suis co-présidente de l’Académie de la parité, et j’anime un programme de formation de femmes leaders, dont l’objectif est d’éveiller des jeunes femmes à la politique. Si les femmes ne se lancent pas dans la politique aujourd’hui, c’est parce qu’elles en ont une vision trop étroite. Elles ne font pas le lien entre ce monde et les problèmes du quotidien auxquels elles sont confrontées, comme le harcèlement sexuel ou les attouchements dont elles sont victimes dans les transports en commun. Car oui, ce sont aussi des questions politiques ! Tout comme les problèmes touchant les différentes étapes de leur vie, entre lycée, université, recherche d’emploi, travail, mariage ou éducation des enfants... Je le répète, mais j’aimerais qu’elles prennent conscience que toutes ces questions sont d’ordre politique. Nous avons vraiment besoin de la participation des femmes.

Beaucoup de lycéennes ont pris part à cette formation l’an passé. Le problème commun à toutes les participantes était les attouchements dans les transports. Quand elles en parlaient à leurs professeurs, ceux-ci leur répondaient qu’elles n’avaient qu’à changer de train. Elles ne faisaient pas confiance aux adultes parce qu’elles pensaient qu’ils ne les écoutaient pas. Pour prendre un autre exemple, une lycéenne a décidé de suivre cette formation parce que le professeur à qui elle avait fait part de son désir de se porter candidate à la fonction de président des élèves lui avait répondu que ce n’était pas ouvert aux filles...

Un autre aspect problématique est la mauvaise image qu’ont les jeunes des politiciens. Lorsque les femmes parlementaires parlent de leur travail, elles expliquent qu’il s’agit d’être à l’écoute des citoyens, de réfléchir à la manière de changer le droit et les budgets pour résoudre les divers problèmes qui se présentent et, pour finir, de coordonner leur point de vue avec ceux des autres afin de changer les règles dans la direction souhaitée. Beaucoup des participantes à cette formation sont très étonnées, car elles ignoraient que c’était ça, le travail des parlementaires. Cela les a grandement motivées pour poursuivre la formation.

Au total, il y a eu trois sessions de formations, avec un total de 60 participantes. Si elles deviennent parlementaires un jour, quel air frais elles apporteront à nos institutions ! Et cela fera sans doute émerger des questions politiques cachées jusque là...

(Interview et texte de Itakura Kimie, de Nippon.com)

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