Soigner le design et le petit-déjeuner : un entrepreneur japonais rénove de vieux bâtiments en hôtels

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Détruire pour reconstruire, c’est l’approche qui est de mise depuis des décennies dans le développement commercial du Japon. Kajiwara Fumio, lui, ne le voit pas de cet œil. Pour cet entrepreneur à l’esprit innovateur, au contraire, les bâtiments des années 1960 et 1970 sont des « reliques » auxquelles il a à cœur de donner une nouvelle valeur : un hôtel chaleureux qui mise tout sur le design... et le petit-déjeuner ! Des exemples de ses réalisations peuvent être trouvées à Kyoto ou Tokyo, et ses compétences ont aussi conquis Pékin.

Kajiwara Fumio KAJIWARA Fumio

Président directeur général de UDS Ltd. et de UDS Chine. Né en 1965 à Tokyo. Il effectue des études d’architecture à l’université Tôhoku. Son diplôme en poche, en 1992, il lance Urban Design Systems, prédécesseur d’UDS Ltd. L’entreprise se fixe pour objectif de donner une nouvelle valeur esthétique, sociale et économique à des bâtiments grâce à la planification, la conception et la gestion intégrées d’hôtels et autres propriétés commerciales innovantes.

« Le vieux c’est mieux »

L’approche de promotion immobilière commerciale de la société UDS de Kajiwara Fumio est peu banale : elle met l’accent sur la rénovation et l’innovation, ainsi que sur l’intégration verticale des processus de planification, de conception et de gestion. L’hôtel Anteroom Kyoto, qui a ouvert ses portes en 2011, est un excellent exemple des mille et un avantages qu’apporte cette méthode peu conventionnelle.

KAJIWARA FUMIO  À l’origine, le bâtiment était un dortoir pour étudiants rattaché à un yobikô de Kyoto (une école préparant les futurs étudiants aux examens d’entrée à l’université de leur choix). Un grand nombre de ces écoles ont dû réduire leurs effectifs voire fermer, la population scolaire du Japon se réduisant telle une peau de chagrin. Devant un tel crève-cœur, le propriétaire du bâtiment lui-même est venu chez UDS, se demandant s’il y avait un moyen de trouver une autre utilisation à la propriété.

À l’époque, le côté sud de la gare de Kyoto était commercialement mort, malgré sa proximité avec la gare. Hôtels, cafés et centres d’activités communautaires ; tout y manquait. Nous voulions donc construire un hôtel qui changerait la dynamique en concentrant les activités touristiques et commerciales vers le quartier.

J’ai une formation en design architectural, je comprends donc aisément le désir des architectes de créer eux-mêmes de A à Z de nouveaux bâtiments ex nihilo. Mais les villes japonaises regorgent de bâtiments en béton construits pour durer au moins cinquante, parfois cent ans. Cela m’a paru paradoxal ; pourquoi devrions-nous continuer sans cesse encore et encore de construire de plus en plus de bâtiments, alors même que la population diminue ? J’étais aussi pleinement conscient des questions environnementales et j’ai eu le sentiment que si je devais m’engager dans le développement immobilier, ce ne serait pas n’importe comment ; de manière à minimiser l’impact sur l’environnement. Je me suis dit que la chose la plus la censée à faire était donc d’utiliser au mieux ce que nous avions déjà à portée de main.

Avec l’hôtel Anteroom, nous nous sommes justement refusés à construire un bâtiment de zéro. Au contraire, nous avons préféré en rénover et en réaménager un vieux. Restait encore à ce que les clients adhèrent à notre pensée : « le vieux c’est mieux ».

L'hôtel Anteroom à Kyoto
L’hôtel Anteroom à Kyoto

Près de la réception, une galerie qui accueille fréquemment des expositions entre autres événements artistiques
Près de la réception, une galerie accueille fréquemment des expositions entre autres événements artistiques.

Soigner le petit-déjeuner : une garantie de satisfaction des clients

C’est dans cet esprit-là que UDS a conçu ce nouvel hôtel autour du thème « art et culture ». Sous la direction artistique du sculpteur Nawa Kôhei, des œuvres d’art contemporain ont été disséminées çà et là dans le bâtiment, et la décoration des différentes chambres a été confiée à différents artistes de renom. L’hôtel comprend également un appartement de service à l’usage d’un « artiste à résidence ».

Ne restait plus que le problème du petit-déjeuner…

K.F. Du point de vue de la gestion d’une entreprise, le type de petit-déjeuner le plus rentable est un menu quotidien fixe. C’est pourquoi aux quatre coins du Japon, les hôtels d’affaires servent peu ou prou chaque jour les mêmes petits-déjeuners aux mêmes tarifs. Mais les clients, eux, sont-ils vraiment satisfaits de cela ? J’en doute.

À Anteroom, nous sommes parvenus à élaborer un menu de petit-déjeuner créatif, renouvelé quotidiennement, tout en pratiquant des tarifs qui n’excèdent pas ceux d’hôtels d’affaires.

Pour les repas, la plupart des hôtels misent tout sur le dîner. Nous avons pensé qu’il était temps de changer la donne. L’industrie hôtelière japonaise s’est beaucoup transformé ces dernières années. Le secret, c’est qu’elle s’adapte à un grand nombre de touristes à la recherche d’un hébergement à prix raisonnable. À mon avis, on ne peut pas espérer rivaliser sur la seule base de l’efficacité. Le plus important est de se demander ce qui rend vos clients heureux. Un bon petit-déjeuner leur donne l’énergie nécessaire pour bien commencer leur journée, et c’est également lui qui laisse la dernière impression avant le départ. Les clients qui prennent un bon petit déjeuner juste avant de partir sont plus susceptibles de repartir satisfaits et impatients de revenir. Après, c’est un cercle vertueux ; si les clients sont satisfaits, le personnel est plus motivé et c’est l’atmosphère de l’hôtel tout entier qui en bénéficie.

(Voir notre article lié : Petit-déjeuner à l’hôtel Anteroom de Kyoto, un établissement où l’art contemporain est roi)

Au Japon, UDS a été l’un des premiers à s’intéresser à la rénovation et à la conversion de bâtiments anciens en hôtels-boutiques. L’hôtel Claska Meguro à Tokyo, qui a ouvert en 2003, fut le premier établissement à inaugurer le concept.

K.F. Le quartier de Meguro était aussi un peu éloigné des principaux centres d’affaires et des grandes artères de la ville, mais ce quartier nous plaisait. Il y avait beaucoup d’artistes entre autres créateurs qui y habitaient. Et dans la rue Meguro-dôri, où se trouvait l’immeuble, il y avait plein de boutiques de décoration d’intérieur intéressantes. La propriété elle-même, un hôtel construit vers 1970, était en mauvais état, mais j’ai véritablement eu le coup de foudre et dès que je l’ai vue, j’ai su que nous pourrions en faire quelque chose qui stimulerait le développement de la communauté.

Dans ce bâtiment, maintenant, vous trouverez un café, une galerie, un salon de toilettage pour chiens et un espace de travail pour les artistes, de sorte que l’hôtel est devenu un lieu de rassemblement polyvalent, intéressant pour toute la communauté et les quartiers environnants, et pas seulement pour les clients de l’hôtel.

Lorsque nous avons commencé à rénover le bâtiment qui allait devenir l’hôtel Claska, c’est à ce moment-là que j’ai vraiment compris la nécessité pour les hôtels de créer une nouvelle valeur en vue de la satisfaction des clients. Concevoir et gérer un hôtel, c’est épuisant. Personne ne tiendra si nos efforts ne sont pas récompensés par la joie de nos clients.

Le Bunka Hostel Tokyo, dans le quartier d'Asakusa
Le Bunka Hostel Tokyo, dans le quartier d’Asakusa

L’hôtel On the Marks à la gare JR de Kawasaki
L’hôtel On the Marks à la gare JR de Kawasaki

Le hall de l'hôtel Edit dans le centre de Yokohama
Le hall de l’hôtel Edit dans le centre de Yokohama

Le restaurant Ragout & Whisky House de l'hôtel Edit, où le buffet petit-déjeuner est très apprécié des clients.
Le restaurant Ragout & Whisky House de l’hôtel Edit, où le buffet petit-déjeuner est très apprécié des clients.

La naissance d’un entrepreneur japonais

Alors, où et comment Kajiwara Fumio a-t-il acquis les compétences pour en arriver ici ?

K.F. Déjà au lycée, je savais que je voulais monter ma propre entreprise, et j’avais hâte d’arriver sur le marché du travail et de gagner ma vie. Je ne pensais pas qu’un diplôme universitaire me serait nécessaire. Mais j’ai compris qu’un chef d’entreprise qui réussit doit avoir de l’endurance physique et mentale ainsi que des compétences en matière de leadership et d’organisation. Et je me suis dit que la meilleure façon d’acquérir toutes ces capacités était de faire partie d’une équipe sportive universitaire. Je me suis donc inscrit à l’université du Tôhoku, qui avait l’une des meilleures équipes d’aviron du Japon à l’époque.

Mon diplôme en poche, j’ai d’abord visé une petite entreprise, où je pourrais acquérir rapidement de l’expérience dans divers aspects du métier. Je m’étais déjà fixé pour but de me mettre à mon compte trois ans plus tard environ. Mais rien de tout cela ne s’est produit. J’ai fini par travailler pour Recruit Cosmos, une grande entreprise très renommée. C’était à l’époque du scandale Recruit (*1). J’ai pensé que ce serait une occasion rêvée pour moi de voir comment une entreprise pouvait se relever alors qu’elle était vraiment en mauvaise posture. Vous savez, je peux parfois être très contradictoire !

Kajiwara Fumio a passé trois ans chez Cosmos, la filiale de développement immobilier de Recruit : un an à la division de conception, un an à la division commerciale et un an à la division de planification. Cette expérience lui a permis d’acquérir des connaissances et des compétences très variées.

K.F. Pendant mes années chez Recruit Cosmos, j’ai été frappé de voir à quel point l’entreprise était cloisonnée. Si quelqu’un à la planification ou à la conception présentait une idée, la division commerciale lui répondait : « Ce ne serait pas rentable » et c’était terminé. Ceux qui travaillaient dans la division design ne comprenaient pas le côté commercial des choses et ceux qui travaillaient dans la division n’avaient absolument aucune notion de design, donc il y avait inévitablement un fossé de communication entre les clients et les utilisateurs d’une part et les designers d’autre part.

Aujourd’hui encore, il n’est pas commun que planificateurs et designers parlent directement aux clients de l’aspect commercial d’un projet de développement. Mais comment pouvez-vous concevoir un hôtel adapté aux besoins du client sans comprendre le fonctionnement et la gestion de l’hôtel ? Moi, je ne pense pas que cela soit possible. C’est pourquoi mon entreprise a maintenu une approche unifiée, en proposant un ensemble complet et intégré incorporant ensemble planification, conception et gestion.

Grâce à cette approche, nous avons peu à peu acquis une expérience et un savoir-faire dans la gestion d’établissements très différents, des hôtels relativement haut de gamme aux auberges de jeunesse. En plus de Claska et d’Anteroom, nous avons également l’hôtel Kanra Kyoto, l’hôtel Edit Yokohama, On the Marks Kawasaki et le Bunka Hostel Tokyo.

Cap sur la Chine

Kajiwara Fumio s’est par ailleurs efforcé d’être présent sur le marché chinois, en pleine expansion. En fait, il n’est rentré que récemment au Japon après avoir vécu sept ans à Pékin et à Shanghai.

K.F. Vous savez, je pense que si vous voulez espérer être véritablement présent sur un grand marché émergent, vous devez vous y prendre tôt. Nous avons entamé notre premier projet de développement commercial en Chine en 2006, il y a donc 14 ans. Et en 2013, j’ai lancé UDS China, avec des bureaux à Pékin et à Shanghai. Je m’étais donné cinq ans pour mettre l’entreprise sur pied et la faire fonctionner là-bas, avant de me tourner vers le marché de l’Asie du Sud-Est. Mais la Chine m’a donné beaucoup de fil à retordre, et cela a pris sept ans au lieu de cinq.

À Pékin et à Shanghai, j’ai été subjugué par la qualité du personnel chinois : dévoué, passionné et capable de travailler dans un environnement très compétitif. Cette expérience m’a convaincu que les Chinois vont transformer l’industrie hôtelière, et probablement le commerce mondial en général. Certaines des recherches les plus avancées au monde en matière d’IA sont menées en Chine. Alors, quelle place reste-t-il à l’industrie japonaise dans la région ? Bien sûr, nous pouvons mettre à disposition nos technologies innovantes, mais je pense que ce qui fait notre force, ce sont avant tout nos atouts traditionnels : l’artisanat, la créativité et l’hospitalité.

Le premier projet de collaboration entrepris conjointement par UDS Japon et UDS Chine a été l’hôtel Muji à Pékin, qui a ouvert ses portes en juin de cette année. Cet établissement fait partie de la ligne de produits Muji (Ryohin Keikaku Co., Ltd.), et le plan, comme la conception ou la gestion vont tous dans le sens de la philosophie de Mujirushi Ryôhin (qualité à des prix abordables par la simplification et la rationalisation).

Et bien sûr, nous n’oublierons pas le petit-déjeuner. Il retiendra comme toujours tout notre plus grande attention. Nous y réfléchissons encore mais avec le temps, nous comptons révolutionner le concept tout entier du « petit-déjeuner à l’hôtel ».

L'entrée principale du Muji Hotel Beijing
L’entrée principale du Muji Hotel à Pékin

La salle de lecture du Muji Hotel Beijing
La salle de lecture du Muji Hotel à Pékin

Une chambre au Muji Hotel  à Pékin
Une chambre au Muji Hotel à Pékin

(Photos de Kajiwara Fumio par Inomata Hiroshi. Photos du Muji Hotel avec l’aimable autorisation de Ryôhin Keikaku Co. Toutes les autres photos sont avec l’aimable autorisation de UDS)

(*1) ^ Le scandale Recruit est un scandale de délit d’initié et d’achat d’influence majeur qui a éclaté en 1988. Il a été révélé que le président de Recruit avait accordé un traitement de faveur à des politiciens et fonctionnaires du gouvernement en leur offrant des actions dans une nouvelle filiale immobilière, Recruit Cosmos, juste avant qu’elle ne soit nationalisée.

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