La culture pop nippone se mondialise

Babymetal : quand le heavy metal rencontre le kawaii

Culture

Le groupe d’idol Babymetal a pris d’assaut la scène mondiale du heavy metal avec un style de musique unique combinant riffs metal classiques et concerts explosifs, et des chansons sur des thèmes girly comme le chocolat. Le guitariste heavy metal de légende Marty Friedman, habitant de longue date du Japon, estime que le trio, qu’on les aime ou les déteste, donne un coup de pied dans la fourmilière du heavy metal.

Marty Friedman MARTY Friedman

Guitariste et producteur de musique. A joué avec le groupe Cacophony avant de rejoindre Megadeth en 1990. Ses talents de guitariste a permis au groupe de vendre 10 millions de disques au cours des dix années suivantes. Après avoir quitté Megadeth, il a produit une série d’albums solos à succès. Admirateur de longue date de la J-pop et d’autres genres musicaux japonais, il a déménagé au Japon en 2003. Actif sur la scène musicale japonaise, il apparaît régulièrement à la télévision et la radio japonaises. Nombreuses collaborations avec une grande variété d’artistes connus, y compris Aikawa Nanase, Ishikawa Sayuri, et des grands groupes d’idol tels que AKB48 et Momoiro Clover Z.

Le groupe d’idol (terme anglais utilisé au Japon pour désigner les jeunes artistes de la scène pop, prononcer « aïdolou ») Babymetal a pris d’assaut la scène mondiale du heavy metal, ralliant autant les fans que les critiques. Le groupe, qui a débuté en novembre 2010, est mené par la chanteuse et danseuse Su-metal avec à ses côtés Yuimetal et Moametal à la danse et aux « scream ». Babymetal est un mélange unique de J-pop et de heavy metal qui continue d’attirer l’attention à l’étranger. Le groupe conquiert aussi bien des fans habituels que des superstars telles que Lady Gaga, qui l’a invité à jouer à ses spectacles.

Le dernier album de Babymetal, Metal Resistance, est sorti le 1er avril 2016.

Le nouvel album Metal Resistance a rapidement fait son entrée dans le top 40 du classement Billboard – la première fois qu’un artiste japonais y arrive en 53 ans – et s’est hissé à la 15e place en Grande-Bretagne après sa sortie en avril dernier. Le trio d’adolescentes n’a cependant pas eu le temps de tranquillement savourer leur nouvelle renommée, car elles ont un programme chargé de concerts dans des festivals de musique en Europe et aux États-Unis ainsi que leur propre tournée mondiale en 2016.

Les raisons derrière le succès de Babymetal sont difficiles à cerner : les fans du genre soit adorent, soit décrient le groupe. Notre équipe s’est récemment entretenue avec la légende de la guitare heavy metal Marty Friedman pour savoir ce qu’il pense du groupe hybride idol-metal. Le musicien et producteur américain actif dans la scène musicale japonaise a suivi le projet Babymetal depuis ses débuts incertains jusqu’à ce qu’il devienne un succès planétaire. Se fondant sur sa connaissance de première main du groupe, il nous offre un aperçu rare des coulisses du phénomène Babymetal.

Une découverte musicale fortuite

——Vous vivez au Japon depuis 2003, mais votre intérêt pour la musique japonaise remonte à beaucoup plus loin. Comment avez-vous découvert la musique japonaise telle que la J-pop ou l’enka (ballades traditionnelles) ?

MARTY FRIEDMAN  J’ai vécu à Hawaï quand j’étais adolescent. Vers la fin de mon adolescence, je jouais déjà de la guitare depuis plusieurs années et j’étais assez bon, mais je voulais devenir meilleur. Tout le monde autour de moi jouait du jazz et de la fusion et ce n’était pas ce que je voulais faire. Je n’avais aucune idée de la direction que je voulais prendre jusqu’à ce que j’entende une chanson enka. Il y avait une station de radio à Honolulu qui passait de la musique japonaise, même si je ne savais pas ce que c’était jusque bien plus tard. Je ne comprenais pas les paroles, mais je pouvais ressentir l’émotion dans le chant. J’ai adoré l’interprétation des mélodies et pensé que je pouvais faire ressentir aux gens les mêmes émotions si je copiais ce son avec ma guitare. J’ai copié de manière précise les techniques qu’utilisent les chanteurs enka.

Cela a eu une très grande influence sur mon style de jeu. C’était très exotique pour les musiciens et les fans de rock normaux. Après être parvenu à copier les chanteurs enka, je me suis aperçu que je pouvais aussi intégrer à mon jeu des éléments d’autres genres de musique. C’est difficile de retracer mes influences, et honnêtement je ne suis même pas sûr d’où j’ai appris certaines choses. Mais tout a commencé avec le chant enka.

Le guitariste et producteur de musique Marty Friedman est actif sur la scène musicale japonaise depuis son arrivée au Japon en 2003. (© Howmic)

——Qu’est-ce qui vous a amené au Japon après avoir quitté Megadeth ?

FRIEDMAN  J’ai toujours aimé le Japon, mais je suis venu ici pour être dans la scène musicale japonaise. J’écoutais de la musique japonaise tout le temps, des artistes comme Amuro Namie, Hamazaki Ayumi, et tout ce que Tsunku et Komuro Tetsuya ont produit. La fin des années 1990 a été l’âge d’or de la J-pop et j’en suis devenu un grand fan. Jusque-là, les groupes japonais copiaient la plupart du temps de célèbres artistes américains comme Billy Joel, The Carpenters et Chicago. Mais à la fin des années 1990, la J-pop a développé son propre style distinct japonais.

En Amérique, on attache beaucoup d’importance aux capacités vocales des stars de la pop, mais cela ne signifie rien pour moi. C’est une bonne chose si quelqu’un peut chanter sur quatre octaves, mais ça n’a pas d’importance à mes yeux. Ce qui importe c’est de faire rencontrer une belle mélodie et un chanteur. Quand j’entends un son et qu’il me plaît, rien d’autre ne m’importe. C’est magique. Je trouve ça plus dans la J-pop que dans la musique américaine.

Les chansons japonaises sont souvent très complexes et finement organisées, ce qui n’est pas nécessairement meilleur, mais ça me tient intéressé. Le refrain peut être très long. Dans la musique américaine le refrain est habituellement une répétition d’environ quatre accords. Mais des chansons de groupes comme Ikimonogakari peuvent avoir un refrain de 18 accords qui ne semble pas complexe et qui comporte une merveilleuse mélodie facile à comprendre.

Briser les règles du genre

——Quand avez-vous entendu parler de Babymetal pour la première fois ?

FRIEDMAN  J’ai rencontré le groupe pour une entretien en octobre 2011, juste après la sortie de leur single Doki Doki Morning. J’ai pensé que la musique était bonne, mais honnêtement, je ne savais pas si elles allaient continuer. Elles avaient 10 ou 11 ans (12 et 13 ans en réalité – n.d.l.r.) et je pensais qu’elles abandonneraient dans six mois. EIles faisaient un excellent travail, mais elles étaient juste des petites filles normales. Je suis content qu’elles aient continué, car elles ont secoué le monde du heavy metal et de la musique idol japonaise.

Les membres de Babymetal, après avoir reçu le prix de la découverte de l’année lors de la cérémonie de remise des prix GQ Hommes de l’année 2015 à Tokyo le 19 novembre 2015. De gauche à droite, Yuimetal, Su-Metal et Moametal. (Photo : Jiji Press)

——Leur style hybride de musique idol et de heavy metal était-il nouveau pour vous?

FRIEDMAN  Je n’ai pas pensé que c’était nouveau. Je ne crois pas qu’il y ait eu un projet similaire entièrement de style metal, mais si vous écoutez la musique idol, il y a très souvent des sonorités metal. Les chanteurs ont d’habitude une ou deux chansons qui sont de ce genre. C’est ce que j’aime dans la musique idol japonaise, on y trouve toutes sortes de styles. C’est possible d’avoir une chanson pop très joyeuse, suivie d’une chanson heavy metal, puis une chanson dance. Dans la musique américaine on ne doit pas sortir de son genre musical.

Babymetal est un concept metal, et c’est pourquoi c’est intéressant. Si vous enlevez les voix et écoutez uniquement la musique, elle est énorme, violente et agressive. C’est du heavy metal très typique mais très bon. Mais quand vous ajoutez trois petites filles au chant sur cette musique, c’est presque comme si on enfreignait la loi. Les fans sérieux de metal les détestent.

Mais c’est un point important. Si quelque chose divise fortement les avis, alors ça fait parler les gens. Les Babymetal font quelque chose qui va à l’encontre des règles. Le metal n’est pas censé être associé à de mignonnes petites filles chantant sur le chocolat (Gimme chocolate!!). Il est censé être joué par des gars grands et durs qui la joue macho et costaud. Si vous brisez les règles juste pour rigoler, vous ne durez pas. La raison pour laquelle Babymetal continue à progresser et attire tant de fans est parce que c’est si bien élaboré. On ne peut pas les ignorer. On est forcé de regarder parce que c’est tellement fun. Le heavy metal est très vieux et ennuyeux, et beaucoup de gens en ont assez. Maintenant, quelque chose de complètement rebelle et nouveau est en train de susciter un regain d’intérêt.

L’album solo de Marty Friedman sorti en 2014, Inferno, jouit d’un succès critique tant aux États-Unis qu’au Japon. (© Howmic)

——Comment le groupe est-il considéré par les autres artistes heavy metal ?

FRIEDMAN  Je pense que les musiciens de heavy metal, particulièrement les artistes à succès, pensent qu’il n’y a pas plus divertissant que les Babymetal. Ils les aiment plus que les fans eux-mêmes. Les musiciens les plus connus les considèrent simplement comme un nouveau membre de la famille heavy metal et veulent les protéger.

——Quels éléments de la musique japonaise les Babymetal mélangent-elles à leur son heavy metal?

FRIEDMAN  Une grande partie de la musique de Babymetal est caractérisée par ainote. Il n’y a pas de traduction pour ça, mais on peut dire que c’est quelque chose comme « appel et réponse ». C’est typique de la musique japonaise, et en particulier les chansons idol sont écrites en tenant compte de ainote. Ça donne aux gens l’opportunité de participer à la chanson et souvent le refrain, les accompagnements et les contrepoints sont tout aussi importants que la mélodie principale. Vous trouverez ainote dans les chansons folkloriques et dans toutes les vieilles chansons pop. Ainote est très japonais, et quand c’est utilisé dans le heavy metal, vous obtenez quelque chose qui n’a jamais été fait auparavant. Ça permet aux gens de ressentir une touche de J-pop, mais le son reste fort et très puissant.

Une bouffée d’air frais

——Comment compareriez-vous leur succès à d’autres artistes japonais qui se font un nom à l’étranger ?

FRIEDMAN  Je pense que, parce que le projet Babymetal est tellement bien conçu et facile à aimer, elles ont plus progressé que d’autres groupes. Des artistes comme Kyary Pamyu Pamyu, qui se portent déjà très bien en Amérique, sont tout aussi bons. Leurs sons de qualité et leurs spectacles uniques sont contagieux. C’est la bonne recette pour quelqu’un qui en a marre de ce qui se passe dans la scène musicale américaine. Il y a beaucoup de personnes recherchant sur Internet des nouveaux groupes qui découvrent quelque chose comme Kyary Pamyu Pamyu ou Babymetal et deviennent fans parce que la musique est amusante. La langue peut représenter une légère barrière, mais elle peut aussi constituer un attrait qui rend le groupe encore plus exotique. La différence avec Babymetal est le fait qu’il détruit complètement un genre musical que nous connaissons tous. C’est radical, vraiment.

——Il y a un titre en anglais dans le nouvel album Metal Resistance. Pensez-vous que le groupe devrait continuer dans ce sens pour plaire aux fans étrangers ?

FRIEDMAN  Avoir une chanson en anglais c’est bien, mais si elles en font trop alors ça va devenir ennuyeux et ridicule. Je pense que quand les chanteurs japonais essaient de chanter en anglais pour attirer le public américain, ça ne fonctionne pas. À mon avis, ça diminue leur singularité. Les Babymetal, en chantant en japonais, alimentent l’intérêt et la mystique et renforcent l’identité du groupe. Les filles du groupe me disaient que les gens leur demandent souvent la signification des paroles, ou leur disent qu’en raison de leurs chansons ils se sont mis au japonais.

Rester à la pointe de l’innovation musicale

——Que voyez-vous pour le futur du groupe ?

FRIEDMAN  Je pense qu’il va continuer à évoluer. Leur nouvel album est génial. Toute l’équipe fonctionne vraiment à la manière d’un grand groupe de heavy metal. Ils n’écrivent pas quelques chansons à la va-vite et espèrent qu’elles deviennent populaires. Ils ont travaillé sur les chansons pendant des années. Chaque titre est un grand projet qui implique beaucoup de personnes et ce n’est pas un hasard si au final c’est un grand album, cohésif et solide.

Je ne changerai pas la formule pour le moment. Ils travaillent très dur pour être créatifs. Il y a beaucoup de choses qu’il faut créer pour chaque chanson : mise en scène, numéro de danse et paroles. Il y a beaucoup de gens très brillants qui travaillent très dur, et tant qu’ils continuent à se creuser la tête, tout ira bien. Rien ne s’est passé par hasard. Tout a été soigneusement examiné et organisé. Je suis très curieux de voir ce qu’ils vont faire par la suite.

(Compilé par la rédaction de nippon.com d’après une entrevue du 20 mai 2016. Photo de titre : Babymetal en concert en Angleterre aux Reading and Leeds Festivals 2015, tenus les 29 et 30 août 2015. Press Association/Aflo)
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