La modernité de l’esthétique traditionnelle

Aoki Akio, le « dieu des feux d’artifice » des temps modernes

Culture

Depuis l’époque d’Edo, les maîtres artificiers japonais (hanabishi) rivalisent à qui mieux mieux pour créer des feux d’artifice plus extraordinaires les uns que les autres. Le photographe Izumiya Gensaku nous présente Aoki Akio, un des plus grands spécialistes d’art pyrotechnique du XXIe siècle.

Un monde où la concurrence a toujours été rude

Les feux d’artifice qui illuminaient les nuits japonaises à l’époque d’Edo (1603-1868) ne ressemblaient guère à ceux que l’on voit à présent. Ils étaient certes ponctués par les cris d’admiration de la foule — « Tamaya ! » ou « Kagiya ! », qui correspondaient aux noms de deux guildes d’artificiers rivales —, mais contrairement à aujourd’hui, les procédés pyrotechniques avaient tous la même couleur rouge orangé à cause de la qualité de la poudre noire utilisée. Celle-ci se composait pour l’essentiel de soufre mélangé à du salpêtre et du charbon de bois. Mais les maîtres artificiers (hanabishi) de ce temps n’en cherchaient pas moins à marquer leurs créations de leur empreinte en ayant recours à toutes sortes de techniques, y compris différentes sortes de charbon de bois, qui leur permettaient d’obtenir de nouvelles nuances de couleur.

La poudre noire — plus pure et sous forme de grains — de type occidental n’a fait son apparition dans l’Archipel qu’à partir de l’ère Meiji (1868-1912), et elle a enfin donné aux maîtres artificiers japonais le moyen de fabriquer des feux d’artifice aux brillantes couleurs comme ceux que l’on voit aujourd’hui. Dès lors, l’art pyrotechnique a fait d’énormes progrès grâce aux efforts déployés par les hanabishi. Entre l’ère Taishô (1912-1926) et l’ère Shôwa (1926-1989), un certain nombre d’entre eux sont même devenus très célèbres et ils se sont livrés à une véritable compétition qui a contribué à porter les feux d’artifice japonais au niveau remarquable où ils se trouvent à présent.

Aoki Akio, le « dieu des feux d’artifice » des temps modernes

Aoki Akio est le digne héritier des grands hanabishi du passé. Il a aujourd’hui 64 ans et dirige la maison Beniya-Aoki enkaten qui est spécialisée dans les feux d’artifice et située à Nagano, dans la préfecture du même nom. Son grand-père, qui s’appelait Aoki Gisaku, exerçait déjà le même métier que lui, et avec un tel talent que ses contemporains l’avaient surnommé le « dieu des feux d’artifice ». Et son père, Aoki Tamon, était un maître artificier tout aussi renommé.

Le jeune Akio a commencé à s’initier à l’art des feux d’artifice quand il était encore au lycée, en parcourant le pays avec son père pour y donner des spectacles pyrotechniques. Il a eu l’occasion d’observer de près toutes sortes de feux d’artifice et de se former sous la direction de son père. Et c’est ainsi qu’il est devenu maître artificier.

Depuis, Aoki Akio a remporté de nombreuses récompenses dans des compétitions pyrotechniques organisées au Japon, et notamment le Prix du Premier ministre de la Compétition nationale de feux d’artifice d’Ômagari — qui se tient chaque année le 23 août à Daisen, dans la préfecture d’Akita —, et le Prix du Premier ministre de la Compétition nationale d’art pyrotechnique de Tsuchiura organisée tous les ans le 4 octobre, dans la préfecture d’Ibaraki. Il est par ailleurs président de l’Association d’art pyrotechnique du Japon (Nihon enka geijutsu kyôkai) fondée en 1959 par des maîtres artificiers de grand renom. Bref, Aoki Akio est indéniablement une personnalité de tout premier plan du monde des feux d’artifice japonais.

Des fleurs de chrysanthème géantes au cœur de la nuit

« Fleur de chrysanthème bicolore », une création d’Aoki Akio. Les « pétales » se déploient en formant deux couches concentriques.

Certains n’hésitent pas à qualifier Aoki Akio de « dieu des feux d’artifice des temps modernes » parce que c’est à lui que l’on doit les plus beaux procédés pyrotechniques en forme de chrysanthème du Japon. Quand les bombes de ce type explosent, les grains de poudre qu’elles renferment éclatent en faisant s’épanouir dans l’obscurité des fleurs de forme sphérique d’une stupéfiante beauté.

Le système pyrotechnique utilisé pour obtenir un chrysanthème est constitué d’une bombe sphérique de 30 cm de diamètre et d’un poids d’environ 9 kg, qui est remplie de grains de poudre que l’on désigne en japonais sous le nom de hoshi (étoiles). Cette boule est placée dans un tube qui le propulse à une hauteur de 330 mètres où il « se déploie », pour reprendre le vocabulaire des maîtres artificiers, c’est-à-dire qu’il explose en libérant les grains de poudre qu’il contient. Les « étoiles » éclatent à leur tour en formant une sphère de 320 mètres de diamètre qui a l’apparence d’un immense chrysanthème en train de s’épanouir dans le ciel nocturne.

Des « étoiles », c’est–à-dire des grains de poudre, en train de sécher au soleil.

Des procédés de plus en plus sophistiqués

« Chrysanthème à fleur triple » (yaeshingiku), une création d’Aoki Akio.

En 1928, Aoki Gisaku, le grand-père d’Akio, a créé un procédé pyrotechnique qui est l’ancêtre des « chrysanthèmes » actuels de son petit-fils. Il consiste en une bombe qui est projetée dans le ciel où elle marque un léger temps d’arrêt avant d’exploser en formant une petite sphère lumineuse, puis une seconde plus grande autour de la première et pour finir, une troisième encore plus grande englobant les deux précédentes. Ces trois sphères concentriques en forme de fleur illuminent le ciel l’espace d’un instant avant de disparaître. Aoki Gisaku a donné à ce procédé le nom de « chrysanthème à fleur triple » (yaeshingiku) et il pensait qu’il n’était pas possible de faire mieux que trois sphères concentriques.

Aoki Tamon, le fils de Gisaku, n’en a pas moins réussi à créer par la suite des chrysanthèmes à quatre sphères. Et il a même été surpassé par un maître artificier d’une autre famille qui a mis au point des chrysanthèmes composés de cinq sphères concentriques.

Aoki Akio espère faire encore mieux en trouvant le moyen de fabriquer un chrysanthème à six sphères. Mais pour cela il doit projeter dans les airs une bombe contenant trois mille « étoiles » qui sont censées se disperser d’une façon très précise en formant six sphères parfaitement concentriques, une tâche pour le moins ardue.

« Chrysanthème à quatre sphères concentriques », une création d’Aoki Akio.

Pour faire « fleurir » un chrysanthème à six sphères dans la nuit, il faut en effet concevoir une bombe qui, une fois lancée à 330 mètres de hauteur, explose en dessinant une immense sphère de 320 mètres de diamètre qui contient elle-même cinq autres sphères parfaitement concentriques de taille décroissante. Les « étoiles » qui constituent la structure extérieure de la fleur brûlent pendant environ six secondes et demie et elles changent jusqu’à sept fois de couleur. Si bien qu’il est extrêmement difficile de distinguer clairement à l’œil nu les six sphères et les sept changements de couleur dans un laps de temps aussi réduit. Aoki Akio est donc en train de tenter de surmonter ce problème en allant jusqu’aux limites du possible.

« Chrysanthème à cinq sphères concentriques », une création d’Aoki Akio qui s’est donné maintenant pour objectif de fabriquer des chrysanthèmes à six sphères.

« Chacun de ces procédés pyrotechniques contient quelque 3 000 grains de poudre et il suffit que l’un d’entre eux ne fonctionne pas correctement pour que l’effet soit complètement raté », explique le maître artificier. « Si une “étoile” se trouve ne serait-ce qu’à un millimètre de l’emplacement qu’elle doit occuper quand la bombe s’ouvre, ce léger décalage se multiplie des milliers de fois et finit par donner à l’ensemble une forme qui n’est pas du tout sphérique quel que soit l’angle sous lequel on le regarde. Pour réussir dans ce domaine, il faut absolument rester attentif au moindre détail. »

Les maîtres artificiers évoluent dans un monde à part où tout se joue dans un instant d’une grande intensité artistique. Ce sont des gens que je côtoie depuis des dizaines d’années dans le cadre de mon métier, et ce qui m’a le plus frappé chez eux, c’est leur incroyable ténacité. Pour moi, la concentration et la détermination dont ils font preuve dans leur recherche de la perfection dans l’expression relève du même ordre que la pratique d’une voie traditionnelle. C’est le même esprit que l’on retrouve chez les artisans japonais comme les potiers ou les laqueurs.

Préparatifs pour un feu d’artifice à l’occasion du Festival d’art pyrotechnique donné au sanctuaire de Nishinomiya de Nagano, dans la préfecture du même nom, à l’occasion de la « Fête d’Ebisu » (Ebisukô).

De sublimes photos de feu d'artifice

















(D’après un article original en japonais de Izumiya Gensaku. Photographies : Izumiya Gensaku. Photo de titre : Feu d’artifice en forme de « chrysanthème à deux sphères concentriques », Festival d’art pyrotechnique du Kanagawa Shimbun, Yokohama)

artisan photo feu d'artifice