Tokyo de jadis et d’aujourd’hui, à travers estampes et photographies

Ukiyo-photo Cent vues d’Edo [14] : les renards d’Ôji au réveillon du Nouvel An

Culture

Le photographe Kichiya immortalise les lieux de Tokyo qui sont peints sur la célèbre série d’estampes d’Utagawa Hiroshige Cent vues d’Edo , du même point de vue, sous le même angle, et pendant la même saison. Le 118e paysage représente « Les renards feux-follets du dernier jour de l’année devant l’enoki habilleur d’Ôji » (Ôji Shôzoku-enoki ômisoka no kitsune-bi). L’estampe représente le rassemblement fantastique des renards au réveillon du Nouvel An avant leur procession pour se rendre au sanctuaire Inari à Ôji, au nord d’Edo.

L’arbre autour duquel se rassemblent les renards

Le sanctuaire Inari (le dieu-renard) d’Ôji est depuis des temps immémoriaux considéré comme l’un des sanctuaires shintô les plus importants de l’est du Japon, au point qu’il était désigné comme l’un des lieux de prière du shôgun pendant toute l’époque d’Edo.

La tradition raconte que tous les ans, la dernière nuit de l’année, les renards de tout le Japon de l’est, messagers du dieu-renard Inari, se concentrent à Ôji. Là, sous un arbre enoki (micocoulier de Chine), ils se parent de leurs plus beaux vêtements et forment une procession pour la première prière de l’année (hatsu môde). C’est l’origine de l’appellation shôzoku enoki, littéralement « enoki habilleur », pour désigner les arbres enoki où se préparaient les renards. L’estampe originale de Hiroshige est une représentation fantastique des renards rassemblés sous un « enoki habilleur ». De leurs gueules s’échappent des feux-follets.

Les habitants du quartier racontent que l’« enoki habilleur » original a été abattu au début de l’ère Shôwa (fin des années 1920) pour permettre l’agrandissement de la route. Mais plusieurs événements funestes s’étant produits, on conclut à une malédiction des renards. Il fut décidé de replanter un nouvel enoki, et de reconstruire le sanctuaire à côté duquel on donnerait cette fois le nom de Shôzoku-Inari, c’est-à-dire « Inari l’habilleur ». Ce qui fut fait.

De nos jours, la nuit du réveillon du Nouvel An, les habitants du quartier organisent « la procession des renards d’Ôji ». J’ai pris ma photo lors de la nuit du Nouvel An 2017. La population se rassemble devant le sanctuaire Inari. Vous pouvez distinguer à gauche du sanctuaire l’« enoki habilleur » actuel. Mais il y avait aussi de nombreux touristes étrangers. Si jadis, c’étaient les renards qui se rassemblaient sous cet arbre, ce sont aujourd’hui des gens du monde entier qui ont pris leurs places.

Utagawa Hiroshige, Cent vues d’Edo, n°118 : « Ôji Shôzoku-enoki ômisoka no kitsune-bi »

La procession des renards

Autrefois, avant de s’appeler Ôji, le lieu s’appelait Kishimura. C’est à la fin de l’époque de Kamakura que le seigneur du lieu accueilla le Prince divin Nyakuichi Ôji qui résidait à Kumano dans le pays de Kishû (l’actuelle préfecture de Wakayama). Ce dieu est depuis vénéré dans le sanctuaire d’Ôji ; le village autour a lui aussi pris le nom d’Ôji-mura.

Pendant l’ère d’Edo, Tokugawa Yoshimune, 8e shôgun, qui était né et avait grandi dans le pays de Kishû, appréciait énormément ce village qui lui rappelait les paysages de sa région natale. En 1713, il offrit la colline Asukayama au sanctuaire d’Ôji, et y planta de nombreux cerisiers pour en faire un lieu de divertissement de la population d’Edo. De très nombreux livres illustrés prirent les paysages d’Ôji pour motif, c’est ainsi que se diffusa la légende de l’« enoki habilleur ». À propos, il existe de nombreuses histoires de renards qui trompent les humains, mais il existe aussi un récit comique de rakugo, intitulé « le renard d’Ôji », dans lequel c’est un humain qui trompe un renard.

En 1993, les habitants du quartier ont imaginé reproduire « la procession des renards d’Ôji », qui dure de la nuit du réveillon jusqu’au Jour de l’An. La procession va du sanctuaire Shôzoku-Inari au sanctuaire Ôji-Inari. Les participants se sont multipliés d’année en année, et aujourd’hui, la procession est formée d’une centaine de personnes en kimono et masqués comme des renards. Les touristes du monde entier dépassent quant à eux le millier de spectateurs, et n'hésitent pas à acheter des masques de renards comme souvenirs.

Cent vues d’Edo

Les Cent vues d’Edo sont à l’origine un recueil d’estampes ukiyo-e (« peintures du monde flottant »), l’un des chefs-d’œuvre d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), qui eut une énorme influence sur Van Gogh ou Monet. De 1856 à 1858, l’année de sa mort, l’artiste se consacre à la réalisation de 119 peintures de paysages d’Edo, alors capitale shogunale, au fil des saisons. Avec ses compositions audacieuses, ses vues « aériennes » et ses couleurs vives, l’ensemble est d’une extraordinaire créativité et est acclamé depuis lors comme un chef d’œuvre dans le monde entier.

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