L’avenir des universités japonaises en question

Intégrer et ne pas discriminer les étudiants non-Japonais : le cas de l'Université internationale du Japon

Société Éducation

Dans la ville de Minami-Uonuma de la préfecture de Niigata, l’Université internationale du Japon (IUJ, International University of Japan) accueille des étudiants originaires d'une soixantaine de pays différents. L’hiver, dans cette région septentrionale où les chutes de neige sont abondantes, les étudiants n’ont presque pas de moyens de se déplacer et sont isolés dans le campus. Pourquoi ne pas leur proposer de contribuer à la revitalisation de la région ? Kuroiwa Yôkô, un auteur originaire de Minami-Uonuma, développe son idée dans cet article.

Soixante nationalités différentes

Dans la ville de Minami-Uonuma, célèbre pour son riz de haute qualité Koshihikari, l’International University of Japan (IUJ) a été bâtie sur un ancien terrain agricole de 16 hectares en 1982. Portée par d’éminentes personnalités des sphères politiques et économiques, cette initiative avait pour but d’internationaliser le Japon de l’intérieur en rassemblant dans un même campus étudiants et employés de grandes entreprises vivant ensemble et communiquant en anglais.

l'Université internationale du Japon (IUJ, International University of Japan)
l'Université internationale du Japon (IUJ, International University of Japan)

Aujourd’hui, le campus compte 300 personnes : des enseignants et des étudiants et leurs familles provenant de 57 pays. Parmi les pays représentés, on retrouve la Somalie, le Lesotho, l’Eswatini, le Timor oriental, le Tadjikistan ou encore les Îles Fidji. Au niveau national, on ne compte que quelques dizaines de ressortissants de ses pays. Rares sont les universités, même dans le reste du monde, qui peuvent mettre en avant une telle diversité.

La plupart des professeurs sont titulaires d’un doctorat d’université européenne ou américaine, et l’université se hisse au 94e rang mondial (6e en Asie) dans le classement des meilleures écoles de commerce du magazine The Economist. C’est le seul établissement japonais à figurer sur cette liste.

Mais malgré l’environnement cosmopolite du campus de l’IUJ, on a récemment déploré deux cas de discrimination.

Révélations de cas de discrimination

Le 11 mars 2019, un membre du personnel universitaire a collé sur un panneau d’affichage un message d’une personne se plaignant de « la mauvaise odeur de certains étudiants africains ». Ne s’arrêtant pas là, cet employé a même écrit lui-même en bas de page qu’il irait voir les étudiants en question si on lui donnait leurs noms. Ce cas de discrimination, aggravé par le fait qu’il était soutenu par le personnel universitaire, a fait le tour de médias en juin dernier. Face à l’ampleur de l’affaire, l’université a dû présenter des excuses sur son site Internet.

Avant cet épisode malheureux, le maire de Minami-Uonuma, Hayashi Shigeo, a visité l’université au début du mois de mars 2019 afin d’annoncer que le campus de l’IUJ avait été choisi pour accueillir un projet de construction d’une installation de traitement des déchets. Pendant la réunion d’informations, un document d’explication avait été distribué, avec un détail qui a son importance : la version japonaise comptait 65 pages, alors que celle en anglais n’en avait que 19. Il était évident qu’une grande quantité d’informations avait été supprimée dans le document destiné aux étrangers.

Le 15 novembre, des habitants du campus ont déposé auprès du maire une pétition signée par 403 personnes demandant le retrait du plan de construction. Pointant du doigt le fait qu’ils n’étaient « pas traités comme les autres résidents de la municipalité », ils lui réclamaient une réponse écrite avant le 20 décembre.

Lors d’une émission télévisée de la chaîne Television Niigata Network du 20 novembre, le maire, interrogé sur la question, a répondu : « Ces étudiants ne sont là que pour deux ans. La construction du centre de traitement des déchets sera achevée dans sept ans. N’est-il pas étrange que nous devions leur fournir des explications aussi détaillées que celles données aux autres habitants de la ville ? Mais nous sommes quand même allés les voir à l’université pour organiser une réunion d’information. »

La pétition est actuellement toujours sans réponse et certains étudiants mènent une nouvelle campagne de signatures pour demander au maire de revenir sur ses propos discriminatoires. Certains employés habitent dans le campus avec leur famille depuis plus de 10 ans ; les doctorants y passent au moins 5 ans. Estimer qu’ils ne peuvent pas bénéficier du même traitement que les autres habitants est discriminatoire.

Des étudiants ignorés par les autorités et la direction de l’université

Pourquoi de tels cas de discrimination se produisent-ils dans le lieu même qui a été le berceau de l’internationalisation au Japon ?

Le problème le plus grave est que les résidents du campus n’ont que peu de moyens pour faire entendre leurs voix auprès de la municipalité. L’un des principaux rôles de l’administration locale est de faire remonter les opinions des résidents à la municipalité. Mais dans le cas de l’IUJ, la municipalité ne s’adresse pas directement aux résidents du campus. Toutes les informations passent par la direction de l’établissement.

Cependant, les membres de la direction ayant un pouvoir de décision n’habitent pas sur le campus. En effet, la plupart d’entre eux vivent à Tokyo : l’université est présidée par l’ancien patron de Mitsui & Co et un professeur émérite de l’université Hitotsubashi, tous deux vivant dans la capitale nipponne. Le système, conçu de telle sorte que la direction de l’université se retrouve entre les habitants du campus et la municipalité, a montré ses limites avec l’affaire du projet de construction d’un centre de traitement des déchets.

Le projet prévoit l’achat par la municipalité de 9 ha du terrain de l’IUJ et d’utiliser 5,5 ha pour le centre de traitement des déchets et le reste pour construire des établissements de bains publics. Il est également prévu que l’énergie produite par le centre sera fournie à l’université. Il est clair que la direction de l’université est intéressée par ce projet générant des bénéfices importants, mais ce n’est pas à elle, qui n’est pas dans une position neutre, d’informer les habitants du campus qui seront les premiers impactés par ce projet.

Initialement, la direction avait répondu à l’administration locale qu’il n’était « pas nécessaire » de tenir une réunion d’information avec les habitants du campus. Plus tard, quand il a été décidé que la réunion serait tenue, l’université a choisi de l’organiser pendant un jour férié. De plus, l’email de notification envoyé aux étudiants ne précisait pas l’emplacement exact du site, alors qu’il était prévu de bâtir l’installation tout près de la résidence universitaire. Au final, seules 12 personnes ont assisté à la réunion.

Il faut aussi souligner le fait que les conférences et tables rondes municipales tenues dans différents lieux de la ville, et auxquelles le maire participe, ne sont jamais organisées avec des traducteurs pour les résidents du campus.

Isolement géographique et social

Pourquoi avoir choisi les montagnes de Niigata pour construire l’IUJ ? Cette région, peuplée par quelque 14 000 personnes, peut se vanter de posséder la gare d’Urasa, qui est desservie par le TGV Shinkansen de la ligne Jôetsu, mais aussi l’École des sciences de la santé et de l’hygiène de l’Université Kitasato, le lycée Kokusai Jôhô (un des plus réputés de la préfecture) et le Centre hospitalier d’Uonuma, disposant de 400 lits.

Devant la gare d’Urasa se trouve une statue de l’ancien Premier ministre Tanaka Kakuei. Le groupe de soutien local de cette grande figure politique japonaise, appelé Etsuzankai, a été créé dans cette région et a permis d’y mener de nombreux projets de construction d’infrastructures. Le premier maire de la ville de Minami-Uonuma était aussi issu du Etsuzankai et avait désigné Hayashi Shigeo pour lui succéder. Ce dernier a été élu en 2016.

La raison pour laquelle l’université possède un vaste terrain de 16 hectares est que l’intention de départ était d’y ajouter de nouvelles facultés et aussi d’ouvrir un lycée. Cependant, cette idée a été abandonnée après l’éclatement de la bulle spéculative japonaise. Au début, plus de la moitié des étudiants était des Japonais (souvent envoyés par des grandes entreprises), mais aujourd’hui ils ne représentent plus que 10 % du total. Un élément à prendre en compte est le fait que plus de la moitié des étudiants étrangers sont venus au Japon dans le cadre de programmes d’aide aux pays en développement. Leurs frais de voyages, de scolarité et de séjour sont donc couverts par les impôts japonais. Rien qu’à eux, les frais de scolarité et les dépenses quotidiennes s’élèvent à environ 3,6 millions de yens (30 000 euros) par étudiant chaque année. Ce qui pousse certaines personnes à décrire l’IUJ, non sans ironie, comme une « école privée gérée par l’État ».

Les étudiants bénéficiant de ces aides n’ont pas la possibilité d’obtenir un permis de conduire, alors qu’il est pratiquement impossible de se déplacer sans voiture dans cette région. Il est en particulier très compliqué de sortir de chez soi sans voiture l’hiver, quand les chutes de neige sont très importantes : il faut 40 minutes à pied pour se rendre à la gare la plus proche, 15 minutes pour trouver un restaurant et 20 minutes pour la supérette la plus proche. L’unique moyen de déplacement des étudiants est un bus de l’université qui fait le tour des lieux importants une fois par heure. Les week-ends, il n’y a que deux bus par jour.

Le campus sous un manteau de neige.
Le campus sous un manteau de neige

De nombreux étudiants sont des fonctionnaires ou des employés de grandes entreprises dans leur pays d’origine. Une fois leurs études terminées après deux ans, ils retournent dans leur pays sans avoir eu suffisamment de temps pour apprendre le japonais.

C’est ainsi qu’à Minami-Uonuma, il y a un d’un côté les habitants japonais qui ne parlent que très peu anglais et qui se déplacent en voiture, et de l’autre côté les étudiants étrangers qui ne parlent pas japonais et ne sont pas autorisés à conduire. Ces derniers se retrouvent sur une sorte d’ « île isolée dans les montagnes », à tel point qu’ils ont rebaptisé l’IUJ sous un autre nom, Isolated University of Japan.

Il y a très peu d’interactions : les habitants japonais ne sauraient dire le nom du président de l’université et la plupart des étudiants étrangers retournent dans leur pays d’origine sans connaître la signification du nom du riz Koshihikari, qui fait pourtant la fierté de la préfecture.

Les étudiants vivent dans le campus sans avoir besoin d’en sortir. Ils ont chacun une chambre de 15 m2 avec toilette et douche, il y a une cuisine commune ainsi qu’une cafétéria, la bibliothèque est ouverte jusqu’à minuit et la salle informatique est disponible 24 heures sur 24.

Un étudiant venant d’Afrique témoigne : « Beaucoup de gens ici souffrent de stress psychologique du fait de l’isolation dans le campus et du peu d’interactions humaines. » Un résident japonais de la quarantaine habitant à 5 minutes de l’université partage son expérience : « J’allais souvent à l’université quand j’étais enfant pendant mon temps libre, mais maintenant je n’y vais plus aussi souvent car il y a de moins en moins de personnes qui parlent japonais. »

Cet isolement et l’impact qu’il a sur les relations entre les étudiants de différentes nationalités est probablement à l’origine du message discriminatoire qui a été affiché dans l’université.

Permettre aux étudiants de s’intégrer dans la communauté

Malgré l’existence de nombreux obstacles, les étudiants et les résidents étrangers font tout leur possible pour interagir avec le reste de la région. En mai 2018, j’ai lancé le groupe Facebook « Uonuma Network Group » dans le but de promouvoir ces interactions. Le groupe compte actuellement 730 membres.

Des appels aux volontaires pour des activités de déneigement ou de soutien après des catastrophes naturelles y sont postés, auxquels de nombreux résidents étrangers répondent. Par exemple, après les pluies torrentielles qui ont frappé l’ouest du Japon en juillet 2018, un étudiant nigérian s’est porté volontaire pour partir une semaine à Hiroshima, sans aide financière. Lors du typhon Hagibis d’octobre 2019, le car qui emmenait des bénévoles à Nagano était principalement rempli de volontaires étrangers.

Le problème est que ni les autorités locales, ni l’université ne les considèrent comme des résidents à part entière ; ce qui fait qu’elles ne sont pas capables de mettre à profit leur désir d’aider la communauté afin de revitaliser la région. Au Japon, quand on parle d’intégration des étrangers, la plupart des personnes s’imaginent que les Japonais sont les assistants et les étrangers les assistés. Bien qu’il existe plusieurs associations de bénévoles qui soutiennent les habitants du campus par le biais d’événements et de cours de japonais, peu d’efforts sont mis en œuvre pour redynamiser l’économie locale en faisant valoir leurs compétences.

Comme de nombreuses autres municipalités, le maire de Minami-Uonuma affirme vouloir attirer des touristes étrangers dans la ville. Dans ce cas, pourquoi ne pas voir les résidents étrangers non pas en assistés, mais en porteurs de la revitalisation régionale ? Le maire doit changer sa manière de voir les choses : au lieu de se dire qu’il est inutile d’expliquer un projet de construction à des étudiants qui ne sont là que pour deux ans, il doit aller vers eux de lui-même afin de leur donner l’envie de rester plus longtemps.

Le gouvernement japonais a récemment ouvert grand les portes du pays aux travailleurs étrangers, alors qu’il a longtemps affirmé ne pas vouloir établir de politique d’immigration. Alors que le Japon devient un pays de plus en plus cosmopolite, l’IUJ, pionnière de l’internationalisation dans le pays, fait face à de nombreux problèmes d’intégration des étrangers.

(Photo de titre : cérémonie de remise des diplômes à l’Université internationale du Japon en juin 2019. Les photos de l’article sont fournies par l’auteur)

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