La vie post-coronavirus au Japon : vers une tendance à apprécier davantage les plaisirs chez soi ?

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L’expérience d’une longue période de confinement volontaire au Japon a fait naître une nouvelle tendance, celle de souhaiter rendre son domicile plus chic, plus luxueux, plus confortable. La notion de « rester chez soi » se transforme petit à petit en « apprécier le chez soi », et l’augmentation des achats dans cette optique le montre, notamment des vêtements, de la nourriture et du mobilier de luxe.

Les Japonais veulent rendre leur vie à domicile moins monotone

La longue période de distanciation sociale n’a pas empêché de nombreuses personnes à partager des moments ensemble en ligne à travers des réunions de travail ou « d’apéritifs ». Et même seul chez soi, de plus en plus de gens souhaitent exprimer pleinement leur personnalité par le vêtement et la mode. (Ndlr : le confinement au Japon n’est pas obligatoire, mais a été fortement recommandé par le gouverneemnt pendant toute la durée de l'état d’urgence, du début avril à la fin mai.)

Ainsi, la société Drobe (située à Tokyo), une filiale d’Isetan Mitsukoshi Holdings qui vend en ligne des vêtements sélectionnés par des stylistes, a plus que doublé le nombre des abonnés au service depuis la déclaration de l'état d’urgence en avril par rapport à janvier.

Lors de l’inscription au service de vente en ligne Drobe, le client est invité à faire savoir ses marques préférées, son budget mode mensuel, et des photos de ses vêtements favoris. Un styliste utilisera alors ces données, à travers un système doté d’une Intelligence Artificielle (IA) développé, afin de sélectionner et de proposer des habits. Le client n’achète que ceux qui lui plaisent.

Avec l’extension du télétravail, la demande en costumes et cravates a chuté, mais de nouveaux vecteurs commerciaux comme Drobe est en passe de voir émerger une nouvelle tendance, celle de s’habiller avec goût et plaisir à la maison aussi bien pendant le temps de travail que le temps privé.

Exemple de package livré à domicile par DROBE, sélectionné par un styliste professionnel (photo avec l’aimable autorisation de DROBE Personnal Styling Service)
Exemple de package livré à domicile par Drobe, sélectionné par un styliste professionnel (photo avec l’aimable autorisation de Drobe Personnal Styling Service)

À Nagoya, dont les quartiers résidentiels sont pourvus de supermarchés haut de gamme, comme Seijô Ishii, qui bénéficie d’une très bonne réputation sur les produits alimentaires importés, ou Frante, très richement achalandé en alimentation de luxe, la demande en produits alimentaire de qualité supérieure ne cesse d’augmenter depuis le début de l'état d’urgence.

La société Yamanaka, qui exploite Frante, a fait savoir que le chiffre d’affaires de ses 8 magasins avait connu une augmentation de plus de 20 % entre le 21 avril et le 17 mai par rapport à la même période l’année passée. La tendance est particulièrement forte dans les quartiers les plus aisés de Nagoya intra-muros, où le montant des ventes a dépassé les 30 % de hausse.

Il faut toutefois ajouter que le prix des denrées alimentaires de luxe a baissé du fait de la fermeture des restaurants et de la baisse conséquente des sorties à l’extérieur pendant toute la durée de la crise sanitaire et des consignes de distanciation sociale. Il n’empêche que leur prix reste bien supérieur à l’alimentaire ordinaire. Il faut voir dans l’augmentation du chiffre d’affaires sur ce segment une conscience accrue des consommateurs pour donner du peps aux repas seul ou en famille dans ce contexte de distanciation sociale volontaire.

« Il serait un peu exagéré de dire que puisque je passe plus de temps avec ma famille, j’ai envie de faire les choses en grand… mais comme par la force des choses, le temps à devoir rester chez moi a augmenté, autant que ce soit devant une table qui fait plaisir à voir, n’est-ce pas ? Et puisque les dîners à l’extérieur ont diminué, j’ai un budget supplémentaire pour les courses ! » explique un homme d’affaire de Nagoya qui fait souvent des achats dans l’un des supermarchés haut de gamme de la ville.

Succès incroyable d’un purificateur qui élimine 99,9 % des virus de la grippe

Beaucoup de gens s’intéressent aux purificateurs d’air ambiant à hautes performances et design. Le produit phare dans cette catégorie est un purificateur d’intérieur lancé en décembre de l’année dernière par la société Kaltech (siège social à Osaka), une start-up d’appareils électroniques fondée par d’anciens ingénieurs de la société Sharp.

Le purificateur Turned-K détruit la saleté de l’air ambiant, décompose les substances organiques, virus et moisissures en eau et dioxyde de carbone, grâce à l’action photocatalytique, c’est-à-dire par une technologie qui utilise la lumière pour accélérer les processus chimiques. Un test effectué au Centre des Sciences de l’Environnement de Kitasato a établi que le Turned-K éliminait 99,9 % des virus de la grippe en environ 5 minutes.

La couleur blanche, le design propre et soigné de l’appareil est également accrocheur. Il se présente comme un panneau mural de petite taille, dont l’interrupteur et les boutons de commande sont très classiquement disposés sur le côté, de sorte que vous n’y faites bientôt plus attention, que vous l’utilisiez dans le salon chez vous ou dans votre espace de travail (voir photo ci-dessous).

Avant la crise du coronavirus, le cœur du marché des purificateurs d’air étaient des modèles aspirants à filtre, pour un coût moyen de 10 000 à 30 000 yens (entre 80 et 245 euros), que l’on achetait essentiellement pour prévenir les allergies au pollen.

Le Turned-K, lui, est beaucoup plus cher puisqu’il est vendu 60 000 yens (490 euros). Et pourtant, avec la crise du coronavirus, ses ventes sont en forte augmentation. En mai, suite à l’afflux d’appel sur son centre clients, Kaltech a augmenté sa production de 10 000 à 15 000 unités par mois, soit entre 2 et 3 fois sa production précédente.

L’anxiété dû à la crise sanitaire du Covid-19 et la période prolongée des consignes pour rester à la maison ont induit une forte augmentation de la demande sur les purificateurs d’air ambiant plus performants et au design plus attractif. C’est d’ailleurs une nouvelle tendance de la consommation dans le domaine de l’intérieur des habitations, pour des environnements intérieurs plus propres, plus sécurisants et plus confortables, compte tenu du temps plus long que l’on doit de toute façon passer à la maison.

Désinfectant et désodorisant mural Turned-K de Kaltech (©2019 KALTECH CORPORATION)
Désinfectant et désodorisant mural Turned-K de Kaltech (©2019 KALTECH CORPORATION)

La vie après le coronavirus : profiter de son chez soi

Quelle sera l’influence de la crise du coronavirus sur la consommation des ménages ?

Le 25 mai, le gouvernement a déclaré la fin de la situation d’urgence sanitaire sur la totalité du territoire japonais. La plupart des mesures d’urgences appliquées dans le pays depuis le 7 avril ont été levées, au bout d’un mois et demi environ. Les consignes qui demeurent en vigueur de rester à la maison en l’absence de raison urgente et impérieuse et de limitation de l’activité commerciale sont en train d'être atténuées graduellement.

Je pense que la fin de la crise n’arrêtera pas les tendances à un style de vie et une consommation axées vers l’envie de mieux apprécier le temps passé chez soi. Tout d’abord parce que l’angoisse du coronavirus ne va pas s’effacer comme par magie. Les gens veulent être prêts pour une deuxième, voire une troisième vague. Et tant qu’un vaccin ne sera pas au point, il sera difficile de revenir à un style de vie sans absolument aucune inquiétude concernant nos déplacements à l’extérieur...

D’un autre côté, la conscience de la distanciation sociale qu’a fortement induite la crise actuelle a fait découvrir de nouveaux plaisirs et habitudes pratiques, comme les festivités en ligne et le télétravail. De nombreuses personnes ont certainement pris conscience de l’importance des liens familiaux à cette occasion. Et ces nouvelles façons d’apprécier le temps chez soi ne seront pas abandonnées maintenant qu’ils ont été un tant soi peu expérimentées. Même sans confinement, la maison restera un lieu de consommation et de travail.

À l’avenir, la demande en appareils électroménagers à hautes performances, de meubles et d'équipements d'éclairages à haute valeur de design et de mode pourrait connaître une explosion rapide. De même, les vélos, les équipements sportifs et de jardin pourraient devenir des secteurs très excitants.

D’autant plus que toutes les entreprises, aussi bien les commerces de détail que les restaurants, vont sans aucun doute se livrer à une concurrence acharnée pour proposer les produits et les services qui répondront à cette tendance d’apprécier sa maison. Car si les sorties au restaurant ou les loisirs en extérieurs ont fortement chuté du fait des consignes de distanciation sociale et de limitation de l’activité, le goût des gens pour ces plaisirs, autrement dit la demande latente pour la fête et l’amusement n’a pas disparue, au contraire !

Nul doute que les entreprises qui sauront combler le décalage entre l’offre et la demande par des produits et des services nous apportant un sentiment de satisfaction tout en restant à la maison, se creuseront un beau sillon dans le secteur du « plaisir à domicile ».

Avec l’arrivée de la technologie 5G, qui permettent des débits de communication 20 fois plus rapides qu’auparavant, avec des films de 2 heures téléchargés en 3 secondes, la distribution de concerts et d'événements sportifs deviendra possible. L'éducation et les consultations médicales en ligne, tous les services d’information, vont exploser.

Les tendances à la consommation induites par la crise du Covid-19 portent aussi en elles l’embryon de la vie post-coronavirus.

(Photo de titre : des jeunes s’amusent lors d’une fête en ligne sur leur ordinateur. Les soirées entre amis en ligne pendant la crise du coronavirus sont devenues l’un des mouvements emblématiques d’aujourd’hui. Aflo)

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