Est-il vraiment possible de prévoir les tremblements de terre ?

Science Catastrophe

Depuis 2011, année du séisme du Tôhoku qui a provoqué la catastrophe de Fukushima, l’Archipel a connu quatre tremblements de terre de niveau « 7 », soit le maximum sur l’échelle japonaise d’intensité sismique. Chacun d’entre eux a provoqué des dommages considérables, qui ont mis en lumière l’importance de la prévision des séismes et de la préparation aux catastrophes. Un éminent sismologue nous parle ici de la nature des tremblements de terre qui frappent l’archipel japonais et de ce qu’on est en droit d’attendre de la science des prédictions.

La préparation aux tremblements de terre

Face à cette grave et permanente menace que sont les tremblements de terre, la prévision — connaître à l’avance le moment, l’endroit et l’ampleur d’un séisme — suscite beaucoup d’espoirs. Mais les avancées de la recherche sismique n’ont fait que confirmer la difficulté qu’il y a à formuler des prédictions précises en ce domaine. Dans le même temps, la compréhension de ce désastre naturel a fait des progrès. Dans le texte qui suit, j’examine les avancées de la recherche sismique qui vont de pair avec le développement tant du réseau japonais d’observation des tremblements de terre que des capacités d’anticipation.

Les tremblements de terre sont des mouvements des failles géologiques souterraines. Les vibrations provoquées par le glissement des deux faces d’un plan de faille sont transmises à la surface et le mouvement sismique propage les secousses au sein de l’environnement dans lequel nous vivons. Lorsque les mouvements de faille se produisent sous le plancher océanique, ils peuvent déclencher un tsunami. Normalement, les plans de faille qui provoquent des tremblements de terre adhèrent via la friction, mais si le surcroît d’énergie provenant des plaques voisines dépasse la force de friction, il génère une perturbation qui parcourt le plan de faille. Cette énergie provient du mouvement des plaques, le substrat rocheux qui recouvre la surface de la Terre. La plaque du Pacifique et celle de la mer des Philippines s’enfoncent sous l’archipel japonais, et leurs mouvements constituent la cause principale des tremblements de terre qui balayent l’archipel (voir figure 1).

Pourquoi les tremblements de terre sont ils aussi fréquents au Japon ?

On peut distinguer trois catégories de tremblements de terre. Les séismes en bordure de plaque se produisent quand des plaques océaniques en train de sombrer entrent en friction avec les plaques situées au dessus. Le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon, survenu le 11 mars 2011 au large du littoral pacifique du Tôhoku, et le tremblement de terre annoncé dans un proche avenir dans la fosse de Nankai au sud de l’île principale du Japon (Honshû) appartiennent tous deux à ce type. Les tremblements de terre intraplaque, quant à eux, se produisent à l’intérieur de plaques océaniques en train de sombrer, et les séismes terrestres le long des failles terrestres actives.

Les séismes en bordure de plaque ont une magnitude maximale allant de 8 à 9. Le séisme du Tôhoku était de magnitude 9,0, avec une zone de rupture de faille mesurant 500 kilomètres du nord au sud et 300 kilomètres d’est en ouest. Les séismes terrestres, au nombre desquels figure le séisme de Kobe en 1995, ou le Grand tremblement de terre de Hanshin-Awaji, moins forts que les séismes en bordure de plaque, causent tout de même des dommages du fait qu’ils se produisent à une profondeur relativement faible n’excédant pas 15 kilomètres. Les séismes terrestres coïncident souvent avec la réactivation d’anciennes lignes de faille.

L’archipel japonais, qui faisait à l’origine partie du continent eurasiatique, s’est formé il y a quelque 20 millions d’années lorsqu’il s’est séparé de celui-ci, donnant ainsi naissance à la mer du Japon. Le processus s’est accompagné de l’apparition de nombreuses lignes de faille, qui sont à l’origine de la majorité des séismes terrestres d’aujourd’hui. Il est des endroits où les tremblements de terre surviennent de façon répétée, mais l’intervalle qui les sépare se mesure en décennies ou en siècles dans le cas des séismes en bordure de plaque et en milliers d’années ou plus dans celui des séismes terrestres. En ce qui concerne le Japon, la fréquence des tremblements de terre s’explique par la multitude des endroits où ils sont susceptibles de se produire.

La formation du réseau japonais d’observation des tremblements de terre

L’observation sismique jouit d’une plus longue histoire au Japon que quasiment partout ailleurs. La Société sismologique du Japon a été fondée peu après le tremblement de terre de Yokohama de 1880 par le géologue britannique John Milne, conseiller auprès du gouvernement de Meiji. Ses travaux débouchèrent sur la mise au point du sismographe. Plus tard, dans les années 1960, le Japon a nettement renforcé son réseau d’observation dans le cadre de son programme national de prédiction des séismes. La théorie sismique de Tôkai, formulée dans les années 1970, a permis l’élaboration d’un système de prédiction des tremblements de terre fondé sur la détection des glissements, ou mouvements relatifs de points situés d’un côté ou de l’autre d’un plan de faille.

Le tremblement de terre de Kobe de 1995 a donné lieu à un profond remaniement du système en place, consécutif à la prise de conscience de l’urgence qu’il y avait à comprendre l’activité sismique contemporaine et les mouvements de la croûte terrestre. Le cœur du réseau d’observation du Japon s’articule autour de deux dispositifs d’envergure nationale : d’une part le Hi-net, le Réseau japonais de sismographes de haute sensibilité, géré par l’Institut national de recherche pour les Sciences de la terre et la prévention des catastrophes, doté d’environ 800 bases, de concert avec plusieurs autres réseaux (voir figure 2), et, d’autre part, le Système mondial de navigation par satellite SMNS et son système en réseau d’observation de la Terre, ou GEONET, qui dépend de l’Autorité japonaise d’information géospatiale et s’appuie sur environ 1 300 bases.

Grâce à ces instances, notre capacité d’observation des mini-séismes a nettement progressé, et le seuil minimal de détectabilité a baissé de 0,5 à 1,0 point de magnitude. Tant et si bien que le nombre des séismes détectés a pratiquement décuplé. Autre phénomène mis en lumière, les séquences linéaires de séismes peu profonds signalent les répliques des grands séismes passés et les éventuelles failles actives susceptibles de déclencher de nouveaux séismes. Outre cela, il est désormais possible d’identifier rapidement et précisément les activités de réplique des grands séismes. Lors du séisme de 2004 de Chûetsu, on a trouvé des hypocentres répartis sur quatre ou cinq plans de faille.

Ces plans étaient à l’origine du séisme principal et des répliques de grande envergure, ce qui nous a permis de prendre conscience de la réactivation d’un système complexe de failles formé lors de l’extension de la mer du Japon. Si l’on se reporte au dispositif d’observation précédent, ce système aurait été considéré comme un vague magma sismique, mais la compréhension précise de la distribution sismique a apporté une contribution importante à celle du phénomène sismique en général.

L’impact du séisme qui a provoqué la catastrophe de Fukushima

En 2011, le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon (ou séisme du Tôhoku) a mis en lumière les déficiences de la sismologie, dont les prédictions dans cette zone se limitaient à un séisme d’environ 8 degrés de magnitude. Jusque là, on croyait que les séismes étaient dotés de caractéristiques propres à l’endroit où ils survenaient, et que des séismes d’ampleur similaire se répétaient régulièrement. Mais nous reconnaissons désormais la diversité des séismes et savons que les zones de rupture changent avec chacun d’entre eux.

Le séisme du Tôhoku nous a aussi prouvé qu’au moment où s’amorce la rupture nous ignorons la force qu’aura le séisme, ce qui montre bien la difficulté de la prédiction de ces événements. Ceci étant, le gouvernement japonais a modifié les priorités de son système de préparation aux catastrophes. Ce système, qui avait jadis pour prémisse la prédiction du prochain tremblement de terre du Tôkai, reconnaît désormais l’incertitude des prédictions et, soucieux de maintenir les gens en état d’alerte, publie davantage de bulletins au jour le jour sur la propension sismique du creux de Nankai.

La découverte des séismes lents

Le Hi-net et le GEONET ont permis une importante découverte ayant des ramifications à l’échelle planétaire : l’existence des séismes lents, le phénomène sismique que constituent les glissements de faille plus lents que les séismes ordinaires, classés selon leur lenteur. Les premières découvertes mondiales de séismes lents, survenues en 1999 et 2002 dans le sud-ouest du Japon, ont été suivies d’autres découvertes dans divers endroits du monde. Du fait que les séismes lents prennent leur origine à la périphérie des séismes de grande ampleur, on pense qu’ils entretiennent un lien avec ces grandes catastrophes. Nous savons que, juste avant le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon, des séismes lents se sont produits à proximité, et qu’il n’est pas exclu que ce soit eux qui aient provoqué le grand tremblement de terre.

Le Réseau d’observation du plancher océanique pour les tremblements de terre et les tsunami le long de la fosse du Japon (S-net), mis en place par le NIED après le séisme du Tôhoku et doté de 150 bases, ainsi que d’autres réseaux câblés du plancher océanique (voir figure 2), ont révélé la présence d’une pluralité de séismes lents dans la fosse du Japon et à proximité du creux de Nankai. Compte tenu de la possibilité qu’il existe une relation entre les séismes lents et les séismes de grande ampleur, la proposition a été émise que les premiers soient intégrés parmi les critères justifiant la publication de bulletins sur la préparation aux séismes du creux de Nankai.

Sauver des vies grâce à l’alerte sismique précoce

On ne peut pas savoir à l’avance le moment et l’endroit des ruptures de faille, mais si l’on parvient à déterminer la forme et la friction des plans de faille ainsi que la façon dont la force s’applique, il devrait être possible d’évaluer la probabilité de l’imminence d’un séisme. L’observation des changements affectant la croûte terrestre sur terre et en mer a fait grandement progressé notre compréhension de la force de l’adhésion des plaques entre elles à leur bordure. Les supercalculateurs nous permettent d’estimer les emplacements et de mesurer la force active en bordure des plaques, en prenant en considération la subduction des plaques océaniques, les données au jour le jour sur les changements de la croûte et la redistribution de l’énergie via les séismes de faible ampleur et les séismes lents.

Pour améliorer la précision future des prédictions, nous devons mettre en œuvre une observation souterraine précise en vue de déterminer la forme des bordures de plaques et les quantités physiques de matériaux présents dans le voisinage. Il est également important de savoir quand et où se sont produits les grands séismes historiques, et de connaître leur ampleur. L’étude des documents anciens par les historiens et la recherche géologique sur les dépôts de tsunami concourent elles aussi à l’amélioration de la prédiction des séismes à venir.

La prévision des séismes ne peut établir qu’une probabilité — il n’existe aucun moyen de savoir avec certitude qu’un séisme va se produire à un moment donné. Mais immédiatement après le début d’un séisme, savoir en quelques secondes s’il va se transformer en une énorme secousse pourrait contribuer à sauver des vies. À l’heure actuelle, on enregistre des progrès dans la recherche sur ce genre d’informations en temps réel ainsi que dans l’application des résultats. L’Agence météorologique du Japon (JMA) a mis en place son service d’alerte précoce en 2007 (voir figure 3).

Ce service s’est avéré efficace en 2011 dans la région du Tôhoku, lors du tremblement de terre du même nom, mais il a sous-estimé la secousse qui a frappé la région aux alentours de Tokyo. La méthodologie employée à l’époque estimait l’emplacement du glissement initial de la faille qui allait provoquer le séisme ainsi que la magnitude attendue, en prédisant la force des secousses à diverses distances de ce point. Ce qu’elle n’a pas su prendre en considération, c’est l’extension que prendrait la zone de rupture, comme ce fut le cas lors du mégaséisme de 2011. Aujourd’hui, notre façon de procéder intègre une méthode permettant de mesurer les secousses sur un plus vaste éventail de points en vue d’évaluer la secousse au point cible, ce qui renforce la fiabilité du système. Et la mise au point de nouveaux procédés est en cours. Les modèles de faille pour les mégaséismes sont ajustés en permanence à l’aide de données en temps réel provenant du GEONET, et des recherches sont en cours pour appliquer ces données à la prédiction rapide des tsunami.

Stabilité et préparation

Le récent lancement du réseau MOWLAS a facilité la progression de la recherche sismique et renforcé la fonctionnalité de l’évaluation du statut de l’activité sismique, de la prédiction des séismes, et de l’information en temps réel. Ce genre de connaissance et d’information est essentiel pour la protection des gens et de la société dans son ensemble. Nous devons veiller à la stabilité du fonctionnement du réseau d’observation sur lequel tout cela repose.

Comme les mégaséismes qui se produisent en mer constituent une menace particulièrement sévère, nous devons aller de l’avant dans la mise en place des systèmes de câbles sous-marins destinés à l’observation de l’activité des séismes et des tsunami.

Mais, quelques soient ses progrès, la recherche a ses limites et, alors même que nous acquerrons et appliquons cette connaissance, nous devons aussi être constamment prêts à faire face aux séismes qui peuvent frapper en tous temps et en tous lieux.

(Photo de titre : glissements de terrains dévastateurs après le séisme qui s’est produit dans la ville d’Atsuma, sur l’île de Hokkaidô le 6 septembre 2018. Jiji)

séisme catastrophe science