Takaichi Sanae, dernier espoir du PLD ?
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Une femme à la tête du PLD, une première
Cette fois-ci, c’est la bonne. Le 4 octobre 2025, après avoir essuyé deux défaites, Takaichi Sanae a remporté l’élection à la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD), Elle s’était déjà présentée en 2021 et en 2024 ; l’année dernière, elle était arrivée en tête au premier tour, mais avait dû s’incliner au second tour face à Ishiba Shigeru. Cette fois-ci, elle a remporté le scrutin au premier et au deuxième tours, battant Koizumi Shinjirô au second tour. La troisième tentative est la bonne ; Takaichi Sanae a été nommée à la tête du parti.
L’élection à la présidence du PLD implique le vote de tous les membres siégeant au Parlement et les votes représentant l’ensemble des membres à l’échelle nationale. Et c’est dans ce deuxième tour que Takaichi Sanae a pu déployer toute sa force. Au premier tour, cinq candidats étaient en lice ; la nouvelle présidente du PLD a obtenu près de 40 % des votes (un peu plus de 250 000 sur les quelque 630 000 exprimés par les membres de base). Au deuxième tour, le coup de grâce ; elle a remporté 31 des 47 votes des sections préfectorales. Pourtant, rien ne laissait présager un tel dénouement, Koizumi Shinjirô était plutôt pressenti favori parmi les membres de la Diète, dont les votes ont plus de poids lors du deuxième tour. Mais Takaichi Sanae avait un soutien fort parmi les membres généraux, soutien qui a joué en sa faveur auprès des représentants et des conseillers. Résultat : elle est arrivée première au premier et au deuxième tours de l’élection.
L’histoire du Japon a vu d’autres scénarios comme celui-ci. En 1978, la première année où les membres et les sympathisants du parti ont pu participer au scrutin, Fukuda Takeo, Premier ministre sortant, était largement favori. Coup de théâtre : il a dû s’incliner devant Ôhira Masayoshi au premier tour. « Les voix du ciel peuvent parfois dire des choses tout à fait inattendues » ; cette dernière phrase de Fukuda Takeo restera gravée dans l’histoire. Se retirant avant le vote des membres de la Diète, il montrait qu’il comprenait l’importance de la volonté du peuple japonais.
Et derechef en 2001. Hashimoto Ryûtaro était pressenti vainqueur mais contre toute attente c’est Koizumi Jun’ichirô (le père de Koizumi Shinjirô) qui a remporté une confortable victoire parmi les sections préfectorales du parti lors du tour de scrutin régional. L’essai a été transformé lors de la phase à la Diète. Cette élection a clairement montré que l’organisation du parti devait prendre en compte les votes des membres locaux en tant qu’expression de la volonté du peuple japonais ; et l’histoire s’est répétée lors de la dernière élection, en 2025.
Mais pourquoi Takaichi Sanae a-t-elle bénéficié d’un tel soutien lors de l’élection de cette année ? Des programmes de dépenses publiques solides, un assouplissement monétaire audacieux, une position plus ferme en matière de défense et de politique étrangère, et un amour de la patrie ; ce sont tout autant de positions qu’elle a défendues jusque lors qui lui ont valu l’appui de tant de personnes. Avec de telles valeurs, la femme de 64 ans est sans nul doute sur les traces d’Abe Shinzô, celui qui l’a précédée quelques années plus tôt en tant que Premier ministre.
Le Japon semble à la croisée des chemins dans de nombreux domaines. Si les répercussions des « décennies perdues » de marasme économique qui ont suivi l’éclatement de la bulle spéculative se font encore ressentir, les prix à la consommation continuent d’augmenter, une hausse que les salaires peinent à compenser, entraînant une pression de plus en plus marquée sur les générations actives. Les touristes étrangers sont de plus en plus nombreux au Japon, tout comme les résidents étrangers de longue durée, ce qui provoque parfois des frictions avec les citoyens qui habitent et qui travaillent eux aussi dans l’Archipel. Le sentiment d’insatisfaction est chaque jour un peu plus évident.
Certains partis ont bien compris comment exploiter la situation de l’échiquier politique ; le Parti démocrate du peuple (PDP), qui appelle à une hausse des salaires nets au Japon, et le Sanseitô avec son slogan le « Japon d’abord ». Le PLD a assisté à un effritement de son socle, auparavant loyal, des électeurs conservateurs, ce qui a de toute évidence mené de nombreux membres à préférer un retour à une ligne plus dure représentée par le Premier ministre Abe Shinzô, lorsqu’il était au pouvoir. Maintenant à la tête du parti, c’est Takaichi Sanae qui aura la lourde tâche de redorer l’image ternie du PLD.
Un changement de cap seulement sur le papier ?
Bien sûr, la trajectoire politique du PLD ne fait aucun doute sur l’émergence de Takaichi Sanae en tant que leader du parti, « pseudo changement de régime » observé à maintes reprises dans l’histoire de la formation politique.
Quand Abe Shinzô s’est retiré en tant que Premier ministre en 2020, il a laissé la place à Suga Yoshihide, qui lui-même a cédé la place à Kishida Fumio. L’influence d’Abe Shinzô s’est affaiblie peu à peu à chaque nouveau chef du gouvernement, une tendance d’autant plus évidente lorsqu’Ishiba Shigeru a pris le pouvoir en 2024.
Ishiba maintient depuis longtemps des liens étroits avec Noda Yoshihiko, du Parti démocrate-constitutionnel du Japon (PDC), la principale force d’opposition. Les deux hommes ont le même âge et Ishiba n’hésite pas à mentionner le fait qu’ils « s’entendent plutôt bien », alimentant les rumeurs d’une potentielle coalition entre le PLD et le PDC. Clairement, Ishiba se sentait moins à l’aise dans le camp centriste conservateur, penchant plutôt fortement vers le côté libéral du centre.
Takaichi a maintenant ramené la barre du côté conservateur, un exemple classique du PLD qui semble mette en œuvre un changement dramatique, tout en, dans les faits, revenant au statu quo initial.
La création du PLD en 1955 a succédé à la fusion entre le Parti libéral, alors dirigé par Yoshida Shigeru, et le Parti démocrate au Japon, avec à sa tête Hatoyama Ichirô. Il réunissait donc dès le départ deux courants politiques majeurs, entremêlés comme les fils d’une seule et même corde. Et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Le courant représentatif de l’ancien Parti libéral s’étendait de Yoshida Shigeru à des dirigeants tels qu’Ikeda Hayato, Satô Eisaku et Tanaka Kakuei. Ikeda Hayato est à l’origine de la faction Kôchikai au sein du parti, plus tard reprise par Kishida Fumio. Ishiba Shigeru a reçu de nombreux conseils précieux auprès de Tanaka Kakuei au début de sa carrière politique. Le courant du Parti libéral peut se caractériser comme perpétuant la doctrine de Yoshida Shigeru, prônant un Japon avec une armée à la présence modérée, résolument centré sur l’économie, autrefois qualifié de « conservatisme dominant » au Japon.
Le courant du Parti démocrate, lui, est issu de Kishi Nobusuke, et s’est étendu à des dirigeants tels que Fukuda Takeo, Abe Shintarô, Koizumi Jun’ichirô et Abe Shinzô, incarnés dans la faction Seiwakai. Ces hommes politiques avaient des idées différentes sur l’approche à adopter en matière d’économie, mais le conservatisme était cohérent dans leurs positions sur la nécessité de renforcer les capacités de défense du Japon et d’amender la Constitution pour permettre un tel changement.
À la lumière de ces deux fils qui composent une même corde, il est plus aisé de comprendre la dynamique qui a permis à Kishi Nobusuke de passer le relais à Ikeda Hayato, pour la direction du PLD, et plus récemment lorsqu’Abe Shinzô a transmis le flambeau à Suga Yoshihide, Kishida Fumio et Ishiba Shigeru. Et maintenant, le schéma se reproduit avec le passage d’Ishiba Shigeru à Takaichi Sanae. La nouvelle présidente du PLD a autrefois appartenu au Seiwakai, prédécesseur de la faction Abe, et est généralement perçue comme une conservatrice radicale au sein du parti, bien qu’elle se décrive elle-même comme plus modérée.
Il faut reconnaître que Takaichi Sanae doit notamment son ascension aux différents changements de la situation internationale, lesquels ont également un impact sur le Japon. La Chine continue de renforcer ses arsenaux, montrant clairement des ambitions de superpuissance. La Corée du Nord reste une menace plus importante que jamais, et la Russie ne semble guère prête à renoncer à la guerre en Ukraine. Quant aux États-Unis, sous la présidence de Donald Trump, ils semblent résolus à faire table rase de l’ordre international d’après-guerre, tandis que les forces d’extrême-droite remportent victoires après victoires dans de nombreux pays occidentaux.
Le Japon, quant à lui, est de moins en moins présent sur la scène internationale. Alors que le pessimisme s’accentue et que les inquiétudes sont de plus en plus nombreuses en raison de la contingence militaire à Taïwan, les vents tournent pour et en faveur des figures politiques des camps nationalistes. Pour une dirigeante telle que Takaichi Sanae, qui appelle à rendre au Japon toute sa grandeur, le moment est bien choisi..
Les chances de coalition du PLD
Alors que Takaichi Sanae a les yeux rivés sur la prochaine phase de son leadership à la tête du PLD, c’est-à-dire s’assurer d’être choisie en tant que Première ministre et mettre en place un nouveau gouvernement, sa première préoccupation est de savoir comment étendre les liens de son parti vers d’autres acteurs au Parlement. Le gouvernement Ishiba a formé des alliances politiques partielles avec d’autres partis sur une base casuistique, afin de mettre en œuvre ses politiques, mais la tâche est difficile. Dans un souci de stabilité politique, le PLD cherchera à coup sûr à ajouter un nouveau parti.
Takaichi Sanae s’est exprimée clairement sur cette nécessité lors de sa campagne pour la présidence du parti. Le 4 octobre, en conférence de presse, à l’issue de sa victoire, elle a déclaré : « Je serai extrêmement heureuse si nous pouvons avoir des discussions constructives et aboutir à un accord mutuellement acceptable, » laissant entendre qu’elle est prête à apporter une élément nouveau de l’opposition à la coalition au pouvoir.
Les partenaires potentiels ici semblent être le parti Nippon Ishin no Kai et le PDP. Le premier s’est dit favorable à des discussions si le PLD les initiait, tandis que le second a davantage adopté une attitude de réserve, attendant de voir l’évolution de la situation.
Cependant, un autre élément est venu s’ajouter à cette équation. Le 4 octobre Saitô Testuo, qui dirige le partenaire de coalition, le Komeitô, a déclaré à Takaichi Sanae, lorsqu’elle s’est rendue au siège du parti après sa victoire : « À moins que nous ne parvenions à dissiper nos inquiétudes concernant des sujets tels que vos potentielles visites au sanctuaire Yasukuni, nous ne pourrons pas faire partie de la coalition. » Le Komeitô s’est également opposé à l’idée de travailler avec le parti Ishin, concurrent de taille dans les circonscriptions électorales d’Osaka. Il a au contraire demandé très clairement à la nouvelle présidente du parti de respecter les besoins du partenaire du PLD. (Ndlr : le Kômeitô a rompu son alliance avec le PLD le 10 octobre)
Avec du recul, le développement entier du parti pourrait être décrit comme un nouveau chapitre dans le déclin du Parti libéral-démocrate, qui s’apprête à marquer son 70e anniversaire en novembre cette année.
Le PLD est resté au pouvoir de 1955 jusqu’à 1993, soit 38 ans, lorsqu’il a été contraint de passer dans l’opposition par une coalition de partis. Il est revenu au pouvoir l’année suivante, s’alliant avec le Parti socialiste du Japon (PSJ) et le Nouveau parti Sakigake, et plaçant le chef du PSJ, Murayama Tomiichi au poste de Premier ministre. En 1999, le PLD a formé une coalition stable avec le Komeitô, et à l’exception d’une période de trois ans où il n’était pas au pouvoir et avait laissé la place au PDP à partir de 2009, il a conservé les rênes du pouvoir depuis lors.
Le PLD, un vieux parti en perte de vitesse ?
Si on le voit comme une personne, le PLD a essuyé un revers à l’âge de 38 ans, a appris qu’il était difficile de faire cavalier seul et a donc décidé de s’allier avec son partenaire, le Komeitô, à l’âge de 44 ans. À 54 ans, il a dû faire une pause pour raison de santé, mais s’est rétabli à l’âge de 57 ans. Cependant, il a bientôt maintenant 70 ans, le Kômeitô l’a quitté, et ses faiblesses apparaissent de plus en plus évidentes ; il a donc besoin d’un autre partenaire pour l’aider à surmonter cette époque. Le PLD serait-il donc victime de son grand âge ?
Le PLD est très diversifié, avec des membres à droite comme à gauche de la sphère politique, conservateurs et libéraux. Au fil des époques, il a vu certaines formations de droite telles que le parti Sanseitô et le Parti conservateur du Japon lui ravir certains de ses membres les plus conservateurs, tandis que d’autres regroupements plus centristes tels que le parti Ishin et le PDP ont récupéré leur part de figures politiques qui avaient auparavant adhéré aux idées du PLD, entraînant une influence amoindrie de ce dernier.
Le défi qui attend Takaichi Sanae est donc de taille. Elle devra reconquérir le territoire à droite de l’échiquier politique tout ramenant les centristes dans les rangs du PLD, renforçant son gouvernement avec de nouveaux partenaires de coalition et étendant la mainmise du PLD sur le pouvoir.
Pour ce faire, elle prendra une fois de plus exemple sur Abe Shinzô, son modèle. Conservateur au plus profond de lui-même, il a su garder les pieds sur terre, tout en mettant en œuvre de nombreuses politiques si chères au PLD, telles que les hausses des salaires, la nomination de femmes à des postes à responsabilité et la réforme des modes de travail au Japon. Il a su maintenir une main de fer sur l’aile conservatrice du parti, tout en gagnant le cœur des centristes sans appartenance à aucune formation politique, qui constituent en fait la plus grande partie de l’électorat. Son gouvernement a été le plus long gouvernement de l’histoire du Japon. Si Takaichi Sanae veut en effet s’en tenir, telle qu’elle l’a déclaré, à un « conservatisme modéré », elle ne devra pour autant délaisser ni les conservateurs les plus durs du côté droit de son parti, ni les modérés, plus à gauche.
La nouvelle présidente du PLD a déjà déclaré qu’elle parviendra à rétablir l’unité au sein de son parti. Comment ? En nommant à des postes clés, lorsque le moment sera venu de décider qui dirigera l’organisation du PLD et d’attribuer les portefeuilles ministériels, les quatre candidats qui briguaient comme elle la présidence du parti. La question est maintenant de savoir si elle saura faire des choix de personnels, incluant un large éventail de membres du parti, de différentes générations, à l’intérieur comme à l’extérieur du courant dominant.
Takaichi Sanae a jadis fait l’objet de nombreuses critiques pour avoir essayé de tout faire par elle-même. Elle aura besoin de s’entourer d’une forte équipe de membres talentueux, à qui elle déléguera les tâches alors qu’elle sera à la tête de son gouvernement. Saura-t-elle remettre le PLD sur pied ? Saura-t-elle rendre au Japon sa force et sa prospérité ? Si elle échoue, ce pourrait être pour le parti l’estocade.
(Photo de titre : le Premier ministre Abe Shinzô et Takaichi Sanae assistent à une réunion au Kantei à Tokyo en octobre 2014. Jiji)