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Nakano Broadway : comment vit et survit la Mecque des « otaku » du monde entier

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Dans le quartier de Nakano, à Tokyo, se trouve une terre sacrée pour les fans de culture pop japonaise : Nakano Broadway. Une pléthore de magasins vendant des figurines d’anime, de mangas et d’autres produits dérivés, attendent les passionés du monde entier. Voici une exploration du passé, du présent et du futur de cet espace commercial emblématique de la capitale, vieux de plus d’un demi-siècle.

« Le plus grand bâtiment d’Asie » ouvre en 1966

L’année 2022 marque le 56e anniversaire de l’ouverture de Nakano Broadway. C’est un imposant bâtiment de 10 étages avec trois niveaux de sous-sol qui se trouve au bout de la longue galerie commerçante appelée Sun Mall, qui s’étend à partir de la sortie nord de la gare JR Nakano. Du cinquième au dixième étage de l’édifice, nous avons un espace résidentiel avec même une piscine sur le toit, une aire de jeux et un potager.

Les deux étages les plus bas regroupent les salles des machines , tandis que les cinq étages au-dessus regorge d’une grande variété de petits magasins en tout genre, jusqu’à 350 ! Mais le roulement est si rapide que personne ne connaît le nombre exact.

Lorsque Nakano Broadway a ouvert ses portes en 1966, il était présenté comme « le plus grand bâtiment d’Asie ». À l’avant-garde du boom des tours résidentielles de luxe, les espaces commerciaux abritaient des boutiques haut de gamme. Les premiers résidents comprenaient le chanteur Sawada Kenji et l’acteur reconverti en politicien Aoshima Yukio. Mais une décennie après ses débuts, le complexe s’est retrouvé éclipsé par de nouveaux centres commerciaux érigés ailleurs le long de la ligne Chûô, dans des quartiers comme Shinjuku, Ogikubo et Kichijôji. Alors que l’endroit perdait de sa compétitivité au profit de ces nouveaux venus, les détaillants ont fui. À l’aube des années 1980, bon nombre de ses magasins étaient vides, ce que l’on appelle en japonais une « rue commerçante aux rideaux fermés» (shatta dôri shôtengai).

Le lieu phare : le magasin Mandarake

C’est alors qu’en plein milieu de la crise, le messie est arrivé : une librairie d’occasion est apparue au deuxième étage en 1980 dans un petit endroit d’à peine 7 mètres carrés. « Mandarake », tel est son nom, était spécialisée dans les mangas d’occasion. Elle était dirigée par un homme du nom de Furukawa Masuzô, alors âgé de 30 ans.

Deux ans après l’ouverture de sa première boutique, Furukawa en loue une autre du côté nord du troisième étage, puis une autre face au couloir principal de l’étage. Il ouvre un espace, le Ladies kan, spécialisé dans les mangas, les animes et les marchandises associées pour filles, puis un autre, le Mania kan, traitant des fanzines dôjinshi et des livres rares d’avant et d’après-guerre. Ceux-ci ont été suivis par le Daiyogen (« la grande prophétie ») spécialisé dans l’occulte et le paranormal, et le Special kan, qui s’occupait de toutes sortes de jouets, de modèles réduits, de CD et de Laserdiscs. Les boutiques Mandarake ont continué à proliférer dans les espaces vides du complexe commercial avec aujourd’hui 35 magasins affiliés opérant sur 4 étages.

« Mandarake magasin principal » au 2e étage de Nakano Broadway, proposant une quantité incroyable de mangas shônen (pour jeunes) et seinen (pour un public plus mature).
« Mandarake magasin principal » au 2e étage de Nakano Broadway, proposant une quantité incroyable de mangas shônen (pour jeunes) et seinen (pour un public plus mature).

Le succès de Mandarake a attiré d’autres fournisseurs spécialisés du pays, qui ont soutenu des fandoms pour les mangas et les animés, les jeunes idoles, les films, les productions vidéos tokusatsu, le catch, le baseball, etc. De cette façon, une modeste librairie d’occasion ouverte en 1980 est devenue le catalyseur qui a déclenché une explosion de la culture pop dans les années 1990, apportant à Nakano Broadway ce qu’il est devenu aujourd’hui.

L'auteur a visité Mandarake Hen’ya, au 3e étage de Nakano Broadway, où les mascottes publicitaires et les produits d'après-guerre et rétro sont rassemblés.
L’auteur a visité Mandarake Hen’ya, au 3e étage de Nakano Broadway, où les mascottes publicitaires et les produits d’après-guerre et rétro sont rassemblés.

Des entreprises qui vivent de la jeunesse et de la passion

Il y a une raison pour laquelle une telle transformation s’est déroulée dans les couloirs de Nakano Broadway : les problèmes de propriété, qui se compliquaient déjà dès l’aube des années 1980. Les espaces de vente au détail n’étaient initialement proposés qu’à la vente, mais au fur et à mesure que les propriétaires d’origine ont commencé à vendre leurs biens, la propriété s’est progressivement diversifiée. Quand de nouveaux propriétaires ont commencé à sous-louer à de nouveaux locataires, il est devenu rapidement difficile, voire impossible, de tous les gérer.

Mais au sein de cette crise, des commerçants y ont vu une opportunité. Les espaces commerciaux devenaient de plus en plus petits et les prix de location chutaient. Cela a attiré de jeunes entrepreneurs avec peu de capitaux mais qui pensaient pouvoir rivaliser grâce à la puissance de leurs propres passions. Leur nombre et leur présence ont créé une nouvelle richesse au cœur de cet environnement.

Voici donc ce qui donne maintenant à Nakano Broadway son atmosphère si différente des centres commerciaux construits par les grands promoteurs dans les centres-villes comme Shinjuku et Shibuya. L’idée que n’importe qui puisse lancer son entreprise là-bas avec peu d’attentes a favorisé un environnement de vente au détail où régnait une sorte de « chaos maîtrisé ». Cette situation perdure encore aujourd’hui, puisqu’il n’y a pas de consensus sur la façon de rénover ou de revitaliser cet ancien bâtiment désormais grinçant. Les plans proposés sont reportés encore et encore.

Les visiteurs étrangers affluent grâce au net

Dans les années 1990, Nakano Broadway est devenu la Mecque des otaku, où tous les fans de culture pop nippone pouvaient se plonger dans leur univers favori et recueillir de grandes quantités d’informations. Sans compter l’arrivée d’internet au tournant du millénaire qui a accéléré cette tendance. Selon les mots de l’écrivain Watanabe Kôji, qui réside dans le quartier : « La diffusion d’internet a transformé Nakano Broadway en une Mecque virtuelle pour les otaku du monde entier, qu’ils viennent des États-Unis, d’Angleterre, de France, de Chine, du Mexique, d’Iran, de partout... En apprenant l’existence du lieu de leurs rêves grâce au net, plus rien ne pouvait les retenir de se rendre à Tokyo. »

C’est ainsi que le nombre de visages étrangers à Nakano Broadway a augmenté de façon exponentielle pendant cette période.

Nakano Broadway survit après le passage de la pandémie

Dans les années 2010, Kaikai Kiki, la société dirigée par le célèbre artiste pop Murakami Takashi, a ouvert des galeries et des cafés à Nakano Broadway. En mai 2016, Murakami y a déménagé ses opérations commerciales, plus précisément dans un espace appelé « Office Zingaro Yokochô ». En 2018, il ouvre également « Tonari no Zingaro », sa boutique officielle. Il y propose une variété de produits conçus par Kaikai Kiki qui ne sont disponibles qu’en ce lieu, tels que des tirages d’art, des affiches, des vêtements, etc. Lorsque de nouveaux articles sont mis en vente, il n’est pas rare de voir des files d’attente s’étendant sur plusieurs étages. Et il va sans dire que nombre de ces clients sont étrangers.

La boutique officielle de Takashi Murakami « Tonari no Zingaro » au 3e étage de Nakano Broadway.
La boutique officielle de Takashi Murakami « Tonari no Zingaro » au 3e étage de Nakano Broadway.

Cela reflète aussi la tendance au tourisme. Le nombre de touristes étrangers arrivant au Japon a dépassé les 10 millions en 2013, puis a doublé pour atteindre 20 millions en 2015 et a franchi la barre des 31 millions en 2019. Les fans du monde entier avaient longtemps visité Nakano Broadway à la recherche de la culture otaku, et leur nombre a considérablement augmenté. L’établissement les a chaleureusement accueillis. Des panneaux de signalisation en anglais, en chinois et en coréen sont apparus, ainsi que des brochures d’information conçues pour les visiteurs étrangers.

Mais l’arrivée du Covid-19 a tout chamboulé. Les millions de touristes étrangers au Japon en 2019 sont tombés à environ 4 millions en 2020, puis à seulement 245 000 en 2021. Plus personne pour venir acheter les produits dérivés de ses mangas préférés. Pour la première fois, on pouvait vraiment ressentir l’âge avancé du lieu.

Depuis, l’état d’urgence a été levé et les voyageurs d’outre-mer commencent à revenir au compte-goutte. La tendance des magasins de montres de luxe se poursuit et les petites boutiques spécialisées continuent également de prospérer. Comme prévu pour un bâtiment de 56 ans, les mesures antisismiques suscitent des inquiétudes, et le câblage, la plomberie et d’autres problèmes de maintenance prolifèrent. Pourtant, les choses semblent enfin commencer à revenir à un faux-semblant de pré-Covid. Après plus d’un demi-siècle, Nakano Broadway, terre sacrée des fans de culture pop japonaise, continue d’évoluer, mais que nous réserve-t-elle dans les prochaines années?

Allée principale de Nakano Broadway, au rez-de-chaussée
Allée principale de Nakano Broadway, au rez-de-chaussée

(Photo de titre : l’entrée de Nakano Broadway. Toutes les photos : © Kurosawa Hisaki)

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