Le rôle des expositions universelles dans l’introduction du thé japonais à travers le monde

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Les expositions universelles sont depuis longtemps le choix idéal pour mettre en valeur les dernières technologies et les produits de l’époque. Un nouvel ouvrage décrit comment le Japon s’est servi de ces événements internationaux, à partir de la fin de l’époque d’Edo, pour promouvoir son thé dans les pays de l’ouest, et partager la culture japonaise du thé avec le monde.

Première exposition universelle pour le Japon

Il est dit que l’exposition de Crystal Palace à Londres en 1851 est le prototype des expositions universelles d’aujourd’hui, créant un espace où les pays du monde entier pouvaient faire connaître leurs produits et leurs spécialités, et encourageant les échanges culturels et commerciaux.

Les chercheurs Yoshino Ako et Ido Kôichi ont examiné la participation du Japon aux expositions de l’ère moderne, à partir de l’Exposition universelle de Paris en 1867 et jusqu’à la Chicago World Fair de 1933-34, dans un nouveau livre intitulé « Les expositions universelles modernes et le thé - l’histoire de la diplomatie du thé japonais qui a émerveillé le monde » (Kindai banpaku to cha : Sekai ga odoroita Nihon no kissagaikô shi). Les auteurs ont étudié des articles de journaux et autres archives historiques, et aussi visité les sites d’expos. Ils décrivent de façon chronologique la relation entre ces expositions et la propagation du thé japonais et de la culture du thé.

Le début des exportations de wakôcha (thé noir japonais)

En 1867, une délégation japonaise menée par Tokugawa Akitake, le jeune frère du shôgun Tokugawa Yoshinobu, est envoyée à l’exposition de Paris organisée par l’empereur Napoléon III. Shibusawa Eiichi, connu plus tard comme le « père du capitalisme japonais », faisait partie de la délégation, avec des représentants des domaines puissants de Satsuma et Saga.

Le livre décrit comment le pavillon de thé au sein du pavillon du Japon fait sensation parmi les parisiens, et reçoit une médaille d’argent de l’empereur Napoléon III. Du thé japonais y était servi. Ainsi commençait la présence du thé japonais dans ces expositions.

Une illustration du livre montrant des dames japonaises en kimono dans le pavillon de thé japonais de l’exposition universelle de Paris 1867. (© Album/Quintlox/Kyôdô)
Une illustration du livre montrant des dames japonaises en kimono dans le pavillon de thé japonais de l’exposition universelle de Paris 1867. (© Album/Quintlox/Kyôdô)

En 1873, les représentants de la préfecture de Saga présentent du thé noir, qu’ils appellent wakôcha, à l’Expo universelle de Vienne. Bien que les Japonais boivent normalement du thé vert qui n’a pas été fermenté, les dirigeants de Saga avaient appris lors de l’Expo de Paris en 1867 que le thé noir fermenté était plus adapté à l’exportation vers l’Europe. Les cultivateurs de thé à travers le Japon se sont donc mis à produire du thé noir pour l’exportation, ce qui était, selon les auteurs, un moment historique dans l’histoire du thé japonais. Pour l’anecdote, le moine bouddhiste Baisaô (1675-1763), fondateur de la variante senchadô de la cérémonie du thé, où le thé est infusé plutôt qu’émulsionné, était lui aussi originaire de Saga, berceau du wakôcha.

Introduction à la cérémonie du thé

Les expositions universelles offraient un moyen de faire connaitre la culture japonaise au reste du monde. Lors de celle de 1876 à Philadelphie, pour fêter le centenaire de la déclaration d’indépendance, on retrouve trois références au « cha-no-yu » (nom qui désigne la cérémonie du thé) dans la liste des produits exposés. Les auteurs font remarquer que ce serait la première référence en anglais à cette pratique traditionnelle dans un document officiel.

L’Expo universelle de Paris en 1878 présente une nouvelle fois un pavillon de thé japonais, ainsi qu’un document décrivant l’histoire du sadô, ou « voie du thé ». Selon le livre, ce serait Masuda Takashi (1848-1938), industrialiste, collectionneur d’art, et fondateur de l’entreprise Mitsui, qui fait venir trois menuisiers du Japon pour édifier la structure. Ultérieurement, Masuda devient lui-même maître de thé sous le nom de Donnô.

Okakura Kakuzô (aussi appelé Okakura Tenshin, 1868-1913), l’auteur du Livre du thé, publié à New York en 1906, présente la culture du thé japonais lors de deux expositions universelles. Il écrit un guide en anglais sur le pavillon de thé Hôôden à l’exposition universelle de Chicago de 1893. Puis en 1904, il donne une conférence sur l’aspect artistique de la cérémonie du thé à l’Expo universelle de St. Louis.

Le rôle des femmes japonaises

En mettant le thé japonais en avant lors des expositions universelles, le principal objectif du gouvernement est l’encouragement de l’exportation, le thé servant aussi à promouvoir la culture japonaise. Le livre dépeint la contribution dynamique des femmes japonaises.

Au sein du pavillon de thé japonais à l’Expo universelle de Paris de 1867 se trouvaient trois geishas qu’on avait fait venir à Paris pour l’occasion. À l’époque, les Japonaises fascinaient le public français, et les foules se sont pressées pour les voir.

Un grand salon de thé construit entièrement de cyprès accueille le public lors de l’Expo universelle Panama-Pacific à San Francisco en 1915. Sept jeunes filles venues du Japon y œuvraient, vêtues de kimonos aux manches longues. Un article du 2 février 1915 dans le quotidien en langue japonaise The Japanese American News décrit leur arrivée à San Francisco et explique que ce sont « des jeunes filles de bonnes familles », des filles de hauts fonctionnaires et même d’un amiral. Mais ce sont cependant des filles issues de familles japonaises ayant immigré aux États-Unis qui sont embauchées pour travailler au salon de thé de l’Expo universelle de Chicago en 1933. Ces filles sont représentées sur des cartes postales et sur les publicités pour le thé vert japonais.

À cette occasion, Rinkôtei, un salon de thé établi par Masuda pour encourager l’amitié nippo-americaine propose même des tables et des chaises. Une jeune femme de vingt ans, fille d’un chirurgien, était venue du Japon spécialement pour y préparer le thé.

La participation aux expositions américaines sensibilise le public au thé japonais

Durant l’époque impérialiste où les puissances occidentales se partagent le monde, le commerce du thé a une grande valeur. La Chine domine le marché avec ses exportations vers l’Europe et l’Amérique du Nord de thé vert, de thé oolong semi-fermenté, et de thé noir. L’empire britannique qui dépendait des importations de Chine prend ses distances en cultivant d’énormes plantations de thé noir Assam dans ses colonies d’Inde et Ceylon (le Sri Lanka d’aujourd’hui).

Entre la fin du XIXe siècle et l’ascension de l’empire japonais, les États-Unis restent la destination principale pour les exportations de thé vert japonais. Après la guerre sino-japonaise (1894-95) et l’annexation de Taïwan, les thés oolong et autres commencent à être exportés vers les États-Unis, via le Japon. Le livre contient aussi des détails sur les salons de thé taïwanais aux expositions universelles de St. Louis, San Francisco et Paris.

Le livre mentionne aussi Robert Hellyer, un historien et spécialiste dans le commerce moderne du thé. Il s’agit d’un descendant de la famille Hellyer de Hellyer & Company, marchands de thé à Nagasaki, dont il parle dans son livre « Vert avec du sucre et du lait : Quand le Japon était la tasse de thé des américains » (Green with Milk and Sugar: When Japan Filled America’s Tea Cups). Hellyer décrit comment le thé vert devient tellement populaire dans le Midwest américain à partir de la fin du XIXe siècle qu’on surnommait la région « Le pays du thé vert ». Il est convaincu que ce sont les expositions universelles de St. Louis et Chicago qui ont sensibilisé le public au thé vert. Mais tout cela prend fin brusquement avec l’attaque japonaise de Pearl Harbor. Le Japon perd la guerre et son empire en 1945, et l’ambition de pré-guerre du gouvernement de dominer le marché global du thé s’évapore.

Au moment où les exportations de thé japonais augmentent une nouvelle fois, Yoshino et Ito terminent leur livre avec la phrase suivante :

Le Japon a accueilli six expositions universelles depuis, à commencer par celle d’Osaka en 1970, la toute première en Asie. « Il paraît que l’Expo universelle d’Osaka de 2025 présentera l’idée de l’omotenashi (l’art de l’hospitalité) qui est au cœur du sadô (la voie du thé). Nous nous réjouissons de voir cette relation entre les expositions et le thé continuer à se développer. »

(Photo de titre : Pixta)

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