Vers une nouvelle ère impériale, vers un nouveau Japon

Kuroda Sayako : le destin exemplaire d’une fille d’empereur

Société

Kuroda Sayako est la sœur de l’empereur actuel du Japon Naruhito, et la fille de l’empereur retiré Akihito. À dater de son mariage en 2005, elle a perdu son statut de princesse, quitté le palais impérial et mené une vie de citoyenne ordinaire en compagnie de son époux Kuroda Yoshiki, dont elle a pris le nom. Mais en 2012, elle a accédé au rang de prêtresse du sanctuaire shintô d’Ise. Voici l’histoire étonnante d’une Japonaise au destin hors norme.

Une tiare impériale pas comme les autres

Le 5 décembre 2021, la princesse Aiko, fille unique de l’empereur Naruhito et de l’impératrice Masako, a célébré son entrée dans l’âge adulte (seijin shiki). Lors de la cérémonie organisée au palais impérial de Tokyo, elle a porté une tiare empruntée à sa tante Kuroda Sayako, sœur de l’empereur actuel Naruhito. Une tradition relativement récente veut pourtant que lorsqu’une princesse impériale fête son vingtième anniversaire, on fabrique une tiare spécialement pour elle. Cette coiffure d’apparat appartenant à l’Etat doit être restituée le jour où la princesse se marie, car elle perd de ce fait son statut impérial. C’est ce qui s’est passé lorsque la princesse Mako, nièce du souverain, a épousé Komuro Kei en octobre 2021. Elle a perdu son titre princier, pris le nom de Komuro Mako, et rendu la tiare qu’on lui avait remise à ses vingt ans.

Le 5 décembre 2021, la princesse Aiko a célébré son entrée dans l’âge adulte. Pendant la cérémonie qui s’est tenue au palais impérial de Tokyo à cette occasion, elle a porté une tiare empruntée à sa tante Kuroda Sayako, sœur de l'empereur actuel Naruhito et princesse impériale jusqu’à son mariage en 2005. (Reuters)
Le 5 décembre 2021, la princesse Aiko a célébré son entrée dans l’âge adulte. Pendant la cérémonie qui s’est tenue au palais impérial de Tokyo à cette occasion, elle a porté une tiare empruntée à sa tante Kuroda Sayako, sœur de l’empereur actuel Naruhito et princesse impériale jusqu’à son mariage en 2005. (Reuters)

Les choses ont été un peu différentes en ce qui concerne le diadème porté par la princesse Aiko pour célébrer son entrée dans l’âge adulte. À l’origine, celui-ci avait en effet été fabriqué en 1989, pour les vingt ans de la princesse Sayako, et il avait été financé par ses parents, l’empereur retiré Akihito et l’impératrice retirée Michiko, avec des fonds destinés à leur usage personnel. Leur fille n’a donc pas eu besoin de le restituer lors de son mariage.

Si la princesse Aiko n’a pas eu droit à une nouvelle tiare, c’est parce que la maison impériale a jugé que ce n’était pas une bonne initiative dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Et c’est pourquoi elle a porté celle de sa tante.

Kuroda Sayako et son époux Kuroda Yoshiki sont sortis de leur réserve habituelle pour se joindre aux personnalités triées sur le volet qui ont assisté à la cérémonie. Le couple a fait entrée dans l’enceinte du palais impérial à bord d’une voiture ordinaire avec Kuroda Yoshiki au volant et son épouse à ses côtés, sur le siège du passager avant.

Une princesse avec un emploi rémunéré

Née le 18 avril 1969, la princesse Sayako est le troisième enfant de l’empereur Akihito et de l’impératrice Michiko. Contrairement à ses deux frères les princes Naruhito et Fumihito devenus respectivement empereur et prince héritier par la suite, elle a été élevée dans l’idée qu’un jour elle se marierait et que ce faisant, elle perdrait son statut princier pour celui de citoyen ordinaire. Entre 1977 et 1987, elle a fréquenté les classes primaires et secondaires du Gakushûin de Tokyo et pendant toute cette période, elle a fait des voyages en compagnie de sa mère. Ayant commencé à s’intéresser à la danse traditionnelle japonaise (buyô) quand elle est entrée au collège, elle a par ailleurs participé à des représentations en public au Théâtre national du Japon.

En 1988, la jeune princesse a entamé des études de langues et de littérature à l’Université Gakushûin, comme sa nièce la princesse Aiko à l’heure actuelle. En 1989, son grand-père l’empereur Hirohito est mort et son père le prince Akihito lui a succédé sur le trône. A la fin de ses études en 1992, la princesse Sayako est devenue assistante de recherche à l’Institut d’ornithologie de Yamashina où elle a travaillé deux jours par semaine. Elle est sans doute la première princesse japonaise à avoir touché un salaire. Elle est ensuite devenue chargée de recherches à part entière et en tant que telle, elle a coécrit des rapports sur les oiseaux observés autour du palais impérial et du palais d’Akasaka.

À partir du moment où elle a atteint l’âge adulte, la princesse Sayako a accompli des obligations officielles en tant que membre de la famille impériale. Elle s’est notamment rendue dans quatorze pays pour des visites officielles dont huit ont été effectuées en solo. C’est ainsi qu’en novembre 1995, elle a représenté la famille impériale au Brésil dans le cadre de la commémoration du centième anniversaire des relations diplomatiques nippo-brésiliennes. Elle s’est également impliquée dans diverses activités de bienfaisance dont la formation de chiens guides d’aveugle. Mais elle n’en est pas moins restée très proche de ses parents pour qui elle a toujours été une confidente et un soutien indéfectible.

Comment a-t-elle renconté son futur mari ?

Sachant que le mariage de la fille de l’empereur ferait grand bruit, la princesse Sayako a demandé aux médias de ne pas déranger l’homme qu’elle épouserait, lors d’une conférence de presse.

En 2003, elle a eu 34 ans. À l’occasion d’une réunion organisée par le prince Fumihito, elle a rencontré à nouveau Kuroda Yoshiki, un employé du gouvernement métropolitain de Tokyo né en 1965 et ami de longue date de son frère. Les deux hommes se connaissaient depuis l’école primaire où ils avaient fréquenté le même établissement scolaire, à savoir le Gakushûin. Kuroda Yoshiki avait fait de fréquentes visites au palais d’Akasaka. Et la princesse Sayako se souvenait de ce garçon « de haute taille qui avait toujours l’air sérieux ».

Au lycée, le prince Fumihito et son ami étaient inscrits dans les mêmes clubs. Et à l’université, Kuroda Yoshiki faisait partie d’un groupe de recherches sur la culture et la nature dirigé par le prince, tout comme Kawashima Kiko, sa future épouse. Pendant qu’il faisait des études de droit, il a perdu son père, employé chez Toyota. Une fois son diplôme en poche, il est entré dans une banque qu’il a quittée en 1996, à l’âge de 31 ans. Un an plus tard, il a été embauché par le gouvernement métropolitain de Tokyo où il s’est spécialisé dans le bâtiment et le développement urbain. Kuroda Yoshiki dit que s’il a changé d’emploi, c’est parce qu’il voulait travailler dans le secteur public. Il semble que son choix ait également été motivé par le fait qu’il vivait avec sa mère dans un appartement du quartier de Harajuku, à Tokyo, et qu’avec un poste au gouvernement métropolitain, il ne courait pas le risque d’être muté ailleurs comme dans une entreprise privée.

Et puis en 2003, le destin a voulu que son chemin croise une nouvelle fois celui de la princesse Sayako. Le prince Fumihito a encouragé leurs relations en proposant sa résidence comme lieu de rendez-vous. En décembre 2004, les deux jeunes gens se sont fiancés et ils ont donné une conférence de presse à ce sujet.

La princesse Sayako et Kuroda Yoshiki pendant la conférence de presse qu’ils ont donnée le 30 décembre 2004, pour annoncer leurs fiançailles. (Reuters)
La princesse Sayako et Kuroda Yoshiki pendant la conférence de presse qu’ils ont donnée le 30 décembre 2004, pour annoncer leurs fiançailles. (Reuters)

La princesse Sayako a dit : « Cela faisait un certain temps que nous ne nous étions pas vus. J’ai été touchée par son sourire chaleureux quand il s’est joint à l’assemblée et aussi par sa conversation très plaisante. » « Les occasions de nous parler se sont peu à peu multipliées au point que nous avons naturellement songé de plus en plus sérieusement au mariage. »

Kuroda Yoshiki a pour sa part déclaré : « Je n’avais pas rencontré la princesse depuis longtemps. Elle était toujours très attentive aux autres et sa conversation, très agréable. J’ai été extrêmement heureux qu’elle me parle et touché par sa tranquillité d’esprit. » « Je me souviens que le jour où je lui ai demandé si elle voulait bien se marier avec moi, nous étions en train de prendre le thé à la résidence du prince Fumihito. »

D’après la princesse, ses parents se sont réjouis quand elle leur a annoncé la nouvelle et ils l’ont félicitée. « Je sais depuis ma plus tendre enfance que si je me marie, je devrais renoncer à ma position dans la famille impériale. Bien que je sois un peu inquiète à propos de la nouvelle vie qui m’attend, pour moi, tout cela n’a rien d’inattendu. »

Je me rappelle qu’en regardant la conférence de presse donnée par le jeune couple, j’ai été frappé par l’extrême élégance des propos de la princesse et par la simplicité et la bienveillance naturelle de son fiancé.

Devenue une femme au foyer faisant ses courses comme tout le monde

Le mariage a eu lieu le 15 novembre 2005. Il s’est déroulé à l’hôtel Impérial de Tokyo en présence de ses parents, d’autres membres de sa famille et du gouverneur de Tokyo de l’époque, Ishihara Shintarô. Celui-ci a levé son verre en l’honneur des mariés au cours du banquet qui a fait suite à la cérémonie.

Un an plus tard, le jeune couple a acheté un appartement dans un immeuble de grand standing ultra sécurisé situé non loin de l’Université Gakushûin où tous deux avaient fait leurs études. Kuroda Sayako a payé les deux tiers du prix en utilisant les 152,5 millions de yens (environ 1,18 million d’euros) que lui avait alloué la maison impériale quand elle avait renoncé à son statut de princesse. Et son époux a financé le reste de la somme en contractant un emprunt.

Kuroda Sayako est alors devenue une femme au foyer qui faisait ses courses dans les rues commerçantes de son quartier. Au début, elle était discrètement protégée par des agents de la police métropolitaine de Tokyo spécialement affectés à sa sécurité. Mais à l’heure actuelle, elle bénéficie d’une protection plus légère assurée par la police locale. De temps à autre, elle rend visite à ses parents. Et il lui arrive aussi d’assister en compagnie de son époux à des célébrations et des cérémonies organisées dans l’enceinte du palais impérial.

Un rôle à la mesure de la fille d’un empereur

2012 a constitué un tournant décisif dans la vie de Kuroda Sayako. Cette année-là, elle est en effet devenue prêtresse (saishu) du grand sanctuaire shintô d’Ise dédié à Amaterasu, la déesse du soleil considérée comme l’ancêtre de la lignée impériale japonaise. Pendant une année, elle a assisté sa tante Ikeda Atsuko (fille de l’empereur Hirohito et sœur aînée de l’empereur retiré Akihito) qui l’avait précédée dans cette fonction. Dans le shintô, les saishu sont chargées d’effectuer des rituels au nom de l’empereur, et depuis l’après-guerre ce rôle est assumé par une fille d’empereur.

Kuroda Sayako (au centre) en train d’officier en tant que prêtresse (saishu) du sanctuaire d’Ise, dans la préfecture de Mie, le 5 octobre 2013. Elle tient des branches de cléyère du Japon (sakaki), un arbre considéré comme sacré au Japon, destinées aux divinités (kami) en guise d’offrande (tamagushi). (Jiji)
Kuroda Sayako (au centre) en train d’officier en tant que prêtresse (saishu) du sanctuaire d’Ise, dans la préfecture de Mie, le 5 octobre 2013. Elle tient des branches de cléyère du Japon (sakaki), un arbre considéré comme sacré au Japon, destinées aux divinités (kami) en guise d’offrande (tamagushi). (Jiji)

Le visage de Kuroda Sayako est toujours empreint de douceur. Mais quand elle revêt la veste blanche et le pantalon (hakama) rouge cramoisi des prêtresses shintô, il en émane une expression de noblesse tout à fait impressionnante. En 2014, l’impératrice Michiko avait écrit un poème à l’occasion de la première réunion poétique de l’année (Utakai hajime) où elle évoque la détermination de sa fille.

Je vais servir au [nouveau] sanctuaire
Où la divinité sera bientôt transférée
A dit ma fille en partant,
Le regard paisible

En 2017, Ikeda Atsuko a cessé ses fonctions et sa nièce, Kuroda Sayako lui a succédé en tant que prêtresse du sanctuaire d’Ise. Chaque année, elle réside plusieurs semaines à Ise, loin de Tokyo. Elle était d’ailleurs présente sur place, quand le couple impérial s’est rendu au sanctuaire en avril 2019 pour annoncer à Amaterasu l’intention d’abdiquer de l’empereur Akihito.

En avril 2021, Kuroda Yoshiki a fait l’objet d’une promotion au sein du gouvernement métropolitain de Tokyo. Il a quitté sa position de chef du département de la planification urbaine pour un poste de direction plus important. Et il touche à présent un salaire annuel plus élevé que celui des chefs de département du gouvernement métropolitain qui est de l’ordre de 10 millions de yens (environ 77 000 euros). Par ailleurs les deux époux ont fini de rembourser le prêt immobilier qu’ils avaient contracté quinze ans auparavant pour financer l’achat de leur logement.

Née et éduquée en tant que fille d’empereur, Kuroda Sayako a ensuite été appelée à mener la vie d’une femme japonaise ordinaire en raison de son mariage. Et puis elle a fini par trouver tranquillement la place qui lui revenait en assumant la célébration de rituels pour la famille impériale et le peuple japonais au sanctuaire shintô d’Ise.

(Photo de titre : Kuroda Sayako et son époux Kuroda Yoshiki dans le jardin de roses du parc de Shinjuku Gyoen, à Tokyo, le 23 novembre 2005, quelques jours après leur mariage. Reuters)

femme princesse famille impériale princesse Aiko