Quand gourmandise rime avec plaisir

La culture du pain au Japon

Gastronomie Culture

Le pain est une vrai star au Japon, entre les nombreux festivals organisés autour de ce thème et les boulangeries de renom dont les queues de clients sont souvent très impressionnantes... Mais cette culture au Japon n’est pas la même qu’en Europe ou aux États-Unis. Voyons ensemble ce qui la rend si unique.

Un boum né de la crise économique de 2008

Sa popularité a pris de l’ampleur après la crise financière de 2008, et n’a depuis pas désempli. À l’époque, au Japon, la part belle était faite aux gâteaux. Mais les pains et viennoiseries sont venus ravir cette place chère dans le cœur des Japonais. Ils s’achètent à à un prix modique, se dégustent simplement et n’importe où, et peuvent être congelés. En clair, tout autant de raisons qui ont sans doute contribuer à faire asseoir leur notoriété.

Car oui, dix ans se sont écoulés et pourtant, les pains et viennoiseries ont toujours le vent en poupe, plus que jamais. Et tout le monde y gagne : le consommateur comme le producteur. Un facteur expliquant ce phénomène est le nombre accru d’informations disponibles concernant le sujet, que ce soit dans les magazines, les programmes télévisés ou sur les réseaux sociaux. Les pains et viennoiseries sont partout et sous toutes les formes.

Le précurseur de ce boum n’est autre que le célèbre magazine Hanako qui, dans son édition de novembre 2009, présentait un « tour des pains à Tokyo ». En pleine récession, les Japonais veulent maintenir les cordons de leurs bourses serrés sans pour autant renoncer au plaisir apporté à leurs papilles par de la bonne nourriture. C’est probablement confrontés à ce dilemme contradictoire qu’ils se sont aperçus que les pains et viennoiseries étaient une option tout en fait envisageable !

Du côté des producteurs, on peut citer deux raisons qui ont aidé à cet engouement : des boulangeries d’un nouveau style et l’augmentation du nombre de professionnels utilisant des techniques sophistiquées. Des établissements dans différentes villes ont certes gagné en popularité mais ce sont plutôt les événements organisés autour de ce thème, le regroupement de plusieurs établissements, proposant en même temps leurs produits, qui ont accéléré le mouvement. Et le premier du genre a été le « festival de pains et viennoiseries de Setagaya », qui a vu le jour en octobre 2011 dans le quartier tokyoïte de Mishuku. Le quartier d’Omotesandô, également dans la capitale, l’imitera en 2013 avec le « festival de pains et viennoiseries d’Aoyama » organisé plusieurs fois par an devant l’Université des Nations unies. Les deux événements ont connu un franc succès.

Ces festivals ont tout de suite trouvés leur public. Dans la région du Kansai, à Kobe, Kyoto ou encore à Osaka, les recettes générées par ces événements dépassent maintenant celles de la région du Kantô (où se trouve Tokyo). À Osaka, dans le quartier d’Umeda, les espaces nourriture des grands magasins Hanshin proposent un large éventail de produits capables de satisfaire les palais les plus exigeants, et ce genre de rayons spécialisés s’ouvrent les uns après les autres dans de nombreux magasins.

Merci à la France

Après la Seconde Guerre mondiale, les habitudes alimentaires commencèrent à évoluer et la consommation du pain se répandit. Les Japonais se mirent à préférer principalement les pains et viennoiseries pour leurs collations. Dans les villes où la vie s’était peu à peu occidentalisée, de plus en plus de familles incorporèrent le pain à leur menu du petit déjeuner. Et dans les villages, consommer une viennoiserie à sa pause de travail devenait chose courante. En tout cas une chose est sûre, tous appréciaient la texture moelleuse du pain.

Puis, dans la deuxième moitié des années 1990, la baguette de pain française entama sa notoriété. Des boulangeries proposant des baguettes croustillantes embaumant une bonne odeur de pain ouvrirent les unes après les autres. Citons la boulangerie « Comme Chinois » en 1996 à Kobe,  ou « Le Petit Mec » dans le quartier d’Imadegawa à Kyoto en 1998. Le phénomène gagnera bien sûr la capitale avec, loin de passer inaperçue, l’ouverture en 2001 des boulangeries des franchises Paul et Maison Kayser. Et depuis, le nombre de boulangers ayant suivi leur formation en France ouvrant à leur tour leur propre établissement ne cesse d’augmenter, proposant bien sûr une baguette 100 % française !

Le vieux koppe-pan se décline maintenant sous toutes fortes de sandwiches.
Lekoppe-pan se décline maintenant sous toutes fortes de sandwiches.

Si le boum qui a fait connaître la baguette de pain française au Japon se poursuit, leurs homologues nippons connurent un regain de popularité à travers les koppe-pan. Produits dans l’Archipel, ils ont une texture particulièrement moelleuse et un grand nombre d’écoliers japonais d’après-guerre se remémorent probablement avec nostalgie leurs goûters de l’époque.

À partir de 2016, les magasins spécialisés dans la vente de koppe-pan ouvrent les uns après les autres. Le principe est simple : vous choisissez votre garniture que vous glissez dans le pain coupé au-dessus et le voilà prêt à déguster. Et les combinaisons ne manquent pas ; parmi les plus appréciées, l’anko (pâte sucrée de haricot rouge) et margarine, les croquettes de pomme de terre ou de viande, ou encore les yakisoba (nouilles sautées), tout autant d’ingrédients que vous ne trouverez qu’au Japon.

Des sandwiches moelleux et variés

Ces dernières années, les boulangeries de campagne qui proposent des pains fantaisie et des pains garnis (sôzai-pan) rencontrent un franc succès, au point de devenir la star des foires aux pains et viennoiseries dans les grands magasins. Les spécialités peuvent varier selon les villes et les préfectures. Par exemple, à Sendai, dans la préfecture de Miyagi, le « pain suika » est particulièrement prisé (suika signifie pastèque). Ses couleurs rouge et vert imitant parfaitement celles du fruit... Dans les préfectures d’Ibaraki et de Nagasaki, ce sont les salada-pan qui figurent en bonne place dans le cœur des Japonais et sur les étalages. Le pain en question est fourré avec une salade de pommes de terre (pommes de terre écrasées, avec parfois d’autres légumes et/ou du jambon, le tout recouvert d’une généreuse quantité de mayonnaise). Le côté sucré n’est pas en reste non plus : pourquoi ne pas vous laisser tenter par des pains fourrés à la banane, à la fraise, accompagnés d’une couche de fromage crémeux ou encore par un pain fourré à l’omelette sucrée ?

Dans le quartier de Ginza à Tokyo, Centre The Bakery, une boulangerie spécialisée dans le pain de mie, propose des pains de forme rectangulaire et du pain anglais.
Dans le quartier de Ginza à Tokyo, Centre The Bakery, une boulangerie spécialisée dans le pain de mie, propose des pains de forme rectangulaire et du pain anglais.

Cet engouement pour le pain de luxe qui a commencé en 2013 n’est pas surprenant au Japon. Le Kin no pan ou Pain doré proposé par les supérettes (konbini) Seven-Eleven est deux fois plus cher que le pain de mie commercialisé dans les supermarchés et les autres chaînes de  normaux et pourtant, ils se vendent « comme des petits pains  » ! Mais alors pourquoi ? La raison tient à sa texture moelleuse. Et depuis, l’idée a fait des émules et d’autres magasins proposant des pains à des prix plutôt onéreux se sont ouverts. Les clients doivent parfois faire la queue pendant 2 heures pour y entrer !

Ainsi, la caractéristique principale du pain japonais est sa texture moelleuse. C’est une différence majeure avec l’Europe où le pain est un aliment principal de la gastronomie, et qui donc, afin d’être conservé plus longtemps, doit avoir une texture beaucoup plus dure. Le Japon a de fait développé sa propre culture du pain moelleux.

Une multitude de pains fantaisie et de pains fourrés

Comme chacun le sait, l’aliment de base de la cuisine nippone est le riz. Les pains et autres viennoiseries ne sont qu’une alternative apparue à partir du milieu du siècle passé. Et c’est justement pour cela que leurs variétés peuvent se décliner à l’infini, n’ayant pour limite que l’imagination de son producteur. Simple comme bonjour, il suffit de garnir une pâte à pain et de la faire cuire. Ces nombreuses possibilités de développement ont donc permis un essor rapide de sa fabrication.

L’introduction du pain au Japon date du XVIe siècle, par un missionnaire portugais. Il fut plus tard prohibé lors de la persécution des chrétiens au Japon, période sombre de l’histoire bien connue dans la préfecture de Nagasaki. Aucun écrit de l’époque d’Edo ne mentionnait ainsi un Japonais mangeant du pain...

Le pain fit à nouveau son entrée dans l’Archipel au début de l’ère Meiji (1868-1912), lorsque le Japon se modernisait. Cependant, cet aliment était encore vu comme une denrée alimentaire à forte consonnance américaine et personne ne l’envisageait comme ingrédient de base de leur alimentation. Au contraire, les Japonais préféraient plutôt les consommer en tant que collation, en les garnissant de pâte de haricot rouge (anko).

Les premiers de ces pains furent commercialisés en 1874 dans le magasin Kimuraya près de la gare de Shimbashi, à Tokyo (actuellement se trouvant à Ginza). Ayant perdu son travail lorsque l’époque d’Edo prit fin, l’ancien samouraï Kimura Yasubee décida de se lancer dans la fabrication de pain, en ouvrant une boulangerie en 1869. Mais le succès ne fut pas immédiatement au rendez-vous. C’est son fils qui, en s’inspirant des gâteaux manjû si chers aux Japonais, eut l’idée de fourrer des pains avec de l’anko pour faire le premier anpan, ou pain au haricot rouge.

Le anpan ouvrit la voie à d’autres créations : pain à la confiture, pain à la crème chantilly, pain au curry…la machine était lancée. Un pain fourré et à la texture moelleuse faisait désormais partie de la vie des Japonais. Cet aliment commença à se répandre dans les ménages après la guerre, donnant naissance à de plus en plus de variétés. Les boulangeries continuent toujours à proposer davantage de choix car le pain n’étant pas une composante nécessaire de l’alimentation, il est important de se renouveler sans cesse afin que les clients ne se lassent pas.

A gauche : le anpan de Kimuraya.  A l’extremité droite : un pain fourré au chikuwa (pâte à base de poisson), un pain unique au J
À gauche : le anpan de Kimuraya.  À l’extremité droite : un pain fourré au chikuwa (pâte à base de poisson), un pain unique au Japon.

Engouement de l’Asie toute entière pour les pains nippons

Les pains fantaisie et les pains fourrés font également parler d’eux sur le continent asiatique. La croissance économique aidant, nombreux sont ceux qui viennent se former au Japon et y apprendre les techniques de fabrication. La proximité géographique explique en partie le fait qu’ils préfèrent le Japon à l’Europe, mais pas seulement. C’est également parce que les techniques nippones n’ont désormais plus rien à envier à leurs cousines européennes et sont maintenant renommées.

Tout comme au Japon, le pain n’est pas leur aliment de base. Il ne constitue donc qu’une alternative. Pour eux aussi donc, il leur faut sans cesse trouver des nouveautés qui plairont à leurs clients.

Au Japon, il existe la culture du donburi, où il s’agit tout simplement d’un plat composé d’un ingrédient de son choix déposé sur du riz. C’est peut-être ce concept qui explique la multitude de pains au Japon : le riz a juste été remplacé par du pain !

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