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Des râmen aux supermarchés japonais : la nourriture halal dans tous ses états

Gastronomie Visiter le Japon

Ces dernières années, les restaurants proposant des menus halal se multiplient à Tokyo et dans les environs de la capitale, offrant davantage d’options aux clients de confession musulmane, qu’ils vivent au Japon, ou qu’ils ne soient que de passage. La nourriture halal peut également être un choix à explorer pour les clients japonais, à la recherche de nouvelles saveurs.

Un restaurant de râmen avec une salle de prière

Alors que les touristes reviennent petit à petit au Japon, il est un restaurant de râmen situé devant la gare de Naka-Okachimachi, près d’Asakusa, site de tourisme incontournable à Tokyo. Et cet établissement est souvent rempli de visiteurs étrangers. Il s’agit d’Ayam-ya, qui fait partie d’une chaîne basée à Kyoto. Ayam-ya est notamment réputé pour son bouillon de poulet blanc.

Le râmen Torisoba au bouillon de poulet : un must à Ayam-ya. Très complète, la carte du restaurant comprend également des bols de poulet avec du riz et du bœuf.
Le râmen Torisoba au bouillon de poulet : un must à Ayam-ya. Très complète, la carte du restaurant comprend également des bols de poulet avec du riz et du bœuf.

Mais ce qui fait la particularité d’Ayam-ya, c’est la mise à disposition d’une salle de prière. Ainsi, les clients peuvent accomplir leurs cinq prières quotidiennes. De plus, le menu d’Ayam-ya tout entier est halal, ce qui signifie que les musulmans pratiquants peuvent manger n’importe quel plat proposé, les yeux fermés.

Je demande au propriétaire du magasin, Saifullah, qui a quitté le Sri Lanka pour s’installer au Japon il y a plus de six ans : « Qu’est-ce que la nourriture halal ? »

Saifullah, musulman pratiquant, me répond dans un japonais parfait.

« Halal, ça ne se limite pas à la nourriture. Dans l’islam, nos actes sont divisés en deux catégories : halal, une bonne conduite, et haram, par opposition, une mauvaise conduite. En évitant les comportements haram - comme voler, se battre, etc. - dans la vie quotidienne, et en faisant de bonnes actions, Allah notre Dieu veillera sur nous et nous récompensera dans l’au-delà. »

Au début, j’ai eu du mal à comprendre le lien avec la nourriture, mais une fois que j’ai compris le rapport entre halal et haram, alors, tout est devenu clair.

« Nous, musulmans, consommons de la nourriture halal parce qu’être en bonne santé fait partie d’une bonne conduite au quotidien. En d’autres termes, nous évitons les aliments haram, qui selon les préceptes islamiques, sont nocifs pour nous. Parmi les choses interdites les plus connues, il y a le porc et l’alcool. Mais le poulet aussi doit être halal, tué et saigné dans les règles, au nom d’Allah. »

Saifullah, le propriétaire du restaurant, parle couramment le japonais après des années passées au Japon.
Saifullah, le propriétaire du restaurant, parle couramment le japonais après des années passées au Japon.

Le restaurant Ayam-ya rencontre un grand succès auprès des personnes de confession musulmane, qu’elles vivent au Japon ou non. Mais pas que. Des touristes non musulmans ainsi que des Japonais amateurs de râmen n’hésitent pas à pousser la porte du restaurant, à la recherche d’un délicieux bol de nouilles.

Notons que les râmen du restaurant Ayam-ya, qui sont composés exclusivement d’ingrédients halal, sont également meilleurs pour la santé car ils n’utilisent pas d’additifs. Alors que les restaurants qui proposent des menus plus sains se multiplient, de plus en plus de non-musulmans se tournent vers la nourriture halal.

Les propriétaires de restaurants et d’épiceries qui proposent à la vente de la nourriture halal ont à cœur le même désir d’aider les musulmans inquiets de leur alimentation, en se basant sur leur propre expérience.

Saifullah, lui aussi, a eu beaucoup de mal à trouver de la nourriture halal. « Quand je suis arrivé au Japon et que j’apprenais la langue, j’ai vraiment eu du mal parce que je ne trouvais pas de halal. »

En 2017, des groupes de supporters musulmans sont venus de Malaisie à Osaka pour les championnats de football d’Asie. Un grand nombre d’entre eux ont fait le choix d’apporter leurs boîtes Tupperware avec leur propre nourriture, car les restaurants au Japon proposant des menus halal étaient quasiment inexistants.

Ayam-ya, Shin-Okachimachi Shop. 3-10-3 Moto-Asakusa, Taitô-ku, Tokyo. Ouvert de 11 h 30 à 15 h 00 et de 17 h 00 à 22 h 00.
Ayam-ya, Shin-Okachimachi Shop. 3-10-3 Moto-Asakusa, Taitô-ku, Tokyo. Ouvert de 11 h 30 à 15 h 00 et de 17 h 00 à 22 h 00.

Islam yokochô

La plus grande rue commerçante halal au Japon se trouve devant la gare de Shin-Ôkubo. Baptisée « Islam yokochô » (yokochô signifie « allée »), on y entend parler toutes sortes de langues étrangères, on y voit de nombreux magasins vendant des épices, des légumes et de la viande que l’on ne trouve pas dans les supermarchés japonais, lui donnant en effet une atmosphère très étrangère.

Dans les années 2010, ce quartier a commencé à attirer de plus en plus de résidents musulmans. Dans cette allée se succèdent les uns derrière les autres des magasins vendant de la nourriture halal et des ingrédients provenant de pays asiatiques aussi différents que le Népal, l’Inde, le Bangladesh ou encore le Pakistan. C’est quand je me suis rendu au Siddique National Mart, qui propose principalement de la nourriture pakistanaise, que j’ai eu le sentiment que la nourriture halal s’était véritablement implantée au Japon.

Mian Ramzan Siddique est originaire du Pakistan. Propriétaire du Siddique National Mart, il est arrivé au Japon il y a 28 ans. Il a pensé que l’économie de l’Archipel présentait des opportunités d’affaires intéressantes. Il a donc ouvert le Siddique Palace, un restaurant pakistanais qui sert de la nourriture halal, et aujourd’hui, le voici gérant de 26 établissements.

Il se trouve cependant que les chefs cuisiniers de la chaîne de restaurant sont rentrés dans leur pays les uns après les autres après le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon de mars 2011. Ainsi, en 2016, de nombreux magasins avaient mis la clef sous la porte. Mais pas Mian Ramzan Siddique. Au contraire. Bien décidé à rester au Japon, il se mit à chercher des moyens d’approfondir ses racines locales, notamment en cultivant du riz et du manioc à Kisarazu, dans la préfecture de Chiba.

En plus de ses restaurants halal, Mian Ramzan Siddique tient une ferme et un restaurant de fruits de mer à Kisarazu. À noter que son magasin National Mart à Shin-Ôkubo propose également du pain de style japonais, ce qui est rare dans les magasins d’alimentation halal.

Le National Mart s’approvisionne en pain auprès du boulanger Fujinami Yasuo de Kisarazu. Les histoires qu’il raconte sur Mian Ramzan Siddique permettent de mieux comprendre tout ce qu’il fait pour aider les musulmans au Japon.

« Un jour, Mian est venu pour me demander de fabriquer du pain à la japonaise. Il m’a expliqué que beaucoup de pains japonais contiennent des émulsifiants dont notamment du saindoux. Le saindoux étant de la graisse de porc, les musulmans ne peuvent pas en manger. Mian était tellement enthousiaste à l’idée de faire connaître aux musulmans le délicieux pain japonais, en particulier aux enfants, que j’ai décidé de me lancer dans la fabrication de pain halal ».

Mian Ramzan Siddique ne comptait pas s’arrêter à la gestion d’un restaurant de râmen halal, relativement répandus maintenant. Non ; il allait désormais se lancer dans la fabrication de pain halal.

Siddique National Mart. 2-9-15 Hyakunin-chô, Shinjuku-ku, Tokyo. Ouvert de 11 h 00 à 23 h 00.
Siddique National Mart. 2-9-15 Hyakunin-chô, Shinjuku-ku, Tokyo. Ouvert de 11 h 00 à 23 h 00.

Un supermarché géant dans un complexe résidentiel gigantesque

Avec aujourd’hui 200 000 non-Japonais et 50 000 citoyens japonais, la population musulmane au Japon ne cesse d’augmenter. Le premier supermarché halal à grande échelle du pays a ouvert ses portes en 2020, à Misato, dans la préfecture de Saitama. Il s’agit du Bongo Bazar.

Le supermarché Bongo Bazar propose non seulement des produits alimentaires japonais, mais aussi des ingrédients provenant de nombreux pays asiatiques, formant une sorte de « foire internationale de l’alimentation ». Les différents rayons sont principalement divisés entre « Japon » et « Reste du monde », avec des allées réparties par pays : Turquie, Indonésie, Thaïlande etc. Bien sûr, le magasin propose également une grande variété d’épices, ainsi que des dattes (que les musulmans consomment notamment pendant le ramadan), de généreux quartiers de viande de chèvre et même des fleurs de bananier rouges, formant un joyeux capharnaüm cosmopolite, de produits alimentaires du monde entier tous plus étranges les uns que les autres.

Chaque rayon est clairement étiqueté avec les mentions « halal », « adapté aux musulmans » ou « non halal ». Le personnel s’efforce d’être le plus clair pour ses les clients.

L'intérieur du Bongo Bazar est lumineux et spacieux. Les ingrédients halal sont clairement étiquetés pour faciliter la recherche des produits.
L’intérieur du Bongo Bazar est lumineux et spacieux. Les ingrédients halal sont clairement étiquetés pour faciliter la recherche des produits.

Le magasin propose une grande variété d'ingrédients et d'épices. (Adresse : 3-208-1 Hikonari, Misato, Saitama-ken)
Le magasin propose une grande variété d’ingrédients et d’épices. (Adresse : 3-208-1 Hikonari, Misato, Saitama-ken)

En se rendant au Bongo Bazar, vous tomberez également sous le charme de sa décoration. Il semble, tout comme « Don Quijote », chaîne de magasins discount japonais, avoir à cœur de transmettre une vision unique du monde.

« Pour être honnête, nous proposons beaucoup de produits que les Japonais ne comprennent pas » explique Minowa Ken, le gérant du magasin. « Mais cela ne nous fait pas peur. Au contraire, notre magasin est disposé de façon à nos clients puissent tout de même apprécier leur passage chez nous. »

Minowa Ken ajoute que le magasin est rempli d’images colorées et de slogans accrocheurs. Près de la porte, un panneau indique Yôkoso ! Miwaku no wakusei Bongo Bazaaru e ! (Bienvenue dans le monde captivant du Bongo Bazar !). Dans le magasin, on en entend la chanson thème du film Indiana Jones, renforçant le côté aventurier des mille et un méandres des rayons du magasin.

À la croisée des cultures

L’attitude adoptée par le Bongo Bazar repose en grande partie sur l’espoir de son propriétaire, Badal Chaklader, de « donner une image honnête des musulmans, qui sont souvent mal compris ».

Badal Chaklader est originaire du Bangladesh. De confession musulmane, il explique qu’il avait à cœur d’ouvrir un supermarché halal à grande échelle comme celui-ci. Cela faisait une dizaine d’années qu’il avait cette idée en tête. Mais il ne voulait pas seulement ouvrir un simple magasin, Ce qu’il voulait c’était un endroit qui serait un véritable lieu de rencontre, voire d’échange, pour Japonais et musulmans.

« C’était ce que je voulais. Par exemple, presque tous les clients des boutiques de Shin-Ôkubo sont des musulmans nés à l’étranger, n’est-ce pas ? Et la plupart d’entre eux sont des hommes. Il y a très peu de clientes. Je voulais faire de ce magasin un endroit où Japonais et musulmans, surtout les femmes, pourraient se rencontrer et faire leurs courses ensemble. »

Badal Chaklader, le propriétaire du Bongo Bazar, est originaire du Bangladesh.
Badal Chaklader, le propriétaire du Bongo Bazar, est originaire du Bangladesh.

Le Bongo Bazar est rempli du monde de sa propre imagination.

Dans ce magasin, des femmes en burqa font leurs courses avec le sourire, poussant le chariot aux côtés de familles locales. Le Bongo Bazar attire également de nombreux résidents japonais du complexe d’appartements Misato Danchi.

Badal Chaklader nous explique le sourire aux lèvres : « Au Bongo Bazar, nous proposons des produits que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Nous avons donc des clients musulmans qui viennent parfois de loin, comme par exemple de Nagano, Gunma, Ibaraki ou encore Tochigi. Beaucoup de gens me disent qu’ils aimeraient avoir un magasin comme le Bongo Bazar près de chez eux. Les clients japonais s’intéressent eux aussi aux produits provenant de l’étranger. Parfois, ils nous demandent comment utiliser certaines épices. S’il y avait plus d’endroits comme celui-ci, je pense que tout le monde comprendrait que les musulmans sont des gens tout à fait ordinaires. »

C’est ainsi que la nourriture halal est parvenue à faire se rencontrer et se mêler des cultures de pays du monde entier.

(Photo de titre : une famille musulmane habituée à aller faire des course au Bongo Bazar. Toutes les photos sont de l’auteur de l’article.)

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