Les pantoufles japonaises : un accessoire incontournable de la vie quotidienne

Vie quotidienne

Au Japon, une tradition de longue date veut que l’on se déchausse avant de pénétrer dans une habitation. Mais les chaussons d’intérieur n’ont fait leur apparition que tardivement, dans les années 1950. Voici un aperçu de l’histoire de cet accessoire incontournable de la vie des habitants de l’Archipel.

Une pratique relativement récente

Les touristes qui visitent l’Archipel pour la première fois sont priés de retirer leurs chaussures avant d’entrer dans les auberges traditionnelles (ryokan). Ils doivent ensuite ranger celles-ci dans un casier prévu à cet effet ou les disposer avec soin sur le sol, puis enfiler des chaussons d’intérieur. Et pour aller aux toilettes, ils sont tenus de s’équiper de pantoufles spéciales. Dans les hôtels de style occidental en revanche, ils ont le droit d’entrer chaussés dans leur chambre bien que des pantoufles soient en général mises à leur disposition.

Des chaussons d’intérieur soigneusement alignés dans l’entrée de l’hôtel Aizu Tsuruya d’Aizuwakamatsu, dans la préfecture de Fukushima (© M-Louis)
Des chaussons d’intérieur soigneusement alignés dans l’entrée de l’hôtel Aizu Tsuruya d’Aizuwakamatsu, dans la préfecture de Fukushima (© M-Louis)

À partir de 1633, le Japon a interdit l’accès de son territoire à pratiquement tous les étrangers. La politique de fermeture (sakoku) des shogun Tokugawa n’a pris fin qu’en 1854, plus de deux siècles plus tard, quand ils ont signé un « traité d’amitié et de commerce » avec les États-Unis. Dès lors, les Occidentaux ont commencé à affluer dans l’Archipel. Mais si les Japonais avaient coutume d’ôter leurs chaussures – sandales de paille (zôri) et socques en bois (geta) – avant d’entrer à l’intérieur d’une habitation, ce n’était pas du tout le cas des nouveaux arrivants.

Des « couvre chaussures » spécialement conçus pour les Occidentaux

À l’époque, les hôtels de style occidental étaient rares dans l’Archipel et les étrangers étaient hébergés dans des relais d’étape et des sanctuaires shintô. Habitués à garder leurs chaussures à l’intérieur, ils entraient dans les maisons sans se déchausser et ils prenaient les tatamis pour des sortes de tapis, ce qui avait pour effet de les endommager. En 1876, les Occidentaux qui résidaient sur les terrains concédés aux établissements étrangers de Yokohama ont demandé à un tailleur de Tokyo appelé Tokuno Risaburô de leur fabriquer des « couvre chaussures » (overshoes) pour régler le problème tout en évitant d’avoir à se déchausser. Ainsi seraient nés les premiers chaussons d’intérieur (slippers) japonais. Ces pantoufles plates et ouvertes à l’arrière ressemblaient à celles d’aujourd’hui à bien des égards, mais avec un pied droit et un pied gauche absolument identiques.

 Des chaussons d’intérieur à rayures prêts à l’usage, dans un logement japonais contemporain équipé de planchers et de meubles de style occidental (Pixta)
Des chaussons d’intérieur à rayures prêts à l’usage, dans un logement japonais contemporain équipé de planchers et de meubles de style occidental (Pixta)

Les Japonais ont adopté les chaussons d’intérieur à partir des années 1950, lorsque leur mode de vie s’est résolument occidentalisé et que les logements équipés d’une salle à manger avec une table, des chaises hautes et un parquet se sont multipliés. Les fabricants de chaussures en ont profité pour encourager le port de pantoufles à grand renfort de publicité. Avant d’enfiler ces nouveaux slippers, il fallait se déchausser contrairement aux « couvre chaussures » adoptés par les Occidentaux. Le succès des chaussons d’intérieur s’explique aussi par le fait que, à l’instar des zôri et des geta, ils étaient faciles à enfiler et à retirer, et ne comprimaient pas les pieds comme les chaussures. À l’heure actuelle, les Japonais se déchaussent à l’entrée des sources thermales (onsen), des bains publics (sentô), des sanctuaires shintô, des temples bouddhiques et des restaurants où l’on mange assis sur des tatamis. Et il n’est pas rare de voir des hommes d’affaires en costume en train de négocier, pantoufles aux pieds.

(À gauche) Cette jeune Japonaise en kimono traditionnel est en train de retirer ses socques en bois (geta) avant d’entrer dans une maison. (À droite) Une rangée de sandales de paille (zôri) impeccablement alignées, dans l’entrée d’une maison japonaise. (Pixta)
(À gauche) Cette jeune japonaise en kimono traditionnel est en train de retirer ses socques en bois (geta) avant d’entrer dans une maison. (À droite) Une rangée de sandales de paille (zôri) impeccablement alignées, dans l’entrée d’une maison japonaise. (Pixta)

Avant d’entrer dans le temple bouddhique Engaku-ji de Kamakura, dans la préfecture de Kanagawa, il faut obligatoirement se déchausser, comme dans la plupart des établissements religieux de l’Archipel. (Photo de Nippon.com)
Avant d’entrer dans le temple bouddhique Engaku-ji de Kamakura, dans la préfecture de Kanagawa, il faut obligatoirement se déchausser, comme dans la plupart des établissements religieux de l’Archipel. (Photo de Nippon.com)

Des planchers et des tatamis d’une impeccable propreté

La pratique de retirer ses chaussures avant d’entrer dans un édifice serait apparue très tôt dans l’Archipel, dès la période Yayoi (IIIe siècle av. J.-C.- IIIe siècle ap. J.-C.). Plusieurs rouleaux de peinture de l’époque de Heian (794-1185) représentent des nobles de cour déchaussés dans leurs résidences équipées de planchers. Au Japon, les étés sont chauds et humides. Les constructions traditionnelles sont surélevées de façon à les protéger de l’humidité et à laisser l’air circuler en dessous. L’entrée comprend une zone traditionnellement en terre battue (tataki) où l’on enlève ses chaussures avant de franchir la marche qui sépare le niveau du sol de celui de la maison.

La maison traditionnelle japonaise est surélevée par rapport au sol. Dans l’entrée, il y a une marche plus ou moins haute (agari kamachi) sur laquelle on doit monter pour passer du niveau du sol (tataki) à celui de la maison, et accéder à l’intérieur. Cette marche permet également de s’asseoir pour retirer ou enfiler des bottes ou des chaussures ajustées. (Pixta)
La maison traditionnelle japonaise est surélevée par rapport au sol. Dans l’entrée, il y a une marche plus ou moins haute sur laquelle on doit monter pour passer du niveau du sol à celui de la maison, et accéder à l’intérieur. Cette marche permet également de s’asseoir pour retirer ou enfiler des bottes ou des chaussures ajustées. (Pixta)

Les Japonais auraient pris l’habitude de retirer les chaussures qu’ils portaient à l’extérieur pour ne pas salir ou abimer le plancher et les nattes de paille sur lesquels ils s’asseyaient et où ils étalaient leurs futons avant de dormir.

Au Japon, l’extérieur est considéré comme « un monde impur »

La célèbre anthropologue Nakane Chie (née en 1926) a mis en évidence l’importance des concepts de uchi (« l’intérieur », « le dedans ») et soto (« l’extérieur », « le dehors ») dans la culture de l’Archipel. Au Japon, l’intérieur de la maison est considéré comme pur (propre) par rapport au monde extérieur rempli de souillures (sale). L’entrée (genkan) marque la limite entre les deux. Si l’on enlève ses chaussures avant de pénétrer à l’intérieur, c’est pour éviter d’y introduire des impuretés. Et si l’on se chausse avant de sortir, c’est pour protéger son corps de ces mêmes souillures.

Au Japon, l’usage veut que l’on ôte ses chaussons d’intérieur avant d’entrer dans un espace équipé de tatamis. (Pixta)
Au Japon, l’usage veut que l’on ôte ses chaussons d’intérieur avant d’entrer dans un espace équipé de tatamis. (Pixta)

Des chaussures spéciales pour l’école

Les élèves de la plupart des établissements scolaires de l’Archipel changent de chaussures dès leur arrivée sur place et ce, de l’école primaire jusqu’au lycée inclus. L’origine de cette pratique remonte à l’époque d’Edo (1603-1868). Les enfants du peuple apprenaient alors à lire, écrire et compter dans des écoles privées appelées terakoya. Et comme les cours avaient lieu dans des espaces couverts de tatamis, ils retiraient leurs chaussures. À partir de la Restauration de Meiji (1868), les nattes de paille ont laissé place à des planchers en bois ou en béton et dans les années 1930, les uniformes scolaires se sont occidentalisés. Les autorités ont donc décidé qu’au lieu de circuler pieds nus ou en chaussettes traditionnelles (tabi) dans l’enceinte des écoles, les élèves porteraient des chaussures spécifiques appelées uwabaki. Le modèle actuel le plus courant date de la fin des années 1950. Il se présente sous la forme de ballerines blanches dont l’empeigne est renforcée par une bande de caoutchouc colorée ou pas. Dans certains établissements, les enfants sont autorisés à porter des chaussures de sport en guise de uwabaki.

(À gauche) Un modèle classique de uwabaki, les chaussures souples, légères et faciles à enfiler que portent les enfants japonais dans l’enceinte de leur école (Pixta). (À droite) Des casiers de rangement pour uwabaki, dans l’entrée d’un établissement scolaire (Photo Library)
(À gauche) Un modèle classique de uwabaki, les chaussures souples, légères et faciles à enfiler que portent les enfants japonais dans l’enceinte de leur école (Pixta). (À droite) Des casiers de rangement pour uwabaki, dans l’entrée d’un établissement scolaire. (Photo Library)

Des pantoufles pour tous les goûts

Les fabricants de chaussures sont constamment à l’affût de versions de chaussons d’intérieur toujours plus innovantes, à même de séduire leur clientèle. Doublure confortable, semelle de massage par acupression, propriétés antibactériennes et anti-odeur… Rien ne les arrête. Il existe même des pantoufles prévues pour servir de serpillière. D’autres sont conçues pour être lavées à la machine ou pour éviter les glissades. Et dans certaines familles, on utilise des paires différentes pour chaque saison. Autant de preuves que les pantoufles font partie intégrante de la vie quotidienne des Japonais.

(À gauche) Chaussons d’intérieur bien chauds pour l’hiver (Pixta). (Au centre) Pantoufles avec semelle de massage par acupressure (Pixta). (À droite) Pantoufles faisant office de serpillière (© Tatsuo Yamashita).
(À gauche) Chaussons d’intérieur bien chauds pour l’hiver (Pixta). (Au centre) Pantoufles avec semelle de massage par acupressure (Pixta). (À droite) Pantoufles faisant office de serpillière (© Tatsuo Yamashita).

(Photo de titre : au Japon, on est tenu de retirer ses chaussures et d’enfiler des pantoufles avant d’entrer dans une maison. Pixta)

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