Li Kotomi : une Taïwanaise « citoyenne » de la langue japonaise obtient le plus grand prix littéraire

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Le 14 juillet dernier, Li Kotomi a reçu le 165e prix Akutagawa, devenant la première Taïwanaise à remporter la plus prestigieuse récompense littéraire du Japon. Son livre s’intitule « L’île où fleurit le lycoris rouge » (Higanbana ga saku shima). Son parcours fascine : elle a commencé à étudier le japonais à l’adolescence avant de déménager au Japon, où elle s’est adonnée à l’écriture de récits poignants dans sa langue d’adoption.

« L’île où fleurit le lycoris rouge » (Higanbana ga saku shima)
« L’île où fleurit le lycoris rouge » (Higanbana ga saku shima)

Depuis que son premier roman en japonais « Danse en solo » (Hitorimai) a reçu le prix Gunzô de l’excellence pour un nouvel auteur en 2017, Li Kotomi est encensée par les critiques au Japon. En 2019, son livre « Si l’on compte jusqu’à 5, le croissant de lune... » (Itsutsu kazoereba mikazuki ga...) a été nommé pour le prix Noma du nouveau visage littéraire et s’était également retrouvé dans la sélection pour le prix Akutagawa. Li avait alors reçu des louanges du jury, notamment des auteurs Takagi Nobuko et Shimada Masahiko.

Li Kotomi a de nouveau attiré l’attention avec son nouveau roman « L’île où fleurit le lycoris rouge » (Higanbana ga saku shima). Sorti en libraire cette année, il est parmi les nominés du prestigieux prix Mishima Yukio et a décroché, avec le roman de Ishizawa Mai, le 165e prix Akutagawa en juillet. En remportant cet honneur, Li rejoint certaines des plus grandes figures littéraires du Japon et rentre aussi dans l’histoire en tant que première personne d’origine taïwanaise à remporter ce prix convoité.

Un parcours qui mérite des applaudissements

Li appartient à un groupe d’auteurs taïwanais reconnus, écrivant en japonais, et composé notamment de Higashiyama Akira et On Yûjû. Mais un élément la sépare de ses contemporains littéraires taïwanais : elle n’a pas baigné dans la langue japonaise depuis la naissance. Higashiyama et On vivent en effet au Japon depuis leur enfance. Li a pour sa part passé ses années de formation à Taïwan, utilisant alors exclusivement sa langue maternelle, le mandarin, et n’a appris à écrire des romans en japonais qu’après plusieurs années d’étude et de pratique. C’est un parcours tout à fait inhabituel pour atteindre le meilleur prix littéraire du Japon.

Attirée par les divers éléments de la culture populaire du pays, elle a commencé à étudier le japonais à l’adolescence. Après être sortie diplômée d’une des meilleures universités de Taïwan, elle est arrivée au Japon en 2013 afin d’étudier au département de linguistique japonaise appliquée de l’Université Waseda. Décrochant un master, elle est restée au Japon, travaillant en entreprise tout en développant ses capacités linguistiques et son style de romancière.

Les écrivains taïwanais avaient auparavant remporté l’autre grand prix littéraire du Japon, le prix Naoki. Attribué au même moment que le prix Akutagawa, qui récompense les nouveaux auteurs de fiction, c’est la récompense la plus importante du Japon pour la littérature populaire de tous genres. Kyû Eikan avait remporté le prix en 1955 et Chin Shunshin en 1968. Chin est né et a grandi à Kobe, dans la préfecture de Hyôgo, et Kyû a appris le japonais à un niveau natif dès sa naissance à Taïwan, quand l’île était encore sous domination japonaise, avant de venir s’installer au Japon. Tout cela rend l’accomplissement de Li vraiment remarquable. On ne peut qu’applaudir son excellente maîtrise de la langue japonaise alors qu’elle n’a commencé à l’apprendre qu’à partir de l’âge de 15 ans, et ce sans même parler de ses talents d’auteure.

Notons qu’elle démontre la même compétence à l’écrit dans son mandarin natif. Au lieu de se contenter de traduire ses romans « Danse Solo » et « Si l’on compte jusqu’à 5, le croissant de lune... », elle a décidé de les réécrire complètement en chinois ! Dans un article de 2019 pour Nippon.com, Li, qui est également une traductrice accomplie, décrit son acte comme « sans doute pas sans précédent, mais assurément inhabituel ». Elle s’engage toutefois principalement à écrire pour le Japon.

Apprendre le japonais avec les Pokémon, Détective Conan et la J-pop

Li a grandi dans un petit village du centre de Taïwan, très éloigné de l’influence japonaise. Elle dit qu’aucun de ses amis, pas plus qu’aucun membre de sa famille, ne pouvait parler la langue, et qu’avant d’entrer au collège, elle ne pouvait pas reconnaître le moindre caractère hiragana.

Il n’y a pas de parallèle à l’incroyable voyage de Li, qui est passée d’une ignorance totale de la langue japonaise à l’obtention du prix Akutagawa.

Li a développé une affinité avec le système d’écriture japonais tôt dans ses études, le décrivant comme « des gemmes d’idéogrammes kanji incrustées dans une mer de hiragana ». Les animes, les drama à la télévision et d’autres éléments de la pop culture japonaise sont aisément accessibles à Taïwan, et Li étudiait en copiant et en pratiquant les phrases qu’elle entendait. À mesure que son habilité augmentait, elle a commencé à se parler à elle-même en japonais, et parfois même à rêver dans cette langue.

Elle a appris à maîtriser les katakana avant les hiragana, pourtant plus communs, pour la bonne raison que les noms de tous les célèbres Pokémon sont écrits avec ce type de caractères. Elle a renforcé son vocabulaire en regardant des animes, apprenant des termes tels que kimi (toi), shônen (garçon), et suki (aimer). Elle a également découvert des titres populaires tels que Détective Conan, Inu-Yasha et Hikaru no Go, et a écouté un large panel d’artistes J-Pop. Après une pleine satisfaction de l’apprentissage par ce genre de biais, son désir de comprendre plus en profondeur la langue l’a amené aux romans et aux paroles de chansons, ce qui lui a permis d’apprendre les expressions riches qui caractérisent ses romans japonais et ses autres écrits.

Une citoyenne de la langue japonaise

Bien qu’elle ait pris confiance dans sa maîtrise de sa langue d’adoption, Li n’était pas convaincue qu’elle pourrait se faire une place en tant que romancière en japonais. Elle a notamment discuté du sens intrinsèque d’incertitude pour les locuteurs non-natifs et de sa profonde conscience d’être en marge en ces termes : « Un locuteur natif a toujours raison, et ses mots, un non-natif ne peut pas les interpréter d’une autre manière. »

L’obtention du prix Gunzô du nouvel écrivain en 2017 lui a fait surmonter ses inquiétudes en validant ses capacités d’auteure en langue japonaise, un statut qu’elle avait laborieusement cherché à atteindre. Dans son discours de remise de prix, elle avait exprimé sa joie, déclarant : « Je me sens comme si j’étais devenue citoyenne non pas du Japon, mais de la langue japonaise. »

Avec le prix Akutagawa, son inconfort sur le fait d’être une romancière écrivant dans une langue étrangère devrait être calmé pour de bon.

Li, appartenant à une minorité sexuelle, aime peupler son univers de personnages LGBT. Son travail sur l’identité et l’orientation est également le reflet de l’ouverture croissante de la société taïwanaise, démontrée notamment par la popularité du premier membre transgenre du Cabinet taïwanais, la ministre du Numérique Audrey Tang.

Dans « L’île où fleurit le lycoris rouge », Li explore le thème de l’identité à travers les yeux de son héroïne, échouée sur une île étrange, et qui n’a aucune mémoire de son passé. Elle y trouve des habitants qui communiquent dans deux langages différents en fonction de leur sexe. Les personnes parlant le dialecte féminin finiront finalement par dominer la société, mais la protagoniste, en apprenant à utiliser cette langue, découvre l’histoire tragique de l’île.

L’histoire est influencée par les voyages de Li autour d’Okinawa, notamment à Yonaguni. Bien que faisant parti du Japon, Yonaguni est une anomalie géographique et culturelle, se situant plus à proximité de Taïwan et même de la Chine que du Japon. L’histoire et les coutumes de l’île ont une connexion profonde avec Taïwan, et Li emprunte avec imagination à ses expériences de voyage autour d’Okinawa afin de montrer comment la juxtaposition des frontières et de la diversité parvient à influencer l’identité d’une personne.

Comme l’héroïne de son roman, Li a réussi en arrivant dans un nouveau pays à étendre son identité par le langage, et par ce cheminement, à obtenir les plus grands honneurs de la littérature japonaise. Le prix Akutagawa est le témoignage de son amour pour sa langue d’adoption, ainsi que de la popularité et de l’acceptation qu’elle a reçu en retour.

(Voir quelques-uns de nos articles écrits par Li Kotomi)

(Photo de titre : Li Kotomi lors de sa venue au bureau de Nippon.com, à Tokyo, en juillet 2019)

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