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Trouver le meilleur régime alimentaire pour les Japonais : comprendre les différences ethniques

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Si la cuisine traditionnelle japonaise continue de garder cette image d’alimentation saine, ce n’est pas parce qu’on « mange japonais » qu’on est assuré de vivre plus longtemps. En effet, chaque peuple présente des caractéristiques physiologiques différentes, héritées des gènes de ses ancêtres mais aussi de leurs habitudes alimentaires et de leur environnement. Okuda Masako, médecin généraliste, fait des recherches sur les différences ethniques en matière médicale et nous explique que le meilleur régime alimentaire à adopter diffère suivant nos caractéristiques physiologiques. Quelle conclusion tire-t-elle pour que la population japonaise soit en meilleure santé ?

Un faible taux de crises cardiaques au Japon : les raisons principales

La cuisine japonaise, ou washoku, jouit dans le monde entier d’une réputation de « nourriture saine ». D’après les statistiques du ministère de l’Agriculture, en 2019, il existait entre 150 000 et 160 000 restaurants japonais hors de l’Archipel.

Cette réputation tire en partie sa source de l’allongement de l’espérance de vie des Japonais après-guerre : autour de 1980, ils détenaient la palme de la longévité. Le Japon continue à être l’un des pays du monde où l’on vit le plus vieux, avec plus de 90 000 centenaires recensés en 2023. De nombreuses recherches et enquêtes ont tenté de percer le secret de la bonne santé et de la longévité nipponnes ; c’est ainsi que le monde entier s’est intéressé à l’alimentation traditionnelle washoku.

En effet, le régime alimentaire joue un rôle important dans la santé des Japonais. Leur point fort est qu’ils sont peu exposés à l’athérosclérose. Le durcissement des artères est dû à l’accumulation de graisses qui entrave la bonne circulation du sang, l’artère finissant par se boucher. Quand cela arrive dans le cerveau, c’est un accident cérébral et quand c’est le cœur, il s’agit d’un infarctus. Le Japon est l’un des pays du monde qui enregistre la plus faible incidence de crises cardiaques.

Il existe deux raisons à cela. L’une est génétique : certaines données montrent que les Japonais ont un taux de bon cholestérol (HDL) supérieur de 10 % à celui des Occidentaux. L’autre tient à la consommation traditionnelle de poisson. Les acides gras oméga-3 (EPA et DHA) contenus dans le poisson font baisser le niveau de cholestérol, prévenant ainsi le durcissement des artères. Les Japonais enregistrent des taux élevés de DHA dans le sang et dans le lait maternel, presque six fois plus que chez les Américains et le double des Chinois.

Les poissons particulièrement riches en EPA et DHA comme le maquereau, la sardine, la sériole ou l’anguille abondent dans les eaux de l’Archipel et les Japonais en mangent depuis les temps anciens. C’est grâce à eux que nous sommes aujourd’hui moins sujets à l’athérosclérose, de génération en génération.

Un autre point fort des Japonais est leur microbiote intestinal. D’après des travaux de recherche portant sur la flore intestinale de la population de douze pays à travers le monde, les Japonais peuvent se prévaloir du meilleur microbiote, riche en bifidus et autres bonnes bactéries. Les Chinois, pourtant voisins asiatiques, ne montrent pas les mêmes caractéristiques, se rapprochant davantage de la flore intestinale des Américains.

Si le microbiote intestinal des Japonais est si varié, c’est sans doute parce que leur régime alimentaire est riche en fibres depuis longtemps. Les fibres nourrissent les bonnes bactéries et aident à purger l’organisme des toxines générées par les mauvaises bactéries. Comme la flore intestinale évolue lentement, sur plusieurs décennies, celle des Japonais d’aujourd’hui est l’héritage du régime alimentaire de leurs parents et grands-parents.

À chaque ethnie sa constitution

Mais il ne suffit pas de manger japonais pour vivre en bonne santé et plus vieux. En effet, les régimes alimentaires traditionnels de chaque partie du monde ont modelé l’organisme des habitants, évoluant de façon à leur assurer une bonne santé. En fonction de ses gènes, de ses habitudes et de son environnement, chaque peuple a développé une constitution différente.

Examinons par exemple les différences entre les Japonais et les Occidentaux. Elles ne se limitent pas à l’apparence : musculature, graisse, température corporelle, capacité à digérer les aliments ou à éliminer l’alcool, quantités d’hormones et d’enzymes produites, forme de l’estomac, flore intestinale… les différences sont nombreuses.

L’estomac des Japonais est fait pour digérer des céréales.
L’estomac des Japonais est fait pour digérer des céréales.

Cette illustration montre la forme fréquente de l’estomac des Japonais d’une part et des Occidentaux d’autre part. La différence tient à l’alimentation traditionnelle de chacun.

Les Japonais ont pour nourriture de base les céréales, principalement le riz. C’est une excellente source d’énergie, mais longue à digérer en raison de sa forte teneur en fibres (du moins le riz complet, très souvent consommé sur l’Archipel). De ce fait, l’estomac des Japonais est tout en longueur : cela lui permet de stocker les aliments ingérés afin de les transformer suffisamment avant leur passage dans l’intestin. Le microbiote est riche en bactéries adaptées à la digestion des céréales, pour en tirer le plus de nutriments possible.

En comparaison, le régime alimentaire des Occidentaux est davantage axé sur la viande et les produits laitiers. En d’autres termes, sur la graisse et les protéines, qui sont avant tout transformées dans l’intestin. Il faut donc vite les faire passer de l’estomac aux intestins.

Pour ce faire, l’estomac des Occidentaux produit de grandes quantités d’acide gastrique afin d’accélérer la transformation dans l’estomac ; grâce à ses muscles, celui-ci fait ensuite passer sans tarder le bol alimentaire vers l’intestin, qui produit les enzymes nécessaires à la transformation de la graisse et des protéines.

Par ailleurs, on sait que la capacité à digérer le lait diffère fortement en fonction des ethnies. L’illustration 2 en montre la répartition géographique : plus la couleur est foncée, plus la proportion d’habitants ayant du mal à digérer le lait est grande. Cette capacité est déterminée par la présence de certaines enzymes ; alors que la grande majorité des Anglais et des habitants d’Europe du Nord digèrent bien le lait, ce n’est pas le cas de près de 90 % des habitants d’Asie de l’Est et du Sud-Est, Japon y compris.

Plus la couleur est foncée, plus l’intolérance au lactose chez les adultes de la région concernée est importante.
Plus la couleur est foncée, plus l’intolérance au lactose chez les adultes de la région concernée est importante.

La facilité à digérer le lait diffère en fonction des ethnies ; ces différences de constitution peuvent parfois poser problème. Par exemple, la vitamine D qui renforce les os se trouve dans l’alimentation mais elle est aussi produite par l’organisme à partir des rayons ultraviolets. En Afrique, l’exposition aux rayons ultraviolets est forte ; l’organisme des Africains produit beaucoup de vitamine D, mais en absorbe peu par le biais de la nourriture.

C’est ainsi que les Afro-américains qui vivent aux États-Unis, où l’exposition aux rayons ultraviolets est moindre, ont tendance à présenter des carences en vitamine D, et qu’ils doivent absorber davantage de vitamine D que d’autres ethnies pour compenser ce manque. Une constitution différente demande donc un régime alimentaire différent.

La graisse viscérale, point faible des Japonais

Le plus grand point faible des Japonais est leur propension à accumuler la graisse viscérale. Cette graisse abdominale produit des substances nocives à l’origine de maladies de comportement comme l’hypertension, le diabète ou l’AVC (accident vasculaire cérébral) et l’infarctus. Elle est également liée à l’apparition du cancer du côlon, du foie, du pancréas ou du sein, ainsi que de la démence.

En comparaison, chez les Occidentaux, la plus grande partie de la graisse s’accumule sous l’épiderme. Comme le montre l’illustration 3, la graisse sous-cutanée, stockée sur la face externe du corps, ne produit que peu de substances nocives. Aux États-Unis, les gens pesant plus de 100 kilos sont plus nombreux qu’au Japon, mais ils sont en forme, sans doute parce que leur graisse se situe principalement sous l’épiderme.

Vue en coupe de l’abdomen (nombril en haut et fesses en bas)
Vue en coupe de l’abdomen (nombril en haut et fesses en bas)

Le type de graisse prédominant chez chacun est déterminé par ses gènes. Mais à vrai dire, autrefois, très peu de Japonais avaient de la graisse viscérale. Pour preuve, le taux d’incidence de maladies profondément liées à cette graisse, comme le diabète, le cancer du sein et celui du côlon, par exemple, était faible.

C’est entre les années 1960 et 1990 que cela a changé. Au fur et à mesure que progressait l’occidentalisation de l’alimentation, synonyme de plus de graisses mais aussi de moins de riz et de fibres, les Japonais ont accumulé davantage de graisse viscérale. À quoi est venu s’ajouter le manque d’exercice lié à la sédentarisation au travail et à l’usage de la voiture. Aujourd’hui, la santé des Japonais est plus fragile.

Revenons à la véritable sagesse des anciens 

Depuis quelques années, les études liées aux différences de constitution entre les ethnies progressent ; en 2016, le séquençage du génome type des Japonais a été terminé. Ces importants travaux de recherche ont montré que l’alimentation traditionnelle japonaise, composée de peu de viande et de produits laitiers mais de beaucoup de poisson et de soja ainsi que de quantités importantes de fibres tirées des céréales, des légumes et des algues, permettait de limiter l’accumulation de graisse viscérale.

Le riz complet est un bon élément de base de l’alimentation. Il contient en effet sept fois plus de fibres que le riz blanc, ainsi que de nombreux éléments qui aident à brûler la graisse viscérale. Le soja, les petits poissons et les légumes verts et orange, éléments traditionnels du repas japonais, renforcent les os ; les femmes qui mangent beaucoup d’aliments à base de soja, comme le tofu, ont trois fois moins de risque de contracter un cancer du sein.

Aujourd’hui, au Japon, on peut savourer la cuisine de tous les pays du monde. Mais n’oublions pas que la pierre angulaire de la bonne santé des Japonais, c’est le washoku, le régime alimentaire traditionnel de l’Archipel.

(Voir également notre article : 1975, l’année où l’alimentation japonaise est à son sommet)

(Photo de titre : Pixta)

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