1975, l’année où l’alimentation japonaise est à son sommet

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L’alimentation japonaise est réputée pour être saine. Mais est-ce encore vrai actuellement ? Les adultes japonais d’aujourd’hui peuvent témoigner que leur alimentation a bien changé et s’est radicalement occidentalisée depuis l’époque de leur enfance. Au dire des experts, pour vivre longtemps et en bonne santé, c’est le menu de 1975 qu’il faut réintroduire...

Au Japon, non seulement on y vit longtemps, mais beaucoup de personnes âgées de l’Archipel vivent aussi en meilleure santé, sans avoir besoin d’une aide à domicile.

L’alimentation japonaise est certainement l’un des secrets de la santé et de la longévité des Japonais, comme le montrent déjà de nombreuses études dans le monde entier.

Cependant, « l’alimentation japonaise » est un terme un peu vague. Contrairement à l’image qu’en ont les étrangers, nous ne nous nourrissons pas uniquement de sushi, de ramen ou de tempura. De plus, la cuisine de luxe kaiseki que l’on voit figurer sur les guides touristiques est très rare ! Prenons au contraire comme définition de l’alimentation japonaise la nourriture que « nous, Japonais, mangeons quotidiennement dans les occasions les plus habituelles », et regardons les bénéfices de cette culture alimentaire sur la prévention des pathologies liées au mode de vie.

Comparaison avec l’alimentation américaine

En premier lieu, pour vérifier si l’alimentation japonaise est vraiment bonne pour la santé, nous l’avons comparée avec l’alimentation nord-américaine. Sur la base d’une enquête sur la santé et la nutrition réalisée aux États-Unis en 1996 et d’une autre similaire effectuée au Japon en 1999, une expérience a été réalisée sous la direction d’un diététicien. Des menus spécifiques ont été établis pour une semaine (soit 21 repas). Les repas ont été cuisinés, puis lyophilisés, et donnés à manger à des rats.

Deux groupes de rats ont été nourris séparément pendant trois semaines, l’un avec le régime « japonais », l’autre avec le régime « américain ». À l’issue des trois semaines, le groupe nourri à la cuisine japonaise présentait des valeurs d’expression génétique globalement élevées concernant le métabolisme des glucides et lipides, ainsi qu’une expression génétique faible de réponse au stress. La graisse viscérale était moins importante, et les lipides dans le sang étaient en plus faible concentration. Or, de façon assez étonnante, aucune différence significative n’était perceptible dans les quantités de glucides, lipides et protéines entre le régime japonais et le régime américain. Les différences expérimentales semblent donc provenir d’une différence qualitative entre les sources d’éléments nutritifs, alors que les mêmes glucides s’obtiennent aussi bien du riz que du blé, et que les protéines s’obtiennent aussi bien du poisson ou du soja que du bœuf ou du porc.

À quelle époque l’alimentation japonaise fut-elle optimale ?

Les habitudes alimentaires évoluent. Récemment, on dit que l’augmentation rapide des pathologies liées au mode de vie, artériosclérose, diabète, etc. était due à l’occidentalisation du régime alimentaire des Japonais. Mais à quelle époque l’alimentation japonaise a-t-elle connu son efficacité maximale ? Aucune étude scientifique ne semblait avoir cherché à évaluer ce point, ni aucune étude comparative n’avait été menée entre l’alimentation japonaise contemporaine et celle du passé.

Des menus types à différentes époques ont donc été reproduits et donnés à manger à des souris, afin de déterminer la période où l’alimentation japonaise avait présenté la protection la plus efficace aux maladies liées au mode de vie, au vieillissement et pour le maintien de la santé.

Les menus établis par les enquêtes sur la santé et la nutrition des années 1960, 1975, 1990 et 2005 ont été cuisinés et lyophilisés, puis donnés à des groupes de souris pendant 8 mois. Il est apparu que le groupe nourri au menu de 1990 et 1975 présentait une masse viscérale moins importante que le groupe nourri au menu de 2005, et était moins susceptible de devenir obèse. En outre, le groupe « 1975 » présentait un risque plus faible de développer « un foie gras » (une stéatose hépatique) ou un diabète.

En d’autres termes, l’alimentation de 1975 était plus efficace pour rester en bonne santé. L’analyse des gènes liés aux maladies du foie, qui jouent un rôle central dans le métabolisme des lipides et des glucides, a montré que le groupe nourri au menu de 1975 dégradait plus activement les graisses et inhibait mieux la synthèse des acides gras, ce qui suggère une moindre accumulation des lipides dans le foie et les organes internes.

Comparé aux trois autres menus, l’alimentation japonaise de 1975 utilisait plus de sucre, de haricots, de fruits, d’algues, de poissons, d’œufs, d’épices et d’assaisonnements, et était globalement plus variée en types d’aliments. Une autre particularité de l’alimentation de 1975 était qu’elle contenait bien moins de boissons élaborées, telles que les jus de fruits industriels.

Mettre l’accent sur l’effet préventif du vieillissement et des maladies

Les effets de l’alimentation japonaise des époques successives sur la durée de vie et le vieillissement, ont été évalués à l’aide des souris modèles atteintes d’un syndrome de vieillissement accéléré, par ailleurs largement utilisées dans la recherche sur les maladies liées au vieillissement.

Les souris ne présentent pas de différence notable dans le degré de vieillissement apparent à l’âge de 24 semaines en fonction du régime alimentaire qui leur est donné. En revanche, à 48 semaines, la progression du vieillissement est inhibée dans les groupes « 1975 » et « 1990 » par rapport au groupe « 2005 ». La tendance au vieillissement est particulièrement ralentie dans le groupe « 1975 ».

Les capacités d’apprentissage et de mémoire non plus ne présentaient aucune différence notable à 24 semaines, mais à 48 semaines, ces compétences étaient beaucoup mieux conservées dans le groupe « 1975 » que dans le groupe « 2005 ». En outre, la durée de vie des groupes « 1975 » et « 1990 » était plus longue que celle du groupe « 2005 », tendance particulièrement forte dans le groupe « 1975 ».

Au terme de ces expériences sur des souris, on a pensé que l’alimentation japonaise des années 1975 et 1990 présentait une efficacité certaine sur le vieillissement et la durée de vie. Mais ce résultat est-il extrapolable à l’homme ? D’autres protocoles expérimentaux ont donc été élaborés avec l’approbation du comité d’éthique sur les recherches à patients humains de l’Université du Tôhoku.

L’alimentation de « 1975 » : des effets positifs sur la flore intestinale

Dans une première phase, deux groupes de personnes légèrement obèses âgées de 20 à 70 ans ont reçu deux types d’alimentation : celle « conventionnelle » d’aujourd’hui et celle de type « 1975 », à raison de 3 repas par jour pendant 28 jours. Les mesures établies avant et après l’expérience ont montré que l’IMC (indice de masse corporelle) et le poids avait significativement baissé dans le groupe « 1975 », ainsi que la concentration de « mauvais » cholestérol et d’hémoglobine A1c, marqueur du diabète. Une réduction du tour de taille a également été observée, et le « bon » cholestérol a eu tendance à augmenter.

Dans une seconde phase, la même expérience a été menée sur deux groupes de personnes non-obèses âgées de 20 à 30 ans, pendant la même durée de 28 jours. En sus des types d’alimentation différentes, les deux groupes avaient pour contrainte d’effectuer une activité physique de plus d’une heure par jour, trois fois par semaine. À l’issue de l’expérience, la quantité de stress et les performances physiques s’étaient améliorées dans le groupe « 1975 ». Dans le même groupe d’autre part, les bactéries de la flore intestinale liées à une augmentation des risques de maladies liées au mode de vie étaient moins importantes, suggérant des avantages pour la santé sur les bactéries et leurs métabolites.

Selon ces expériences, l’alimentation japonaise de 1975 aurait donc un effet bénéfique sur la santé par rapport à celle d’aujourd’hui.

Le secret du menu 1975

À ce propos, il est possible de dégager cinq éléments spécifiques de l’alimentation japonaise de 1975.

La diversité : Nous mangions alors toutes sortes d’ingrédients, en quantités réduites. Il est effectivement souhaitable de manger au moins trois plats différents, principal et d’accompagnement.

Le mode de cuisson : Les aliments étaient consommés le plus souvent, et par ordre décroissant : bouillis, étuvés, ou crus. Dans une moindre mesure : blanchis et grillés. Les plats frits ou sautés étaient beaucoup moins courants qu’aujourd’hui. Or, la cuisson à l’huile et forte chaleur détruit bon nombre des éléments nutritifs fonctionnels des aliments. Par exemple, pour un poisson à chair bleu comme le chinchard, les valeurs en oméga-3 et oméga-6 tombent à un dixième de leur valeur d’origine entre l’aliment frit et l’aliment cru.

Les ingrédients : Les produits à base de soja, les poissons, les tubercules, les légumes (y compris macérés au sel ou en saumure), fruits, algues, champignons, thé vert étaient abondamment consommés, alors que les œufs, les produits laitiers et la viande l’étaient beaucoup plus modérément.

L’assaisonnement : Les bouillons et assaisonnements fermentés (sauce soja, miso, vinaigre, mirin, saké) étaient bien utilisés, alors que l’usage du sucre et du sel était beaucoup moindre.

La composition du menu : Le menu type respectait la règle « 3 plats + 1 soupe », c’est-à-dire : l’aliment de base (riz blanc), une soupe, 1 plat principal et 2 accompagnements, basé sur le principe « d’un aliment de base et une soupe » permettait en fait de manger très varié.

Ce sont des menus présentant ces caractéristiques qui ont été réalisés sous l’appellation « alimentation japonaise type 1975 » et consommés en continu au cours des expériences que nous avons décrites.

Le régime actuel va-t-il stopper la progression de l’espérance de vie ?

C’est la génération qui a été élevée à l’alimentation type « 1975 », actuellement âgée de soixante ans et plus, qui tire l’espérance de vie actuelle de la population japonaise. En d’autres termes, il est fort probable que cette génération ait eu une alimentation correcte au moment où apparaissaient les maladies liées au mode de vie dans la génération suivante, ce qui a tendance à pousser vers le haut l’espérance de vie moyenne de la population japonaise.

De fait, il est fort possible que l’espérance de vie moyenne des Japonais ne poursuive pas son allongement actuel dans l’avenir, car les personnes âgées actuellement entre 20 et 40 ans sont familiarisées avec l’alimentation occidentalisée. Le nombre de personnes souffrant de maladies liées au mode de vie, telles que le diabète, est d’ailleurs en constante augmentation d’année en année. Si les habitudes alimentaires actuelles se poursuivent, il est à craindre que la santé globale et l’espérance de vie des Japonais connaissent une dégradation. Alors qu’une montée en qualité de l’alimentation pour intégrer les bonnes caractéristiques de l’alimentation japonaise de 1975 permettrait à tout le monde d’approcher sans doute un âge centenaire.

Exemple de menu japonais type « 1975 »

Jour 1

  • Petit-déjeuner : riz, saumon grillé, nattô, soupe miso avec chou chinois et germes de soja
  • Déjeuner : kitsune udon (soupe de nouilles de froment et poches de tofu frit), fruit.
  • Dîner : riz blanc, niku-jaga (bœuf et pommes de terre), algues mozuku vinaigrées, soupe avec chou et œuf 

Jour 2

  • Petit-déjeuner : brioche aux raisins, omelette, sauté de saucisse et chou, fruit, verre de lait
  • Déjeuner : riz cantonnais, soupe d’algue wakame
  • Dîner : riz blanc, chikuzen-ni (bambou bouilli), tofu froid, soupe miso avec épinards et tofu frit

Jour 3

  • Petit-déjeuner : riz blanc, chinchard séché, palourdes et légume vert komatsuna bouillis, haricots d’Espagne bouillis sucrés, soupe miso avec aubergine
  • Déjeuner : yakisoba (nouilles frites), gelée de fruits mitsumame
  • Dîner : riz blanc, ragoût sauce blanche, chou chinois et crevettes séchées blanchis, concombre et algues hijiki mélangés

Jour 4

  • Petit-déjeuner : toast, œuf et bacon, yaourt aux fruits
  • Déjeuner : riz aux patates douces, kôya-dôfu (tofu congelé) bouilli, tonjiru (bouillon de porc et légumes)
  • Dîner : riz blanc, maquereau bouilli avec miso, gomokumame (5 légumes, algues et haricots de soja bouillis), soupe de chou chinois et algue wakame 

Jour 5

  • Petit-déjeuner : riz blanc, omelette japonaise, nattô, soupe miso avec chou et tofu frit, fruit
  • Déjeuner : oyakodon (poulet et omelette sur du riz), kôhaku-namasu (radis blanc, carotte et vinaigrette), tsukuda-ni (petits poissons, algues ou fruits de mer mijotés dans de la sauce de soja et sucre)
  • Dîner : riz blanc, chinchard grillé à la sauce vinaigre sucrée (mariné), miso-dengaku (tofu, radis blanc, taro ou konjac bouillis à la sauce miso), soupe avec potiron et légume vert komatsuna

Jour 6

  • Petit-déjeuner : toast, œuf dur, salade de broccoli et thon, fruit, verre de lait
  • Déjeuner : riz blanc, aubergine sautée avec viande hachée, algues hijiki bouillis
  • Dîner : riz blanc, limande mijotée dans de la sauce soja, okara (pulpe de soja écrasée) sauté, soupe miso avec taro et radis japonais

Jour 7

  • Petit-déjeuner : riz blanc, palourdes et chou étuvé avec du saké, nattô, soupe miso avec tofu et tofu frit
  • Déjeuner : sandwich au pain de mie, consommé, fruit
  • Dîner : riz blanc, sashimi, satsuma-age (chair de poisson frit) et chou chinois bouilli, shira-ae (tofu écrasé et légumes étuvés)

(Photo de titre : Pixta)

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