Le Japon terre d’accueil des cultures du monde

160 ans de relations diplomatiques germano-japonaises : le rôle de l’Allemagne dans la modernisation du Japon

Échanges internationaux Histoire

L’année 2021 marque le 160e anniversaire de la signature du traité d’amitié et de commerce entre le shogunat d’Edo et la Prusse, en 1861. Les autorités et experts dans des domaines très divers, médecine, droit, affaires militaires, qui ont été invités au Japon dans le cadre de ce traité ont eu une grande importance dans le développement du Japon moderne. Voici un aperçu de cette relation spéciale entre le Japon et l’Allemagne.

Des Japonais portés en triomphe à Berlin

Dans la situation tendue du début de la Première Guerre mondiale, un événement étrange s’est déroulé dans la capitale allemande, Berlin. En pleine rue, des Japonais ont été entourés et « portés en triomphe » par la foule en délire. Parmi eux figuraient Yamada Junzô, employé du chemin de fer de Mandchourie (après la Seconde Guerre mondiale, il est devenu président de l’équipe de baseball Mainichi), et Kawakami Hajime, économiste marxiste et à l’époque professeur adjoint à l’Université impériale de Kyoto, en déplacement d’études.

Cette liesse était causée par la rumeur que le Japon allait se battre naturellement aux côtés de l’Allemagne. De fait, c’était le contraire : le Japon comptait lui déclarer la guerre. Au début du conflit toutefois, les Allemands avaient pensé l’inverse. Ce malentendu est au moins un signe des étroites relations que les deux nations entretenaient dès avant cette époque. Ainsi, la déception et la colère des Allemands n’en ont été que plus grandes lorsqu’ils ont appris que le Japon était devenu un ennemi...

Les relations nippo-germaniques : des défis à répétition

Le traité d’amitié et de commerce entre le shogunat d’Edo et la Prusse a été conclu en janvier 1861. À l’époque, l’Allemagne n’existait pas encore en tant que telle, et le Royaume de Prusse, membre de l’Union douanière allemande dotée des pleins pouvoirs qui lui étaient délégués par les États membres de l’Union (Saxe, Hanovre, Bavière, etc.) et les villes de la Ligue hanséatique (Hambourg, Brême, etc.), s’efforçait d’établir des relations commerciales distinctes avec chaque pays. Néanmoins, le shogunat s’est montré réticent et, finalement, un traité a été conclu avec la seule Prusse.

Si 2021 marque marque le 150e anniversaire des relations entre le Japon et l’Allemagne au sens strict — depuis la création de l’Empire allemand en 1871 —, il est toutefois possible de faire remonter ces relations bien plus tôt. En effet, deux médecins allemands, Engelbert Kämpfer et Philipp Franz von Siebold, étaient venus au Japon en tant que médecins attachés au poste de commerce néerlandais dès la période d’isolement national.

Entre-temps, des conflits ont éclaté entre les deux pays, tels que l’intervention tripartite (1895) et la Première Guerre mondiale, de sorte que l’amitié n’a pas toujours régné. En outre, à chaque tournant historique, les relations nippo-germaniques ont été confrontés à diverses épreuves : en 2011, le Grand tremblement de terre de l’Est du Japon a entraîné l’annulation de plusieurs événements commémoratifs du 150e anniversaire, et le 160e anniversaire de cette année a été marqué par la crise du Covid-19 qui a fortement restreint les échanges individuels.

Naruhito, encore prince héritier à l’époque, prenant la parole lors d’une cérémonie commémorant le 150e anniversaire de la signature du traité d’amitié et de commerce entre le Japon et la Prusse, le 24 janvier 2011 (© Jiji).
Naruhito, encore prince héritier à l’époque, prenant la parole lors d’une cérémonie commémorant le 150e anniversaire de la signature du traité d’amitié et de commerce entre le Japon et la Prusse, le 24 janvier 2011. (Jiji)

En lieu et place, des symposiums, des expositions, des concerts et autres événements en ligne ont couvert divers domaines des relations nippo-germaniques, notamment les arts et la culture, l’économie, la diplomatie, la défense et les questions post-Covid. Ces développements de l’année dernière semblent résumer les progrès réalisés par les deux pays pour surmonter de nombreuses difficultés en travaillant ensemble dans un esprit de sagesse mutuelle.

L’importance de la mission Iwakura

Il est généralement considéré que c’est la « mission Iwakura » de 1871 qui a incité le gouvernement Meiji à considérer l’Allemagne comme un modèle dans le processus de modernisation. La langue allemande avait déjà été étudiée sérieusement depuis 1860, et les contacts personnels avec l’Allemagne ont eu une grande influence dans les domaines de l’éducation, des affaires militaires et de la santé (voir notre article : La mission Iwakura : quand le Japon est parti à la recherche de son propre avenir).

Lorsque le shogunat d’Edo a envoyé la mission Bunkyû dans six pays européens en 1862, Fukuzawa Yukichi, l’un des membres de la mission, visitant Berlin, loua le fait que l’éducation était dispensée même dans les prisons. À la fin de l’époque d’Edo (1603-1868), le clan Kishû a invité Carl Köppen de Prusse et a introduit les méthodes de formation militaire modernes, et le clan Aizu a envoyé Komatsu Seiji étudier la médecine à l’université de Heidelberg.

On savait depuis la fin de l’époque d’Edo qu’il existait de nombreux livres de qualité en allemand, en particulier dans le domaine de la médecine, et le gouvernement Meiji a décidé d’introduire la médecine allemande en 1869. Sur cette base, la guerre franco-prussienne, l’établissement de l’Empire allemand et la mission Iwakura ont donné l’impulsion à la politique japonaise de mise en valeur de l’Allemagne.

Les Allemands qui ont aidé à développer le Japon

Le gouvernement Meiji considérait l’Allemagne, puissance montante en Europe, comme un modèle militaire et technologique plus accessible que la Grande-Bretagne et la France. Un certain nombre d’experts allemands ont été invités :

Edmund Naumann, qui a décrit la dépression tectonique Fossa Magna sur la base de son étude géologique du Japon ; Erwin von Bälz, qui est devenu professeur à l’école de médecine de Tokyo et médecin auxiliaire de la Maison impériale. Il a permis le développement de la lotion « Beltsui » contre la peau sèche, qui est devenue très célèbre dès cette époque, sans oublier son analyse de l’efficacité des sources chaudes de Kusatsu ; Hermann Roesler, qui s’est impliqué fortement dans la rédaction de la Constitution de Meiji, et Jakob Meckel, qui a été nommé à l’École de guerre en 1885 et a converti le système militaire français introduit à la fin de l’époque d’Edo en système allemand.

L’économiste Karl Rathgen, qui a enseigné également le droit et la politique, a été le premier à introduire les séminaires dans les universités japonaises, et l’historien Ludwig Liess a jeté les bases de l’histoire positiviste au Japon. Le pédagogue Emil Hausknecht était responsable du département de littérature allemande de l’université impériale de Tokyo lors de sa fondation en 1887. Le japonologue Karl Florenz, qui lui a succédé, a formé des spécialistes de la littérature allemande et s’est consacré à l’étude de la littérature japonaise.

Dans le domaine des sciences naturelles, Gottfried Wagene a joué un rôle déterminant dans la participation du Japon à l’Exposition universelle de Vienne en 1873, et a été actif dans la recherche et le développement des céramiques Arita-yaki, Kyô-yaki et des émaux. Curt Netto a enseigné les technologies minières dans la préfecture d’Akita et Erwin Knipping a permis l’installation des premières stations météorologiques au Japon (1883).

Dans le domaine des transports et des infrastructures, on peut citer Hermann Rumschöttel, qui a joué un rôle déterminant dans le tracé du chemin de fer de Kyûshû, et Franz Baltzer, qui a conçu le viaduc entre Shimbashi et Ueno.

Franz Eckert, un ancien musicien de la marine, qui a œuvré à la popularisation de la musique occidentale au Japon, et Raphael von Koeber, Allemand d’origine russe, qui a enseigné la philosophie et l’esthétique allemandes ainsi que le piano à l’école de musique de Tokyo, ont développé également des contacts étroits dans le domaine des arts.

Guido Verbeck, pour sa part citoyen néerlandais, conseilla l’introduction de la médecine allemande et l’envoi de la mission Iwakura. Il a joué un rôle important dans la détermination de l’orientation du gouvernement Meiji, qui devait suivre l’exemple de l’Allemagne.

La franchise des échanges est un gage d’amitié

Il est également intéressant de noter que c’est en langue allemande que les connaissances occidentales ont été transmises au Japon, et la culture germanique s’est répandue dans les pays d’Asie de l’Est via le Japon. L’écrivain Mori Ôgai a introduit certaines célèbres œuvres littéraires européennes au Japon, notamment L’Improvisateur, de l’auteur danois Hans Christian Andersen, à partir d’une traduction de l’allemand.

De nombreuses controverses et critiques ont eu lieu dès cette période, en raison des perspectives différentes de l’Allemagne et du Japon. Cependant, la franchise de ces discussions a sans aucun doute approfondi les relations entre les deux pays.

Inversement, les relations entre le Japon et l’Allemagne dans les années 30 nous enseignent que l’admiration, la dévotion et l’attachement excessif à un pays particulier peuvent être néfastes et conduire parfois à la ruine. La faction pro-allemande du ministère des Affaires étrangères et de l’Armée s’opposa à la politique gouvernementale pour se rapprocher de l’Allemagne, ce qui conduisit au pacte tripartite Japon-Allemagne-Italie, faisant des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Union soviétique des ennemis. C’est une leçon d’histoire que les personnes familières avec l’Allemagne doivent connaître.

Après une nouvelle année perturbée par la catastrophe sanitaire en 2021, nous espérons que les relations nippo-germaniques redeviendront plus actives et que dans dix ans, le 170e anniversaire sera célébré dans les meilleures conditions.

(Photo de titre : Dr. Naumann [à gauche, © Musée de la Fossa Magna] et l’écrivain Mori Ôgai. Kyôdo)

diplomatie Allemagne relations guerre commerce Meiji