La politique japonaise en 2023 : le Premier ministre Kishida réussira-t-il à rebondir ?

Politique

Après avoir vu sa cote de popularité chuter à 30 % dans les remous entraînés par les polémiques autour des liens entre le Parti libéral-démocrate et la secte Moon, le gouvernement de Kishida Fumio réussira-t-il à rattraper le terrain perdu ? Nous faisons le point sur les perspectives de la politique japonaise en 2023.

La démission de quatre ministres entre octobre et décembre 2022, un fait sans précédent, a ébranlé le gouvernement Kishida. L’annonce de son intention d’augmenter considérablement le budget de la défense dans le prochain exercice budgétaire, et de son projet de la financer par une augmentation des impôts, a suscité une vive opposition au sein même du Parti libéral-démocrate (PLD, au pouvoir) et de la coalition gouvernementale. Si le gouvernement a ensuite tenté de calmer le jeu en reportant cette hausse des impôts, cet épisode a indéniablement donné l’impression que le pouvoir politique errait.

La session ordinaire du Parlement s’ouvrira dans la dernière partie de janvier, et les élections locales unifiées auront lieu en avril. On s’attend à ce qu’elles voient le PLD souffrir du contrecoup de l’affaire de la secte Moon (ou Église de l’unification), qui est née après l’assassinat d’Abe Shinzô. Le Premier ministre n’a pas encore trouvé comment rebondir, et il n’aura d’autre choix que de les aborder en position défensive. (Voir notre article : La secte Moon et ses victimes japonaises : la nécessité d’une éducation religieuse)

Un appel au désarmement nucléaire lors du sommet de Hiroshima

Le Premier ministre se rendra aux États-Unis pour rencontrer le président Biden dans la première quinzaine de janvier, avant l’ouverture de la session ordinaire du Parlement. Il veut confirmer le renforcement de l’alliance américano-japonaise et lui expliquer les modifications apportées en décembre dernier aux trois documents de la doctrine japonaise de défense, notamment la Stratégie nationale de sécurité, qui spécifie la possession d’une capacité de contre-attaque dirigée contre les bases de lancement de missiles d’autres pays.

Cette visite sera la première à la Maison blanche du Premier ministre depuis sa nomination en octobre 2021. Il était en France le 9 janvier et poursuit actuellement sa tournée en Europe, dans les autres pays membres du G7 afin de s’assurer leur coopération pour le sommet qu’il présidera en mai prochain à Hiroshima, son fief électoral. Alors que les divisions au sein de la communauté internationale s’aggravent en raison de l’invasion russe en Ukraine, Kishida Fumio souhaite faire entendre au Japon et à l’étranger un message appelant à un monde sans armes nucléaires, un objectif qu’il considère comme l’un des plus essentiels de sa vie. Cette recherche d’un rôle diplomatique accru est aussi perçue comme ayant un autre but : renforcer son poids politique au Japon.

Les principales échéances politiques de 2023

Première quizaine de janvier Tournée en Europe et en Amérique du Nord à la rencontre des dirigeants du G7
Fin janvier Ouverture de la session parlementaire ordinaire
Fin mars (?) Adoption du budget 2023
8 avril Fin du mandat de Kuroda Haruhiko, gouverneur de la Banque du Japon
9 avril Élections locales unifiées (première partie)
23 avril Élections locales unifiées (seconde partie)
19-21 mai Sommet du G7

La question de la secte Moon continue à peser lourdement

Il n’est cependant pas certain que tout se passera comme prévu. La dernière session parlementaire extraordinaire a vu la démission de quatre ministres du gouvernement, dont Yamagiwa Daishirô, ministre de la Revitalisation économique, suite à la révélation de ses liens avec la secte Moon, et Hanashi Yasuhiro, ministre de la Justice, qui s’était exprimé trop légèrement sur l’application de la peine de mort. Dans tous les cas, le Premier ministre a été critiqué pour la lenteur de sa réaction vis-à-vis de ces problèmes.

Le Premier ministre s’est aussi félicité de la nouvelle loi d’aide aux victimes affectées par la secte Moon adoptée lors de la session extraordinaire du Parlement, en déclarant lors d’une conférence de presse que son gouvernement avait abordé ce problème avec une forte détermination, mais la réalité est différente. Par égard pour le parti Kômeitô, son allié au sein de la coalition gouvernementale, qui est l’émanation politique de la secte bouddhiste Sôka Gakkai, le gouvernement comptait soumettre un projet de loi à ce sujet lors de la prochaine session ordinaire, et le fait est qu’il a agi sous la pression des partis d’opposition qui exigeaient une loi plus rapidement, parce qu’il fallait réagir après les démissions successives de plusieurs ministres.

Enfin, à la fin de l’année, un autre élu du PLD a dû démissionner car on a appris que son association de soutien était soupçonnée d’avoir sous-déclaré les revenus d’une manifestation destinée à lever des fonds pour lui. Une fois que la session ordinaire du Parlement s’ouvrira, il ne fait aucun doute que les partis d’opposition feront preuve de pugnacité au sein de la commission budgétaire, et que le gouvernement sera contraint d’adopter une posture défensive.

De plus, les élections locales unifiées d’avril ne manqueront pas d’exposer les candidats du PLD ayant des liens avec la secte Moon à des vents contraires. Le Premier ministre avait l’intention de clore ce chapitre avec l’adoption de la loi d’aide à ses victimes et ainsi d’accélérer son redressement politique, mais il est opposé, en tant que président du PLD, à la tenue d’une enquête concernant feu l’ex-Premier ministre Abe Shinzô qui aurait contrôlé les votes de la secte. Il a été souligné que les liens avec la secte étaient plus forts au niveau des élus locaux qu’à celui des élus au parlement, et les partis d’opposition vont tout faire pour attaquer le PLD à ce sujet.

Un pouvoir de contrôle sur son parti diminué

Après ses victoires aux élections sénatoriales qui ont eu lieu immédiatement après sa nomination en octobre 2021, ainsi qu’à celles de juillet dernier à la Chambre basse, le Premier ministre a dû penser qu’il avait durablement renforcé son capital politique. Mais la cote de popularité de son gouvernement qui était selon un sondage de l’agence de presse Jiji de près de 50 % en juillet dernier, a chuté en décembre à 29,2 %. Cet effondrement est lié au problème de la secte Moon, à la décision d’organiser des funérailles nationales pour Abe Shinzô, et aux multiples démissions de ministres.

Kishida Fumio ne s’attendait certainement pas à ce que la mort subite d’Abe Shinzô change radicalement la structure du pouvoir politique. Jusqu’aux élections à la Chambre basse, il a remis à plus tard ses décisions sur les grandes questions susceptibles de diviser l’opinion publique, comme la défense, l’énergie nucléaire, ou la sécurité sociale, en faisant une priorité de la stabilité du pouvoir politique. Si Abe, qui représentait la faction conservatrice du PLD, mettait la pression sur le gouvernement avec des exigences élevées en matière de défense ou de politique économique et financière, c’était aussi un leader fort, capable de mettre sa faction au service du Premier ministre lorsqu’il le fallait.

En perdant ce protecteur, Kishida s’est trouvé contraint de tout contrôler lui-même, et de composer avec les factions du PLD pour ce qui est des principales mesures politiques. On peut penser que c’est cela qui a conduit à ses errements actuels.

L’annonce abrupte à la fin de l’année dernière d’une augmentation des impôts de 1 000 milliards de yens (7 milliards d’euros) pour financer les dépenses de défense a suscité l’opposition de ministres et de parlementaires proches d’Abe. Elle a dévoilé la diminution du contrôle du Premier ministre sur le parti, et si on remarque aujourd’hui ses fragilités dans la conduite du pouvoir, ce pourrait, selon un parlementaire qui joue un rôle central au sein du PLD, être dû au fait qu’il n’y a pas aujourd’hui dans la résidence du Premier ministre un homme qui joue un rôle de bouclier, comme le faisait Suga Yoshihide, le secrétaire général du gouvernement, pour Abe Shinzô.

La conjoncture est une autre source de préoccupation. La hausse des prix de l’énergie, et des prix à la consommation liée à l’invasion russe en Ukraine et à la faiblesse du yen pèse sur les ménages. Le gouvernement et les partis de la coalition ont fait adopter lors de la session parlementaire extraordinaire de l’an passé un second budget complémentaire pour assurer le financement de mesures contre la hausse des prix, mais il se limite à un traitement symptomatique et superficiel, avec des mesures pour alléger le poids de l’électricité et du gaz de ville. Pour l’instant, il n’est pas possible de savoir si elles seront efficaces. Rien ne donne à penser que les salaires vont augmenter, et si la conjoncture continue à stagner, il est à prévoir que l’insatisfaction populaire vis-à-vis du gouvernement ira croissant.

Un remaniement ministériel ou des élections générales ?

Lors d’une conférence de presse de décembre dernier, le dirigeant japonais a affirmé qu’il n’envisageait nullement ni un remaniement de grande ampleur ni des élections générales. S’il se permet de dire les choses aussi clairement, malgré la faiblesse de sa cote de popularité, c’est parce qu’il n’existe pas actuellement au sein du PLD de candidat fort pour le remplacer et parce que la perspective des élections est encore lointaine.

Des cadres du PLD proches du Premier ministre indiquent que pour l’instant la seule chose que puisse faire l’exécutif est de gouverner offensivement, étant donné que si le Parlement était dissous et qu’il y avait de nouvelles élections, le PLD ne les remporterait pas. La faction Kishida ne se classe qu’au cinquième rang des factions du PLD, et le Premier ministre semble décidé à rattraper du terrain en continuant à être l’allié de Motegi Toshimitsu, le secrétaire général du parti à la tête de sa deuxième faction, et d’Asô Tarô, son vice-président, à la tête de la troisième faction du parti.

Le projet de se lancer dans un remaniement de grande ampleur avant l’ouverture de la prochaine session ordinaire du Parlement, pour changer de direction en vue des élections locales unifiées, couve au sein du PLD. Il serait de nouveau question d’ajouter à la coalition gouvernementale PLD-Kômeitô le Parti démocrate du peuple. Une fois terminé le sommet du G7 à Hiroshima, le mandat du Premier ministre comme président du PLD courra encore plus d’un an. S’il souhaite être reconduit dans ses fonctions, il est très probable que la situation politique après le sommet évolue vers une dissolution de la Chambre des représentants, et sa décision sera suivie attentivement.

(Photo de titre : Kishida Fumio en conférence de presse le 10 décembre 2022 après la fermeture de la dernière session extraordinaire du Parlement de l’année. Jiji Press)

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