Les 24 divisions de l’année solaire au Japon

« Daikan » : grand froid

Tradition Vie quotidienne

Daikan est la période la plus froide de l’année, celle où bien des endroits du Japon enregistrent leurs températures les plus basses. Mais sous la terre, la nature est déjà en train de se préparer pour l’arrivée du printemps.

La période solaire appelée daikan (« grand froid ») commence approximativement le 20 janvier dans le calendrier moderne. C’est l’époque la plus froide de l’année, mais les jours rallongent peu à peu à mesure de l’approche du printemps. Dans l’ancien calendrier, le risshun (le début du printemps), qui succède au daikan, était considéré comme le début de l’année. Le jour précédent, qui est le dernier de l’année, est connu sous le nom de setsubun, et, ce jour-là, la coutume veut que l’on lance des graines de soja grillées pour repousser les mauvais esprits.

Cet article se penche sur les événements et les phénomènes naturels qui jalonnent la période allant en gros du 20 janvier au 3 février.

Wakasagi, la pêche sous la glace

La saison de la pêche au wakasagi, l’éperlan japonais, commence quand la glace à la surface des lacs et des étangs a atteint une certaine épaisseur. Avec le réchauffement climatique, il arrive de plus en plus souvent que les lacs ne gèlent pas sur toute leur surface, mais il n’en reste pas moins que la friture de tempura ou de karaage de wakasagi fraîchement pêché est considérée comme un mets de saison.

Pêche au wakasagi (à gauche) ; pêche au wakasagi sur le lac Yamanaka, dans la préfecture de Yamanashi.
Pêche au wakasagi (à gauche) ; pêche au wakasagi sur le lac Yamanaka, dans la préfecture de Yamanashi.

La culture alimentaire hivernale

La froideur de l’hiver japonais est propice à la fermentation des aliments et des boissons tels que le saké, le miso et la sauce soja, d’où l’essor de cet élément essentiel de la culture alimentaire du pays. La préparation de ces ingrédients à la saison froide entrave la croissance des micro-organismes indésirables, tout en permettant une fermentation progressive, qui contribue, dit-on, à l’amélioration du goût.

À cette époque de l’année, on met à tremper des grains de soba (sarrasin) et de riz dans de l’eau bien froide avant de les faire sécher en les exposant aux vents froids selon un processus appelé kanzarashi. Cette façon de faire améliore la saveur et renforce la douceur. Au nombre des spécialités préparées de la sorte figurent les nouilles kanzarashi-soba, ainsi qu’un dessert originaire de Shimabara, dans la préfecture de Nagasaki, appelé tout simplement kanzarashi et consistant en boulettes de farine de riz agrémentées d’un sirop doux.

Préparation du saké (à gauche) ; intérieur d’une brasserie de saké.
Préparation du saké (à gauche) ; intérieur d’une brasserie de saké.

Le rôbai (chimonanthe précoce)

Le wintersweet, ou rôbai, a été importé de la Chine au Japon au début de l’époque d’Edo (1603-1868) ; c’est pourquoi on le connaît aussi au Japon sous le nom de karaume, ou « prune chinoise ». Bien que ses fleurs ressemblent à celles du prunier, il appartient à la famille des Calycanthaceae, alors que les prunes appartiennent à celle des Rosaceae. Les pétales jaunes donnent l’impression d’être en cire, et les fleurs ont un arôme doux qui leur est propre.

Dans la poésie haïku, cette période est parfois appelée harutonari (littéralement « adjacente au printemps »), un nom qui fait allusion à la fin de l’hiver. Le rôbai et d’autres plantes qui fleurissent dans le froid intense annoncent joyeusement la proximité du printemps.

Rôbai (chimonanthe précoce)
Rôbai (chimonanthe précoce)

Le rougequeue aurore

Ces oiseaux migrateurs volent jusqu’au Japon pour y passer l’hiver. Ils sont légèrement plus petits que les moineaux, et les mâles ont une poitrine orange très reconnaissable. Leur nom en japonais est jôbitaki. Le mot hitaki veut dire « silex », et l’association de l’oiseau avec ce mot provient de son cri perçant, qui ressemble au son émis par un silex lorsqu’on le frappe. Les rougequeues aurores choisissent pour habitat les zones résidentielles, les parcs, le lit des rivières asséchées et autres espaces lumineux et ouverts.

Rougequeue aurore
Rougequeue aurore

Le jour du hatsu-Jizô (24 janvier)

Tous les mois, le 24 est un jour propice associé à Jizô (le bodhisattva qui veille sur les enfants, les voyageurs et tous les gens qui souffrent), et le 24 janvier est donc le premier jour de Jizô de la nouvelle année, ou hatsu-Jizô. Pour parler de Jizô, on emploie souvent le nom « O-Jizô-sama », un terme affectueux, et on le représente en général tenant dans sa main droite un bâton coiffé d’un anneau et dans sa main gauche un globe précieux. Dans la Jizô-dôri, une rue commerçante de Tokyo, parfois familièrement appelée le « Harajuku des mamies », se dresse le Kôgan-ji, un temple dédié à Jizô. Le principal objet de culte du Kôgan-ji est connu localement sous le nom de Jizô Togenuki (« pince à épiler »), tiré d’une histoire ancienne de guérison miraculeuse. Les jours de fête, le chemin menant au temple est encombré d’étalages où l’on vend des articles destinés aux personnes âgées.

Le « Harajuku des mamies », la rue commerçante Jizô-dori, dans l’arrondissement de Sugamo, à Tokyo.
Le « Harajuku des mamies », la rue commerçante Jizô-dori, dans l’arrondissement de Sugamo, à Tokyo.

La fête du setsubun

Setsubun, littéralement « division saisonnière », était le nom utilisé pour désigner le dernier jour de chacune des quatre saisons. Par la suite, le calendrier japonais a fait commencer l’année au risshun (le début du printemps), et le terme setsubun en est venu à s’appliquer uniquement au dernier jour de l’hiver. À setsubun, la coutume veut qu’on lance des graines de soja grillées pour attirer la chance et repousser le mal, représenté par les oni (ou démons). Après quoi les gens mangent le nombre de graines correspondant à leur âge en guise de prière pour une bonne santé.

Les sanctuaires et les temples du Japon perpétuent tout un éventail de traditions de setsubun. Au Naritasan Shinshô-ji de la préfecture de Chiba et au Sensô-ji de Tokyo, les personnages importants qui partagent le même signe du zodiaque de cette année-là sont invités à jeter une grande quantité de graines.

Les lutteurs de sumô Hakuhô et Takayasu jettent des graines de soja lors du setsubun au Naritasan Shinshô-ji de Narita, dans la préfecture de Chiba, le 3 février 2020. (Jiji)
Les lutteurs de sumô Hakuhô et Takayasu jettent des graines de soja lors du setsubun au Naritasan Shinshô-ji de Narita, dans la préfecture de Chiba, le 3 février 2020. (Jiji)

Chaque année a sa direction propice, appelée ehô, désignée conformément à un cycle de 60 termes associant les 12 animaux du zodiaque et les cinq éléments traditionnels. À chaque setsubun, la coutume veut qu’on fasse face à la direction propice et qu’on mange un gros rouleau maki appelé ehômaki.

Les gens qui se livrent à cette pratique sont sensés manger l’intégralité de leur ehômaki en silence tout en se concentrant sur le vœu qu’ils formulent pour l’année concernée. On dit que cette coutume trouve son origine dans la pratique traditionnelle de l’ehômairi, une visite de Nouvel An à un sanctuaire ou un temple situé dans la direction propice. (Voir notre article : Le Japon au fil du calendrier : les traditions du mois de janvier)

La tradition des ehômaki est issue, semble-t-il, d’une coutume apparue au XIXe siècle chez les négociants d’Osaka et destinée a souhaiter la réussite en affaires. En 1977, une association de grossistes de nori (algues séchées) d’Osaka a lancé une campagne de promotion des ehômaki, qui a été reprise par les commerces de proximité et s’est étendue à l’intégralité du territoire japonais

(De gauche à droite) Des graines de soja, un masque de démon (oni) et des rouleaux ehômaki.
(De gauche à droite) Des graines de soja, un masque de démon (oni) et des rouleaux ehômaki.

Le yaikagashi, une autre tradition du setsubun, veut qu’on embroche la tête d’une sardine grillée sur un brin d’olivier sacré et qu’on suspende le tout à l’avant-toit de l’entrée principale de la maison. La raison de cette pratique est la croyance que les odeurs putrides et les objets pointus agissent comme un sortilège contre les mauvais esprits.

Une décoration yaikagashi : une tête de sardine embrochée sur un rameau d’olivier sacré.
Une décoration yaikagashi : une tête de sardine embrochée sur un rameau d’olivier sacré.

Le buri (sériole japonaise)

Le buri, ou sériole japonaise, est désigné au Japon par des noms qui diffèrent selon les étapes de sa croissance. Dans la région du Kansai (Osaka et ses environs), on l’appelle tsubasu, hamachi, mejiro et, pour finir, buri. Dans le Kantô (Tokyo et ses environs), on l’appelle wakashi, inada, warasa et, quand il arrive à maturité, buri. Cette dernière appellation s’applique au poisson lorsqu’il atteint approximativement l’âge de quatre ans. Il se prête à diverses recettes, dont le kanburi (buri d’hiver), le sashimi, le ragoût accompagné de radis daikon ou le pot-au-feu buri-shabu.

Buri (à gauche) ; sashimi de buri d’hiver
Buri (à gauche) ; sashimi de buri d’hiver

Le mizuna

Ce légume-feuille était jadis cultivé en buttes et sans engrais, simplement en faisant couler de l’eau entre les levées de terre, d’où son nom, mizuna, qu’on peut traduire par « légume d’eau ». Du fait qu’il est principalement cultivé à Kyoto, on l’appelle aussi kyôna, qui veut dire « légume de Kyoto ». On le servait traditionnellement en pot-au-feu ou mariné, mais, du fait que son amertume et son parfum ont la capacité d’éliminer les odeurs de viande et de poisson, on l’utilise aussi dans la cuisine occidentale. Sa texture croquante en fait en outre un ingrédient idéal pour les salades.

Mizuna (à gauche) ; harihari-nabe, un pot-au-feu garni de mizuna et de porc.
Mizuna (à gauche) ; harihari-nabe, un pot-au-feu garni de mizuna et de porc.

(Article supervisé par Inoue Shôei, chercheuse sur le calendrier et auteure, prêtresse shintô, professeure invitée à l’université Tôhoku Fukushi. Photo de titre : arbres couverts de givre sur les pistes de ski du mont Zaô, dans la préfecture de Yamagata. Toutes les photos : Pixta, sauf mentions contraires.)

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