Les coutumes japonaises au fil du calendrier

Le Japon au fil du calendrier : les traditions du mois de janvier (« mutsuki »)

Société Histoire Tradition

Mois après mois, de janvier à décembre, de nombreuses anciennes traditions continuent d’imprégner et de rythmer la société japonaise moderne. Accompagné d’illustrations d’époque, notre premier article se penche en détail sur les coutumes du mois de janvier (appelé « mutsuki » dans l’ancien calendrier) et leurs origines.

Première visite au sanctuaire et premières ventes de l’année

Premier jour du premier mois, l’année commence. La toute première visite au sanctuaire de l’année (hatsumôde) occupe les esprits et les conversations. Voyons comment le site internet des sanctuaires shintô de Tokyo explique l’origine de cette fête.

« À l’origine, les croyants faisaient une retraite et passaient ensemble la nuit du 31 décembre (ômisoka) au 1er janvier (gantan), dans le sanctuaire abritant leur divinité tutélaire. Cette pratique était appelée toshigomori (littéralement, la retraite de l’année, ou la retraite du réveillon) ».

Plus tard, ce rituel a été divisé en deux parties, on a distingué la visite au sanctuaire effectuée le dernier jour, de celle du premier jour de l’an. Puis, seul le hatsumôde du 1er janvier s’est perpétué.

À l’époque d’Edo (1603-1868), le terme de hatsumôde n’existait pas encore, on disait ehô-mairi pour parler de cette toute première visite au sanctuaire de l’année, une tradition qui s’était largement diffusée dans toutes les couches de la population.

Or, ehô (parfois dit kippô) désigne la direction propice, de bonne augure. Cette direction porte chance car c’est de là que viennent les toshigami (divinités de l’année). Il convenait à l’époque de se rendre dans les temples ou sanctuaires qui étaient dans cette direction. Voici quel était l’enjeu initial du hatsumôde.

Après l’ère Meiji (1868-1912), les chemins de fer quadrillant désormais le pays, il était devenu possible de parcourir de grandes distances pour s’acquitter de ses dévotions, et le gouvernement poussait les Japonais à voyager. La compagnie ferroviaire nationale avait pour slogan, « Prenez le train, voyagez sur nos rails ! ». Le sens du terme de kippô s’est peu à peu perdu. C’est ainsi que l’expression de ehô-mairi a été délaissée pour être remplacée par le néologisme hatsumôde.

Passons au 2 janvier. C’était le jour de la braderie du quartier de Nihonbashi. De nos jours encore, les grands magasins de tout le Japon conservent cette habitude et à cette date, les clients affluent pour faire l’acquisition des pochettes surprises proposées à la vente. Mais cette coutume remonte en réalité à l’époque d’Edo.

La foule se précipitant à la braderie de Nihonbashi. « Edo au fil du calendrier, 2e jour du 1er mois, la braderie de Nihonbashi » (Ôedo nenchû gyôji no uchi, Shôgatu futsuka, Nihonbashi hatsu-uri), Collections spéciales de la Bibliothèque centrale de Tokyo.
La foule se précipitant à la braderie de Nihonbashi. « Edo au fil du calendrier, 2e jour du 1er mois, la braderie de Nihonbashi » (Ôedo nenchû gyôji no uchi, Shôgatu futsuka, Nihonbashi hatsu-uri), Collections spéciales de la Bibliothèque centrale de Tokyo.

À l’époque, le hatsu-uri (« littéralement premières ventes de l’année ») allait de paire avec les berges de Nihonbashi et son marché du poisson. Les magasins et les restaurants d’Edo, fermés le jour du Nouvel An, ouvraient le 2 janvier. Ainsi, les bons clients qui venaient s’approvisionner ce jour-là se voyaient gratifier, pour leur premier achat de l’année, de saké ou de petits plats en remerciement de leur fidélité et il n’était pas rare que les échoppes soient bondées d’acheteurs passablement ivres.

Ce hatsu-uri était une attraction d’Edo. Il faudra attendre le Grand tremblement de terre du Kantô en 1923 pour que le marché au poisson de Nihonbashi ne déménage à Tsukiji (et depuis 2018, il se situe à Toyosu).

Un duo de comiques : le mikawa manzai

À la télévision, le programme du jour de l’an est une émission de divertissement dont les origines remontent aux mikawa manzai. Cet art traditionnel qui a été inscrit au patrimoine culturel national immatériel du Japon et que l’on disait de bonne augure se pratiquait à Edo en janvier. Pourtant, il est né dans la région des villes de Nishio et Anjô (préfecture d’Aichi). Il est connu sous divers noms, à Nishio on parle de morishita manzai et à Anjô de bessho manzai, mais nous utiliserons ici le terme générique de mikawa manzai.

L’Encyclopédie du Japon (Nihon Daihyakka Zensho, éditions Shôgakukan) le décrit en ces termes : « Le récitant tayû porte un chapeau de type eboshi ainsi qu’un kimono aux larges manches pendantes (hitatare). Le saizô (musicien) qui l’accompagne porte lui le eboshi des samouraïs ainsi qu’un kimono de style suô ». Le tayû a pour accessoire un éventail quand le saizô utilise un tambour. À eux deux, ils allaient de maison en maison, faisant rire les passants avec leurs causeries et leurs accroches comiques. Ils souhaitaient longue vie aux habitants et apportaient la paix dans les foyers grâce à leurs danses et à leurs vœux.

À en juger par la tenue des femmes et des enfants, il semble qu’un duo de mikawa manzai soit en train de se produire dans une résidence de samouraïs. Le tayû est à droite et le saizô à gauche. « Edo au fil du calendrier, les coutumes de janvier, scène de manzai » (Edo Fûzoku Jûnikagetsu no uchi, Shôgatsu Manzai setsu no zu, Bibliothèque nationale de la Diète).
À en juger par la tenue des femmes et des enfants, il semble qu’un duo de mikawa manzai soit en train de se produire dans une résidence de samouraïs. Le tayû est à droite et le saizô à gauche. « Edo au fil du calendrier, les coutumes de janvier, scène de manzai » (Edo Fûzoku Jûnikagetsu no uchi, Shôgatsu Manzai setsu no zu, Bibliothèque nationale de la Diète).

Cet art aurait pour origine une pratique religieuse reliée au taoïsme, car il est vrai que les maîtres de divination taoïstes étaient très écoutés pendant l’époque d’Edo.

Dans les pages de « La chronique de la ville de Nishio », il est écrit que les interprètes du mikawa manzai étaient chargés d’ouvrir les portes du château d’Edo le matin du Nouvel An. D’autre part, la plupart des maisons visitées lors de leur tournée étaient des résidences de seigneurs, ce qui signifie qu’elles étaient placées sous le patronage du shogunat. Rappelons que Tokugawa Ieyasu était originaire de Mikawa.

Après la Restauration de Meiji (1868-1912), le mikawa manzai a certes perduré mais il a rapidement périclité avec le déclin des Tokugawa. Mais ceux qui avaient à cœur de le voir subsister se sont battus pour faire renaître cet art. Grâce à eux la tradition a été préservée, elle est désormais enseignée aux enfants pour que la relève soit assurée.

Yabu-iri, la trêve des commis

Le 11 janvier est le jour du kagami-biraki. On déguste alors dans une bouillie sucrée à base de haricots rouges (shiruko) les boules de riz gluant (kagami-mochi), préalablement coupées (kaki-mochi), ayant servi de décoration du Nouvel An. Jadis, c’était une pratique qui avait cours dans les familles de samouraïs pour se souhaiter une année sans maladies ni fléaux.

On offrait les kagami-mochi aux divinités de l’année. Mais à la fin de la période du Nouvel An, ils étaient mangés afin de profiter des bienfaits que la divinité avait conférés à l’offrande. Du cercle des samouraïs, la pratique a fini par se diffuser au reste de la population.

(À gauche) Sur l’étiquette est représenté un magnifique kagami-mochi exposé dans un magasin. (« Étiquette, kagami-mochi », Hiki-fuda rui kagami-mochi. Source : colbase). (À droite) Devant le tenancier d’un bain public, on distingue sur les petits présentoirs un imposant kagami-mochi ainsi que des o-hineri, des étrennes enveloppées de papier.  (« Historiettes aux bains publics », Kengu irigomi sentô shinwa, Collections de la bibliothèque de la Diète nationale)
(À gauche) Sur l’étiquette est représenté un magnifique kagami-mochi exposé dans un magasin. (« Étiquette, kagami-mochi », Hiki-fuda rui kagami-mochi. Source : colbase). (À droite) Devant le tenancier d’un bain public, on distingue sur les petits présentoirs un imposant kagami-mochi ainsi que des o-hineri, des étrennes enveloppées de papier. (« Historiettes aux bains publics », Kengu irigomi sentô shinwa, Collections de la bibliothèque de la Diète nationale)

Le 16 janvier, les commis qui travaillaient et vivaient chez leur patron bénéficiaient d’un congé et pouvaient rentrer chez eux, on parlait donc de yabu-iri, qui signifie littéralement « entrer dans les fourrés », c’est-à-dire regagner ses pénates. Comme mentionné plus haut, les commerces ouvraient dès le 2 janvier, les employés ne prenaient donc de repos qu’à la mi-janvier, une fois le Nouvel An fini.

(À gauche) Des commis (decchi) en congé rentrant chez eux. (« Coutumes illustrées d’Edo, circulations », Edofu-nai ehon fuzoku ôrai). On les voit sur l’image de droite dans leur dortoir commun, s’apprêtant à profiter de leur rare jour de congé (ils n’en avaient que deux par an). (Kyôkun zen’aku kozô zoroe). Les deux ouvrages sont dans les Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.
(À gauche) Des commis (decchi) en congé rentrant chez eux. (« Coutumes illustrées d’Edo, circulations », Edofu-nai ehon fuzoku ôrai). On les voit sur l’image de droite dans leur dortoir commun, s’apprêtant à profiter de leur rare jour de congé (ils n’en avaient que deux par an). (Kyôkun zen’aku kozô zoroe). Les deux ouvrages sont dans les Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.

Le nombre de jours de congé pouvait varier selon les employeurs, mais selon « Le Manuscrit Morisada » (Morisada Mankô) datant de la fin Edo, les commis n’avaient qu’un seul jour de congé, ce qui ne leur permettait pas toujours de rentrer voir leur famille si leurs parents vivaient au loin. Au pire, ils pouvaient toujours se rendre chez leur garant (père adoptif) habitant à Edo. C’est pourquoi, yabu-iri pouvait également se dire yôfu-iri (qui signifie rentrer dans sa famille adoptive).

Une autre expression proche de yabu-iri est yado-sagari (signifiant retour au logis) et dans les pages du « Manuscrit Morisada » on y lit que « le yado-sagari durait sept jours et sept nuits ». Les personnes servant dans les demeures de samouraïs étaient censées pouvoir prendre de trois à sept jours de congé, mais ce n’était pas le cas des commerçants. Ils étaient nombreux à réclamer au moins trois jours de congé. Dans les faits toutefois, beaucoup n’avaient que deux jours, le 16 janvier et le 16 juillet (pour la fête de O-Bon). Ce manque de congés peut nous paraître choquant vu de notre XXIe siècle, mais c’est ainsi que l’on travaillait jadis. Autres temps, autres mœurs, contrairement au kagami-biraki, cette pratique peu respectueuse des droits des travailleurs a donc disparu.

Laissez-moi vous parler d’une dernière fête qui a de fervents amateurs. Il s’agit du du uso-kae qui a lieu en janvier dans tous les sanctuaires appelés « Tenmangû » du Japon. L’oiseau appelé uso est un peu plus grand qu’un moineau. Or, ce bouvreuil japonais est étroitement associé au personnage historique de Fujiwara no Michizane, un aristocrate et homme d’État pendant Heian (794-1185).

C’est en 901 que, suite à un complot ourdi par son rival politique Fujiwara no Tokihira, Michizane est exilé à Dazaifu. La légende du sanctuaire Tenmangû, rapporte que Michizane fut un jour attaqué par des abeilles et qu’un bouvreuil japonais vint les chasser et lui porter secours. C’est ainsi qu’est né le rituel consistant à demander au bouvreuil (uso) de prendre sur lui les malheurs de l’année passée et de les transformer en « mensonge » (qui se dit uso). L’oiseau symbolise ainsi ce souhait que les mensonges disparaissent et que la nouvelle année soit sous le signe de la chance.

Le 7 janvier, c’est jour de fête au sanctuaire Tenmangû de Dazaifu, mais dans les sanctuaires Tenmangû d’Osaka, Kameido Tenjin et de Yushima Tenjin à Tokyo, les célébrations ont lieu les 24 et 25 janvier. Les adeptes viennent nombreux acheter leur ki-uso, cet adorable petit objet votif ayant la forme un bouvreuil est fait dans le bois d’un arbre qui a abrité des oiseaux.

(À gauche) Le ki-uso du sanctuaire Kameido Tenjin tel que représenté dans le « Manuscrit Morisada ». Sculpté dans du bois de shiraki, les yeux et les ailes sont noirs, le bec vermillon, les flancs verts et l’arrière de la tête de couleur dorée.  (À droite) Les préposés s’attèlent à la réalisation des ki-uso du Kameido Tenjin qui n’ont presque pas changé de forme depuis Edo.
(À gauche) Le ki-uso du sanctuaire Kameido Tenjin tel que représenté dans le « Manuscrit Morisada ». Sculpté dans du bois de shiraki, les yeux et les ailes sont noirs, le bec vermillon, les flancs verts et l’arrière de la tête de couleur dorée. (À droite) Les préposés s’attèlent à la réalisation des ki-uso du Kameido Tenjin qui n’ont presque pas changé de forme depuis Edo.

Autres coutumes importantes du mois de janvier

Nom Date Description
Geigoto-hajime 3/01 Reprise des entraînements et des répétitions, fin de la période de sommeil qui accompagne le Nouvel An.
Kemari-hajime 4/01 Jour du ballon kemari au sanctuaire Shimogamo à Kyoto.
Jinjitsu 7/01 On mange une bouillie de riz aux sept herbes afin d’éloigner les maladies.
Tôka ebisu 10/01 Les marchands se rendent dans les sanctuaires dédiés à Ebisu et prient pour que leur commerce soit florissant.
Koshôgatsu 15/01 On ôte puis brûle les décorations du Nouvel An.
Hatsu Kannon 18/01 Jour dédié aux liens avec Kannon, bodhisattva de Miséricorde.
Hatsu Daishi 21/01 Tous les 21 du mois, on célèbre le trépas de Kûkai (774-835), le fondateur du courant bouddhiste Shingon. Le 21 janvier est la première célébration de l’année de cette date anniversaire.

Comme on peut le constater, les fêtes ne manquent pas au mois de janvier. Certaines pratiques sont certes tombées en désuétude, mais beaucoup sont restées profondément ancrées dans la société japonaise. Cet article était le premier d’une série qui vous fera découvrir, mois après mois, les fêtes du calendrier et vous donnera à voir les croyances et des pratiques culturelles qui rythment le quotidien des Japonais.

Bibliographie

  • « 365 jours dans le quotidien et les croyances du Japon » (Nihon no kurashi to shinkô 365 nichi, Shibuya Nobuhiro / G.B.)
  • « Coutumes du Japon à l’époque moderne IV » (Kinsei fûzoku-shi, Kitagawa Morisada, révisé par Usami Hideki / Iwanami Bunko)
  • « Edo en bref : la vie du petit peuple d’Edo en images de synthèse » (Sarai no edo, CGde yomigaeru edo-shomin no kurashi, Shôgakukan)

(Photo de titre : une rue au deuxième jour du premier mois. À gauche, des interprètes de mikawa manzai, à droite des enfants tenant des raquettes hago-ita, l’homme au centre semble essayer de faire tomber avec un balai le volant qui s’est pris dans une branche. « Les douze mois de l’année selon Hanabusa Itchô : Janvier », Hanabusa Itchô jûnikagetsu no uchi shôgatsu, Collections spéciales de la bibliothèque métropolitaine de Tokyo.)

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