L’eau potable à Edo, le réseau hydraulique d’une ville dotée d’une remarquable technologie

Histoire Environnement

La ville d’Edo, l’ancienne Tokyo, était dotée de remarquables technologies. L’eau abondait dans cette ville parcourue d’un réseau hydraulique qui lui garantissait un approvisionnement intarrissable. À son apogée, elle comptait six voies d’eau, qui l’acheminaient à la capitale par des canalisations souterraines. Les habitants puisaient cette eau potable pour leurs besoins quotidiens dans des puits installés ça et là. Dans cet article, à travers les précieuses illustrations d’un peintre du XIXe siècle, nous allons nous intéresser aux puits et l’alimentation en eau, si indispensables à la vie quotidienne.

Construire un réseau hydraulique souterrain et y raccorder des puits

Le dessin du titre de l’article a été réalisé par Kitagawa Morisada, un commerçant et peintre du XIXe siècle, qui représente le détail d’un quartier marchand d’Edo. On y distingue en bas à droite un puits, mais aussi un étal de légumes où figurent des radis daikon. Cette échoppe est sans doute celle d’un marchand de quatre saisons donnant sur la rue,et le puits servait probablement à laver les légumes proposés à la vente.

Un autre puits figure dans le dessin d’un quartier pavillonnaire. Il est situé juste à l’arrière du portail en bois marquant l’entrée de la demeure. Cette position montre combien les puits étaient indispensables, combien ils jouaient un rôle central dans la vie quotidienne du petit peuple d’Edo.

Illustration du « Manuscrit Morisada » (Morisada Mankô). Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.
Illustration du « Manuscrit Morisada » (Morisada Mankô). Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.

Morisada ne s’est pas contenté de représenter des puits in situ, iI en a également noté en détail le mécanisme.

Nous remarquons généralement la partie supérieure du puits, mais le conduit s’enfonce profondément sous terre. Émergeant du réservoir se dégage un conduit (toi) fait en bambou qui est relié à une canalisation souterraine. Sur son croquis, Morisada mentionne le terme suidô no toi qui signifie conduite d’eau. Le terme « puits » nous fait communément penser à une cavité permettant d’atteindre une nappe phréatique souterraine dont on puise l’eau. Mais à Edo, les puits permettaient de stocker l’eau arrivant de l’extérieur de la cité par des canalisations.

Quand Tokugawa Ieyasu investit la capitale, Edo était un bassin peu profond appelé Hibiya-irie. Ce bras de mer allait jusqu’aux alentours de l’actuel parc Hibiya et du parc du palais impérial (au centre de la capitale). Creusés dans ces basses terres, les puits n’auraient pas permis d’alimenter la ville en eau potable car la teneur en sel aurait été trop forte. Afin de développer le château d’Edo et ses alentours, un approvisionnement en eau était essentiel pour couvrir les besoins quotidiens, Ieyasu a donc lancé la construction d’un vaste réseau hydraulique.

Illustration du « Manuscrit Morisada » (Morisada Mankô). Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.
Illustration du « Manuscrit Morisada » (Morisada Mankô). Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète.

Les conduits étaient en pierre ou en bois. Au bout des canalisations principales faites en pierre se trouvaient des embranchements en bois.

Au Tokyo Metropolitan Waterworks History Museum d’Ochanomizu, à Tokyo, on peut voir exposé un ancien conduit en bois souterrain excavé de la base du puits, qui ressemble trait pour trait au croquis du « puits d’Edo » de Morisada. Il existait alors plusieurs types de conduits en bois, certains étaient cylindriques, d’autres rectangulaires. Sur la photo ci-dessous, on peut en voir un rectangulaire, et ce type de conduit semble avoir été le plus fréquemment utilisé. On peut également observer dans leurs vitrines une canalisation en pierre qui a été reconstituée à partir de vestiges de fouilles réalisées dans le quartier de Hongo.

Chaque conduit mesurait de 2 à 3 mètres de long. Il était relié à un réseau souterrain de canalisations qui courait sous toute la cité d’Edo. Ce réseau hydraulique résulte d’un travail titanesque effectué dans la ville.

Conduit en bois exposé au Tokyo Metropolitan Waterworks History Museum.
Conduit en bois exposé au Tokyo Metropolitan Waterworks History Museum.

Réservoir souterrain situé à la base du puits, exposé au Tokyo Metropolitan Waterworks History Museum.
Réservoir souterrain situé à la base du puits, exposé au Tokyo Metropolitan Waterworks History Museum.

L’eau qui s’écoulait par le conduit était stockée dans les réservoirs situés à la base de chaque puits. Les habitants d’Edo se partageaient cette eau pour leurs besoins quotidiens.

Potable, l’eau était bue, mais elle servait également à laver le linge, prendre des bains, cuire le riz, faire la cuisine, ou refroidir les légumes.

Vers la fin de l’époque d’Edo paraît une parodie de la célèbre compilation de poèmes intitulée « De cent poètes, un poème » (Hyakunin Isshu). Dans ce « Manuel de jeux de mots illustré » (Jiguchie tehon) écrit par Baitei Shôfu, on peut voir une habitante d’un quartier pavillonnaire en train de laver du riz. Sur l’image, elle est seule, mais le puits était souvent un lieu partagé. On se retrouvait dans ce lieu de convivialité pour faire la cuisine ou laver le linge et on y bavardait entre voisins. C’est d’ailleurs de là que vient l’expression japonaise de « réunion de puits » (ido-bata-kaigi) qui signifie « commérage ».

« Manuel de jeux de mots illustré De cent poètes, un poème » (Hyakunin Isshu Jiguchie tehon). Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)
« Manuel de jeux de mots illustré De cent poètes, un poème » (Hyakunin Isshu Jiguchie tehon). Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Edo n’était pas la seule à disposer d’un tel réseau. En effet, il y en avait aussi à Nagoya, Sendai, Kanazawa et dans d’autres villes, mais seuls les habitants d’Edo se faisaient une fierté de pouvoir utiliser l’eau courante pour le « premier bain » du nouveau-né. Cela donne une idée de leur côté cabotin.

À Edo, la qualité de l’eau faisait l’objet d’un contrôle strict

Comme les puits étaient un bien public dans la cité, les habitants en assuraient tous ensemble l’entretien. Au 7e jour du 7e mois sacré, « jour du nettoyage du puits », tous venaient s’en occuper : l’eau était pompée, les feuilles et autres débris retirés puis les parois nettoyées.

Mais ce nettoyage n’était pas sans danger. Il y avait donc des artisans spécialisés chargés de superviser cette tâche. Sous leur houlette, tous les habitants d’Edo faisaient cet entretien, le même jour, chacun dans son quartier. Homme, femme, jeunes, anciens, tous devaient participer. De nos jours il suffit d’ouvrir le robinet pour avoir de l’eau pure, jadis, tous devaient coopérer pour faire en que les puits restent propres.

Comme nous le mentionnions plus haut, Edo était parcourue de canalisations. mais combien y en avait-il au juste? Le Jôsuiki (Registre shogunal traitant de l’alimentation en eau promulgué en 1791), décrit par le menu le réseau hydraulique souterrain de la cité.

L’illustration ci-dessous représente la zone du pont Ryûkan (près de l’actuel échangeur de Kanda-bashi sur la voie rapide de Tokyo).

Jôsuiki, Archives nationales du Japon
Jôsuiki, Archives nationales du Japon

Les douves du château d’Edo sont en bleu clair et la partie grisée au milieu de la route, le long des douves, marque l’emplacement d’une canalisation souterraine. Comme il s’agit d’un embranchement à une canalisation principale, le conduit était en pierre. Ces ouvrages hydrauliques semi-permanents étaient appelés man’nen sekihi, c’est-à-dire littéralement « conduites en pierre pouvant résister mille ans ».

Ce réseau d’approvisionnement en eau était principalement constitué de deux systèmes de canalisations. Le premier allait de Yotsuya au château d’Edo en passant par Kôji-machi quand le deuxième courait de Yotsuya au centre ville d’Edo en passant par Toranomon.

L’aqueduc (kakehi) d’Ochanomizu situé aux alentours de Kanda, est l’un des sites que Hiroshige a choisi de représenter dans ses « Sites célèbres de la capitale » (estampes de type ukiyo-e).

L’aqueduc qui enjambe le cours d’eau est à l’origine du toponyme de Suidôbashi signifiant littéralement « pont-canalisation ». Il a également donné son nom à la gare éponyme donnant sur le Tokyo Dome.

Utagawa Hiroshige, « Sites célèbres de la capitale de l’Est : Ochanomizu » (Tôto meisho : Ochanomizu no zu). Bibliothèque nationale de la Diète.
Utagawa Hiroshige, « Sites célèbres de la capitale de l’Est : Ochanomizu » (Tôto meisho : Ochanomizu no zu). Bibliothèque nationale de la Diète.

Là, se tenait en faction un « gardien de l’eau » qui avait pour rôle de contrôler la qualité de l’eau.

Ce dernier ramassait les détritus passant au fil de l’eau et surveillait que rien d’illégal ne soit jeté en dressant notamment des écriteaux « Interdiction de jeter des déchets » afin que l’eau reste la plus pure possible. De nos jours, on dirait de lui qu’il est un agent municipal responsable de l’entretien des réseaux d’eau potable et de l’assainissement.

L’eau qui passait par cet aqueduc alimentait les quartiers de Kanda, Nihonbashi et autres poumons économiques d’Edo. Garantir la qualité de l’eau était une nécessité absolue.

Les Japonais ont très tôt bénéficié d’un réseau hydraulique de qualité et ils ont pris l’habitude de prendre grand soin de cette ressource vitale.

(Photo de titre : illustration du « Manuscrit Morisada » [Morisada Mankô]. Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)

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