Tokyo de jadis et d’aujourd’hui, à travers estampes et photographies

Ukiyo-photo Cent vues d’Edo [11] : le quartier de Kanda et ses origines

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Le photographe Kichiya immortalise les lieux de Tokyo qui sont peints sur la célèbre série d’estampes d’Utagawa Hiroshige Cent vues d’Edo, du même point de vue, sous le même angle, et pendant la même saison. « Kanda Konya-chô » (« Le quartier des teinturiers d’indigo à Kanda ») est la 75e entrée de la série. Ici l’on pouvait trouver le quartier des teinturiers de pièces de coton, mais aussi les toutes dernières tendances en matière de mode vestimentaire. Aujourd’hui, c’est un simple quartier de bureaux à la sortie Est de la gare de Kanda.

Le quartier des artisans du textile où l’on venait flairer les dernières tendances de la mode

Le quartier a conservé son nom depuis le début de l’ère d’Edo, quand les teinturiers d’indigo sur coton s’y installèrent. Les jours de beau temps, les pièces de tissu fraichement teint étaient mises à sécher en enfilades de hautes et harmonieuses bannières. Le spectacle en était déjà célèbre du temps de Hiroshige.

Les très nombreux tissus teints qui étaient commercialisés comme yukata (kimono d’été) ou tenugui (pièce de coton à tout faire) particulièrement chics faisaient la réputation du quartier : quiconque voulait se tenir informer des dernières tendances de la mode n’avait qu’à s’intéresser aux dernières productions de Konya-chô. La qualité irréprochable des cotons teints de Konya-chô était si réputée que tout tissu produit ailleurs était qualifié de « ba-chigai », c’est-à-dire littéralement « pas du bon endroit ». Ce serait de là que viendrait cette expression toujours courante aujourd’hui, et qui pourrait se traduire aussi comme « inconvenant » ou « déplacé ».

Utagawa Hiroshige, Cent vues d’Edo, n°75 : « Kanda Konya-chô » (Le quartier des teinturiers d’indigo à Kanda)

Les motifs des tissus sur la droite de l’estampe sont des créations de Hiroshige lui-même : celui qui porte le caractère « poisson » (魚) reprend l’enseigne de Totoya Eikichi, marchand d’estampes et éditeur des Cent vues d’Edo ; le motif de losange sur la pièce juste à côté présente en katakana les caractères « hi » (ヒ) et « ro » (ロ) : c’est le blason de Hiroshige lui-même. Cette habile et élégante intégration de la publicité de son commanditaire dans l’espace pictural est typique du « chic » d’Edo.

Les tissus teints mis à sécher en plein air dans le quartier sont restés un motif artistique typique bien après l’ère Meiji (1868-1912), et si j’en crois un ami qui a grandi à Kanda, on en voyait encore jusque dans les années 1970. Étrangement, quand on se promène dans ces rues aujourd’hui, aucune réminiscence d’artisans teinturiers ou de production textile ne subsiste dans les alignements actuels d’immeubles de toutes tailles. Sur l’avenue Shôwa-dôri, regardant dans la direction du mont Fuji, j’ai vu la bâche blanche de protection d’un chantier de construction à droite. J’en ai tiré parti pour ma photo, comme une allusion aux tissus qui flottaient à cet endroit même dans le passé.

Kanda (Jinbô-chô, Akihabara)

Au nord de l’actuelle rue Ôdenma-honchô jusqu’au sud de la rue Kuramaebashi-dôri, une large zone était appelée Kanda à l’époque d’Edo. Délimité à l’est et à l’ouest par la rivière Kanda, le quartier se divisait en Uchi-Kanda (« Kanda intra-muros ») au sud et Soto-Kanda (« Kanda extra-muros ») au nord. Des résidences de samouraïs occupaient essentiellement la partie ouest de Uchi-Kanda, alors que les artisans, commerçants et habitants ordinaires se trouvaient dans la partie ouest et Soto-Kanda.

À partir de l’ère Meiji, plusieurs universités se sont installées dans l’ancien district des grands seigneurs, à l’ouest d’Uchi-Kanda, d’où les nombreuses librairies d’occasion qui existent encore de nos jours à Jinbô-chô. De nombreux magasins d’instruments de musique et d’articles de sport se trouvent également entre Surugadai et Jinbôchô, témoignant de l’importante population étudiante de cette époque.

Également au début de l’ère Meiji, un large espace ouvert en guise de protection contre les risques d’incendie était aménagé à Kanda-Hanaoka-chô, l’un des districts de Soto-Kanda, ainsi que le sanctuaire Chinkasha, littéralement « le sanctuaire extincteur de feu », dédié à la divinité Akiba-daigongen pour protéger la ville des incendies. La zone fut rapidement appelée Akiba-no-hara (« la plaine d’Akiba ») qui devint le fameux Akihabara. De lieu de marché noir après la guerre à quartier commerçant de matériel électrique dans les années 60, Akihabara est aujourd’hui la Mecque de la culture « otaku ».

Cent vues d’Edo

Les Cent vues d’Edo sont à l’origine un recueil d’estampes ukiyo-e (« peintures du monde flottant »), l’un des chefs-d’œuvre d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), qui eut une énorme influence sur Van Gogh ou Monet. De 1856 à 1858, l’année de sa mort, l’artiste se consacre à la réalisation de 119 peintures de paysages d’Edo, alors capitale shogunale, au fil des saisons. Avec ses compositions audacieuses, ses vues « aériennes » et ses couleurs vives, l’ensemble est d’une extraordinaire créativité et est acclamé depuis lors comme un chef d’œuvre dans le monde entier.

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