Tokyo de jadis et d’aujourd’hui, à travers estampes et photographies

Ukiyo-photo Cent vues d’Edo [9] : les feux d’artifice de Ryôgoku

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Le photographe Kichiya immortalise les lieux de Tokyo qui sont peints sur la célèbre série d’estampes d’Utagawa Hiroshige Cent vues d’Edo, du même point de vue, sous le même angle, et pendant la même saison. Nous sommes ici devant la 98e entrée de cette série : « Les feux d’artifice de Ryôgoku ». Une estampe empreinte d’une forte émotion de l’esthétique d’Edo, quand les feux d’artifice traditionnels, appelés wabi, déployaient essentiellement une beauté éphémère et modeste, bien éloignée du déluge de couleurs des feux d’artifice actuels.

Un feu d’artifice pour terminer la saison estivale

À l’époque d’Edo, les bateaux privés étaient autorisés à naviguer pendant les trois mois de l’été sur la partie urbaine de la rivière Ôkawa (qu’on appelle aujourd’hui le fleuve Sumida). Le 28e jour de la 5e lune (autour de début juillet selon le calendrier actuel), une cérémonie marquait l’ouverture de la rivière, puis une autre sa fermeture, le 28e jour de la 8e lune. À Ryôgoku, quartier alors réputé lorsque l’on cherchait de la fraîcheur en plein été torride, les feux d’artifice étaient lancés à trois reprises pendant la saison : une fois le premier jour, une fois au milieu de la saison, et une fois le dernier jour. Dans le recueil des Cent vues d’Edo de Hiroshige, cette image appartient à l’automne, il s’agit donc bien du feu d’artifice de clôture de la saison.

L’estampe présente le côté ouest de Ryôgoku, vu de l’amont de la rivière vers l’aval. Les berges que l’on aperçoit au loin sont celles des environs de Fukagawa, où se trouvait le port à sec du shogunat. La 28e nuit du calendrier lunaire tombait toujours un jour sans lune, ce qui offrait les conditions idéales pour un feu d’artifice réussi.

La photo, elle, a été prise de l’aval du pont de Ryôgoku, un soir de grand feu d’artifice. Il m’a fallu un téléobjectif pour avoir dans le cadre à la fois le pont de Ryôgoku et une grande image de feu d’artifice, alors que le lieu de tir est très éloigné. Cela rendait impossible d’avoir le pont dans toute sa longueur comme sur l’estampe, mais je pouvais au contraire capter la fébrilité des spectateurs. Aujourd’hui, j’aurais pu prendre des feux d’artifice multicolores, mais il m’a semblé préférable d’immortaliser un feu d’artifice sobre, plus à même de faire ressentir l’esthétique d’Edo.

Utagawa Hiroshige, Cent vues d’Edo, n°98 : « Les feux d’artifice de Ryôgoku »

Le grand festival de feux d’artifice du fleuve Sumida

À l’époque d’Edo, si vous cherchiez à jouir d’un air frais en plein été, c’était dans le quartier de Ryôgoku que vous vous rendiez. Pendant les trois mois d’été, du 28e jour de la 5e lune au 28e jour de la 8e lune, les établissements qui d’ordinaire vendaient à boire et à manger jusqu’au coucher du soleil, étaient autorisés à ouvrir toute la nuit, et pouvaient même affréter des barques sur la rivière. Le premier jour de cette saison, la rivière était ouverte par un rite dédié au dieu de l’eau, et un premier feu d’artifice était alors lancé.

L’origine de ces feux d’artifice remonte au 9 juillet 1733, à l’époque de Yoshimune, 8e shôgun Tokugawa. L’objectif premier de cet événement était de repousser les démons qui avaient causé tant de victimes de la famine et du choléra l’année précédente.

Bien que le festival ait connu des interruptions, il se poursuivit néanmoins jusqu’en 1961. Puis, de 1961 à 1977, il fut suspendu, du fait des mauvaises odeurs qui montaient de la Sumida, pour cause de pollution de l’air et de l’eau (voir notre article sur le fleuve Sumida). En 1978, quand la qualité de l’eau se fut de nouveau bien améliorée, le « festival de feux d’artifice du fleuve Sumida » ressuscita. Il est aujourd’hui tiré chaque année, le dernier samedi de juillet. Environ 20 000 bombes illuminent le ciel nocturne lors de ce festival, incontestablement l’un des symboles de Tokyo, auquel assistent chaque année près d’un million de personnes.

Cent vues d’Edo

Les Cent vues d’Edo sont à l’origine un recueil d’estampes ukiyo-e (« peintures du monde flottant »), l’un des chefs-d’œuvre d’Utagawa Hiroshige (1797-1858), qui eut une énorme influence sur Van Gogh ou Monet. De 1856 à 1858, l’année de sa mort, l’artiste se consacre à la réalisation de 119 peintures de paysages d’Edo, alors capitale shogunale, au fil des saisons. Avec ses compositions audacieuses, ses vues « aériennes » et ses couleurs vives, l’ensemble est d’une extraordinaire créativité et est acclamé depuis lors comme un chef d’œuvre dans le monde entier.

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