Ce que révèle l’arrière-plan du meurtre d’un collégien de Kawasaki

Société

Le meurtre particulièrement cruel d’un collégien de Kawasaki a ébranlé tout l’Archipel en février dernier. Mais le milieu social de la victime et de ses agresseurs met au jour un empilement de graves problèmes de la société japonaise actuelle, parmi lesquelles les familles monoparentales, la pauvreté, ou encore le manque d’une vraie politique d’immigration au Japon.

Des jeunes déconnectés de la société

Le 20 février à l’aube, le corps nu d’Uemura Ryôta, un collégien âgé de 13 ans, a été découvert sur les berges de la rivière Tamagawa à Kawasaki. Après l’avoir contraint à nager dans l’eau glacée de la rivière, ses agresseurs l’ont attaqué au visage avec un cutter, lui infligeant une blessure profonde et fatale au cou. Des menottes en plastique ont été retrouvées à proximité, et il avait des bleus aux genoux. La police en a déduit qu’il a subi ces violences agenouillé, pieds et poings liés. Trois mineurs ont été arrêtés pour ce meurtre d’une cruauté extrême. « A », le leader du groupe, fut arrêté pour homicide volontaire. Âgé de 18 ans, sans profession après avoir cessé de fréquenter le lycée, « A » vivait avec son père, sa mère de nationalité philippine, et ses frères et sœurs. « B », 17 ans, ancien camarade de classe de « A » au collège et « C », d’un an le cadet et originaire d’un autre collège ont aussi été arrêtés pour homicide involontaire. La mère de « C » est aussi de nationalité philippine et elle élève seule ses enfants.

La victime était le deuxième de cinq enfants d’une famille monoparentale. Quand il avait cinq ans, ses parents s’étaient installés sur l’île de Nishinoshima dans l’archipel d’Oki au large des côtes de Shimane, car son père voulait devenir pêcheur. Ses parents se sont séparés lorsqu’il était en troisième année d’école primaire, et il est arrivé à Kawasaki avec sa mère et ses frères et sœurs deux ans plus tard. Il était entré au collège en avril 2014 mais dès l’été dernier, il avait cessé de participer aux entraînements du club de basket du collège et s’était mis à passer beaucoup de temps avec des jeunes plus âgés que lui. Il a fait connaissance avec « A » et ses deux amis en décembre dernier et avait cessé d’aller en classe depuis janvier. Une photo prise à cette époque le montre avec un hématome au visage, résultant de la violence de « A ».

Lorsque j’ai appris que des jeunes ayant des origines philippines étaient impliqués dans cette affaire, ma première réaction, purement intuitive, a été : « cela a fini par arriver... »

De 2004 à 2008, j’ai enquêté sur les enfants qui vivent au Japon et qui ont au moins un parent non-japonais. Les délits que commettent ces mineurs sont liés à l’échec de leur intégration dans la société. Depuis plusieurs années, la situation des enfants de mères philippines, et plus précisément leurs problèmes langagiers, leurs difficultés à se maintenir dans le système scolaire, leurs conflits avec leurs parents qui résultaient de la façon dont ceux-ci les élevaient dans une violence proche de la maltraitance, me préoccupaient. J’en avais pris conscience et je me rendais compte que même les personnes leur offrant une aide ne comprenaient pas suffisamment tout cela. Les dispositifs spécifiques pour aider ces enfants à s’intégrer étaient par ailleurs indigents.

La pauvreté des familles monoparentales constitue un grave problème pour la société japonaise. Les enfants élevés dans la pauvreté ont du mal à s’y intégrer parce qu’elle ne leur consacre que très peu de ressources.

Pour moi, le crime de Kawasaki montre avant tout que les carences politiques du Japon d’aujourd’hui rejaillissent à travers ces meurtres atroces d’enfants les plus fragilisés.

Les Philippines de Kawasaki, des « newcomers »

Quelles sont les difficultés auxquelles se heurtent les mères de familles monoparentales ?

Après la veillée funèbre, la mère de la victime a rendu public, par l’intermédiaire de son avocat ce commentaire : « Je n’étais pas au courant de ce que faisait mon fils parce que je pars travailler le matin avant qu’il ne soit l’heure pour lui d’aller au collège, et je rentre tard. » De nombreuses mères célibataires et des personnes qui les soutiennent ont exprimé leur sympathie pour ces propos.

Le taux de pauvreté relative des familles monoparentales japonaises, dont 85 % sont dirigées par une femme, est de 54,6 %. Autour de 80 % des mères célibataires travaillent. Elles qui cumulent parfois deux emplois pour faire vivre leur famille n’ont que très peu de temps à passer avec leurs enfants, et cela nuit à leur éducation.

Plusieurs facteurs sont à l’origine de leur pauvreté : l’augmentation rapide du nombre de familles monoparentales, une politique de l’emploi qui privilégie le travail masculin, parce que les hommes sont vus comme les soutiens de famille, au détriment du travail féminin traité comme accessoire, ou encore le développement de l’emploi précaire.

Ce n’est pas non plus un hasard si ce crime a eu lieu dans l’arrondissement de Kawasaki, dans la ville du même nom. C’est dans cet arrondissement qui fait partie de la zone industrielle qui s’étend de Tokyo à Yokohama que sont venues s’installer dès avant la guerre des personnes de multiples origines.

En mai dernier, dix hommes ont perdu la vie dans l’incendie de deux foyers d’hébergement de cet arrondissement. Ils étaient des travailleurs âgés démunis après avoir contribué à la croissance économique rapide connue par le Japon d’après-guerre, qui bénéficiaient de l’aide sociale. Cet établissement est situé non loin du quartier où « A » et ses complices, ainsi que leur victime, avaient l’habitude de traîner. Il faut aussi savoir que 5 % des résidents de l’arrondissement de Kawasaki n’ont pas la nationalité japonaise. Ce sont pour partie des oldcomers (Coréens du Japon ou autres personnes originaires d’anciennes colonies japonaises installées dans le pays depuis avant la guerre et leurs descendants), mais aussi des newcomers, c’est-à-dire des étrangers arrivés au Japon à partir des années 1980.

L’église catholique de Kaizuka, qui se trouve dans ce quartier, offre tous les dimanches après-midi une messe en langue anglaise, à laquelle assistent deux à trois cents étrangers, dont 80 % sont des femmes philippines. Arrivées au Japon entre la fin des années 80 et le début des années 90, avec des visas d’artistes professionnelles, elles se sont ensuite mariées avec des hommes japonais et ont ainsi obtenu le statut de conjoints de citoyens japonais. Lorsqu’on parle de « migrantes », le terme désigne particulièrement ces femmes de nationalité philippine, tout comme les mères des deux agresseurs d’Uemura Ryôta.

Ce meurtre a beaucoup affecté les mères philippines de l’arrondissement de Kawasaki. Voici ce que m’a confié l’une d’entre elles, Maria (prénom modifié), qui élève seule son fils de dix ans : « Ça a été un choc pour moi. Je bénéficie de l’aide sociale, mais j’ai toujours travaillé autant que je le pouvais, pour ne pas en dépendre. Après ce crime, cependant, j’ai décidé de moins travailler, afin de pouvoir dîner tous les jours avec mon fils, lui parler et vérifier qu’il a fait ses devoirs. J’ai raté l’éducation de mon aîné, mais je veux réussir celle de mon cadet. »

Les difficultés de Maria, très prise par son travail précaire et mal payé, sont identiques à celles des femmes japonaises qui élèvent seules leurs enfants.

Un enfant de mère philippine expulsé du Japon

Maria avait 20 ans lorsqu’elle est arrivée au Japon en 1990 avec un visa d’artiste professionnelle. Son père venait de mourir et elle voulait aider sa mère et ses jeunes frère et sœurs. Ses deux jeunes sœurs ont pu aller à l’université grâce à l’argent qu’elle envoyait à sa famille.

Elle a d’abord travaillé dans un « bar à Philippines » où elle a rencontré un homme japonais qui avait 30 ans de plus qu’elle, avec qui elle a eu son fils aîné. Le père de son enfant ne l’ayant pas épousée, elle a perdu son statut d’artiste professionnelle, et elle est rentrée aux Philippines. Lorsque son fils avait deux ans, elle l’a confiée à sa famille et elle est revenue travailler au Japon. Elle a à nouveau trouvé un emploi dans un bar, et a rapidement eu une relation avec un monteur d’échafaudage, dont la mère ne voulait pas qu’il l’épouse. Elle s’est à nouveau retrouvée sans papiers. Son compagnon et elle ont créé une petite entreprise, avec l’argent gagné par Maria comme fonds de roulement. Elle travaillait énormément. Si les femmes philippines continuent à travailler même lorsqu’elles ont fondé une famille, c’est pour envoyer de l’argent au pays. Presque toutes les Philippines installées au Japon le font.

À l’âge de 37 ans, Maria est tombée enceinte et s’est mariée, obtenant ainsi le statut de conjoint de citoyen japonais. Elle a pu faire venir auprès d’elle son aîné qui avait alors 11 ans. Dès son entrée au collège, il a commencé à fuguer fréquemment. Il séchait les cours et passait son temps avec des camarades dans la même situation que lui, avec qui il commettait des vols à la tire et des cambriolages. Maria voyait son fils de moins en moins. Par plusieurs fois, elle sut enfin où il se trouvait grâce à la police.

Il est devenu père à 17 ans mais s’est rapidement séparé de la mère de son enfant. Arrêté pour vol à la tire juste au moment du renouvellement de son visa, il a été expulsé du Japon vers les Philippines.

À la même époque, Maria était revenue aux Philippines avec son cadet. L’entreprise qu’elle avait créée avec son mari avait périclité dans la crise de 2008 et son mari voulait que leur fils apprenne l’anglais à l’école philippine. Maria avait ouvert un salon de coiffure en employant une coiffeuse et y a mis au travail son aîné après son retour. Pendant cinq ans, elle a ainsi vécu entre le Japon et les Philippines avant de décider l’an dernier de revenir s’installer au Japon avec son cadet. Elle ne voulait pas que son enfant perde contact avec la culture et la langue japonaise. Peu de temps après son retour, elle a décidé de divorcer en raison du comportement violent de son mari.

La violence conjugale à l'origine de traumatismes chez l’enfant

Maria avait été exposée presque quotidiennement à la violence physique ou verbale de son compagnon dès le début de leurs relations. Mais ce n’est que lorsque son cadet lui a dit, à l’âge de dix ans : « Maman, ça suffit. Quittons cet homme ! » qu’elle s’est décidée à divorcer.

Cette décision a réjoui plus encore son fils aîné qui vit aux Philippines. Il avait vu sa mère subir les coups de son beau-père dès le moment où il était venu la rejoindre au Japon à l’âge de 11 ans. Son beau-père le battait aussi. Loin de le protéger, Maria le frappait parfois aussi. Troublée par la violence de son mari, elle était incapable de supporter toute désobéissance de la part de ses fils. Son aîné n’a jamais trouvé sa place dans sa famille recomposée, alors que, selon la jeune sœur de Maria qui s’occupait de lui aux Philippines, il avait été un enfant qui parlait facilement à tout le monde tant qu’il habitait là-bas.

Confronté à la violence, il s’est replié sur lui-même et a trouvé un refuge auprès de jeunes délinquants. Maria, elle, n’avait personne à qui parler de ses problèmes.

« Aux Philippines, on pense que les femmes qui se marient avec des Japonais ont de la chance. Je n’avais pas le courage de dire à ma mère ou à mes sœurs que mon mari me battait », explique-t-elle.

Elle n’osait même pas en parler à ses amies philippines du Japon, car elles souffraient elles-mêmes de problèmes similaires et préféraient parler de choses plus plaisantes quand elles se voyaient.

Quand on ne trouve pas les mots...

La violence chasse l’amour-propre et engendre la honte. Cette honte devient un rempart qui entraîne l’isolement.

Maria n’est pas la seule femme étrangère battue par son mari japonais. Les hommes japonais qui épousent des femmes venues d’autres pays d’Asie sont souvent des travailleurs manuels et des hommes plus âgés que leurs conjointes. Ils sont eux-mêmes rarement issus de milieux privilégiés. Certains ont probablement grandi dans des milieux où les femmes n’étaient pas considérées comme les égales des hommes et ils apportent dans les familles qu’ils créent ce mépris des femmes et leurs préjugés vis-à-vis du reste de l’Asie.

La manière dont fonctionne un couple a nécessairement des répercussions sur l’éducation de ses enfants. Cela peut aussi conduire à des problèmes d’acquisition du langage. Il faut tenir compte des difficultés langagières qu’ont ces enfants nés et grandis au Japon, qui ne semblent pas à première vue avoir de difficultés à communiquer au quotidien.

Les pères japonais sont souvent peu présents dans l’éducation des enfants. Un père qui ne parle pas anglais ou tagalog impose le japonais chez lui. Mais si la mère ne maîtrise pas suffisamment cette langue, ses enfants ne pourront pas développer leur vocabulaire. À l’école, ils rencontreront des mots qu’ils ne connaissent pas et n’arriveront pas à suivre. Ils ne parviendront pas non plus à communiquer profondément avec leur mère. L’école pour sa part ne réfléchit pas à la raison des mauvais résultats de ces enfants et ne fait rien pour les aider à surmonter leurs problèmes.

Je connais un exemple de garçon élevé dans des circonstances similaires. Il ne disposait pas des mots qui lui aurait permis de faire une introspection ou d’exprimer ses sentiments. Après le collège, ce garçon s’enferma dans sa chambre et n’en sortit plus. Il avait le désir de travailler, mais la société lui faisait peur. Pris par des crises d’angoisse, il devenait brusquement très violent. Ayant observé sa mère se faire battre par son père durant son enfance, il s’en voulait de ne pas pas avoir pu la protéger, et contenait en lui une profonde colère contre son père. Il connut aussi la discrimination raciale depuis le plus jeune âge à l’école. Après ses accès soudains de violence, il n’arrivait pas à se souvenir de ce qui les avait provoqués. Cette incapacité à mettre des mots sur des sentiments est une souffrance insupportable.

Un autre jeune né aux Philippines, venu au Japon à l’âge de deux ans lorsque sa mère s’est remariée m’a confié qu’il avait été battu par son beau-père et les autres membres de sa famille. Sa mère n’était pas assez forte pour le protéger. À l’école, il avait aussi été maltraité par ses camarades mais il n’avait pas pu en parler à sa mère. Au collège, il avait mal tourné, mais il avait ensuite réussi à se rétablir et avait pu entrer au lycée. Aujourd’hui, il travaille comme conducteur d’engins de chantier, un métier qui lui plaît. Mais il m’a confié qu’il vivait en permanence derrière un masque qui cachait sa colère. Je lui ai demandé ce qui la suscitait, mais il n’a pas réussi à mettre des mots sur ses sentiments.

Le divorce, une décision difficile

La violence entraîne la violence. La personne qui la déchaîne contre un autre en a probablement elle-même été victime, ou a vécu dans une famille où elle existait.

« A », le mineur leader dans le crime de Kawasaki, a dit que petit, lorsque ses parents commençaient à se battre, il attendait à l’extérieur que leur querelle se termine. Si les femmes philippines se séparent difficilement de leurs maris même lorsqu’elles sont battues, c’est d’abord, pour Maria, parce qu’elles sont catholiques et que le divorce n’est pas admis par cette religion. « Et elles ont aussi peur de ne pas arriver à élever leurs enfants seules. Certaines vivent au Japon depuis plus de 20 ans et ne comprennent toujours pas le japonais. Celles-ci, bien plus que les autres, ne croient pas être capables de s’occuper seules des démarches et renoncent au divorce.»

Maria a pu prendre cette décision parce qu’elle était retournée aux Philippines, loin de la violence, et qu’elle avait retrouvé sa santé mentale. Ayant quitté à 20 ans sa famille pour venir travailler dans un bar au Japon, elle n’a guère eu l’occasion d’emmagasiner des connaissances sur la vie, mais quand elle est retournée vivre dans son pays, dans un contexte familier, elle a appris à vivre malgré la pauvreté.

Le jour où son mari l’a fait tomber du haut de l’escalier, elle décida d’appeler la police. On lui apprit l’existence d’une assistance municipale aux victimes de violences conjugales, dont elle a ensuite bénéficié. Cela lui a permis d’avoir accès à l’aide sociale, et de louer un appartement en son nom propre. Il faut du courage pour solliciter l’aide des organismes publics. Certaines victimes de violences ne le trouvent pas et laissent le temps passer sans rien faire.

L’accueil des immigrants au Japon varie selon leurs origines

À la fin de l’année 2014, le Japon comptait 2 121 831 résidents étrangers. Leur nombre a augmenté d’un peu moins de 3 % en un an. Le Japon n’a pas de politique migratoire et il a comblé ses besoins de main-d’œuvre étrangère avec des mesures ad hoc. C’est pour cette raison que le statut des étrangers installés au Japon varie selon leurs origines.

Les personnes d’origine japonaise, venant notamment de pays d’Amérique du Sud, ont souvent le statut de résident permanent dont peuvent bénéficier les enfants et petits-enfants d’un ressortissant japonais, ainsi que leur conjoint. Comme ce statut leur permet d’exercer n’importe quelle profession, ils peuvent travailler en usine par l’intermédiaire des agences d’intérim. Il y a eu jusqu’à 310 000 Brésiliens installés au Japon, mais depuis la crise monétaire de 2008, leur nombre baisse, et ils ne sont plus qu’environ 175 000 aujourd’hui. Les Chinois, eux, ont des statuts divers, conjoints de citoyens japonais, étudiants, ou encore stagiaires techniques. Les Vietnamiens ont souvent le statut de réfugiés ou de stagiaires techniques.

Formellement, le statut de stagiaire technique est un dispositif conçu pour contribuer à l’aide au développement en permettant aux jeunes de pays en développement d’étudier la technologie avancée du Japon. Mais le Japon, qui ne cache pas le fait qu’aucune politique migratoire n’a été adoptée, s’en sert en réalité pour faire venir des travailleurs manuels. Cette pratique est vivement critiquée au Japon comme à l’étranger parce qu’elle constitue un vivier de travail illégal. Actuellement, le gouvernement tente d’élargir ce système en prolongeant les durées de séjour, ou encore en autorisant les « stagiaires » à quitter le Japon et à y revenir, dans le but de disposer de la main-d’œuvre indispensable à la construction des infrastructures pour les Jeux olympiques de 2020. Une fois encore, il ne s’agit pas d’une politique migratoire.

Quelque 80 % des Philippins installés au Japon sont des femmes. Autrefois, elles avaient pour la plupart des visas d’artistes professionnelles, mais aujourd’hui, le statut le plus fréquent chez elles est celui de conjoints de citoyens japonais. Comme la qualité de leur vie dépend des relations qu’elles ont avec leur époux dans leur foyer, il est difficile d’appréhender la situation de l’extérieur. Il y a bien sûr des couples qui vivent en bonne entente et s’occupent bien de leurs enfants. Mais une fois que leurs relations conjugales ne tiennent plus, il n'est pas rare que les épouses aient du mal à bénéficier des aides qui existent du fait qu'elles ont des problèmes de langue.

Lorsque j’ai commencé à enquêter sur les résidents étrangers au Japon en 2004, les mesures gouvernementales les concernant étaient quasiment inexistantes. Il y avait de grandes différences selon le lieu de séjour. Parfois les autorités locales, confrontées à de réels besoins, avaient mis en place des programmes d’aide. Par la suite, le nombre de collectivités locales cherchant à favoriser le multiculturalisme a progressé, et elles ont pris des mesures répondant aux besoins de ces nouveaux habitants : garantie de scolarisation pour les enfants d’âge scolaire, services de conseils aux étrangers, cours de japonais langue étrangère, mise à disposition d’interprètes pour les rendez-vous médicaux, ou encore aménagements de l’environnement éducatif accordant plus d’attention aux différences culturelles et linguistiques.

Mais il n’y a toujours pas de coordination au niveau national. Grandes sont les différences entre les régions en matière de soutien à l’apprentissage du japonais des enfants d’âge scolaire.

Il est grand temps de lancer une politique migratoire

Voilà maintenant plus d’un quart de siècle que des newcomers ont commencé à s’installer au Japon, et leurs enfants arrivent graduellement à l’âge adulte. La deuxième génération commence à s’intégrer à la société japonaise.

Parmi eux, certains ont réussi à surmonter leurs handicaps et occupent des emplois stables dans différents secteurs de la société. Lorsqu’on regarde de plus près leur parcours, on s’aperçoit qu’ils ont eu dans leur vie un ou plusieurs adultes qui ont pensé à leur avenir, que ce soit leurs parents ou un enseignant. Ceux-là ont acquis la force de croire en la société.

Cependant, la société a échoué dans cet effort d’intégration avec d’autres. Une personne qui s’est longtemps occupé de soutien aux migrants m’a dit : « Les enfants commencent à établir des liens en fonction de leur classe sociale, et non de leur race. Un groupe se crée spontanément entre ceux qui se sentent exclus de la société, et ensuite ils n’ arrivent pas à en sortir. »

Revenons à présent au meurtre de Kawasaki. La victime, qui n’était pas suffisamment protégée par ses parents ou la société, a fait la rencontre de « A » et de ses camarades. Par la suite, il a confié à un de ses amis que les trois garçons s’étaient montrés encore plus violents avec lui quand il leur avait dit qu’il ne voulait plus les voir, qu’il n’en pouvait plus, et qu’ils allaient peut-être le tuer.

Les médias ont rapporté que le petit Ryôta était aimé sur l’île où il habitait avant de venir à Kawasaki, ainsi qu’à Kawasaki. « A », le leader du groupe, n’a probablement pas accepté que le jeune garçon quitte le groupe et retourne dans sa classe sociale. Dans le mois qui a précédé le meurtre, il l’avait durement battu à plusieurs reprises. Des amis de Ryôta qui en étaient choqués ont pressé « A » de lui présenter des excuses. Celui-ci a déclaré qu’il ne supportait pas l’idée que le jeune garçon ait des amis.

Le jeune « A » a dirigé contre Ryôta ses accès de violence, mais n’exprimait-elle pas la haine qu’il ressentait face à son incapacité à se trouver une place dans la société ?

La population japonaise est vieillissante. Elle diminue aujourd’hui de 220 000 personnes par an, et le pays a besoin d’accueillir des étrangers. Pour cela, il faut une politique qui tienne compte de l’avenir des enfants de ces immigrants…

Offrir une place dans la société à ces personnes venues de l’étranger pour leur permettre d’y exister ne signifie pas seulement protéger leurs droits humains, c’est aussi important pour la stabilité de la société japonaise. Il est urgent de trouver une politique migratoire qui confronte ces questions .

(D’après un original en japonais du 20 mai 2015. Photo de titre : l'endroit où le corps d'Uemura Ryôta a été découvert. Kawasaki, 24 février 2015. Jiji Press.)

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