Takaichi Sanae : une ligne conservatrice sur les traces d’Abe Shinzô ?

Politique

Première femme à prendre les rênes du gouvernement japonais, Takaichi Sanae a fait table rase de son alliance avec le Komeitô et choisi de se rapprocher du Nippon Ishin no Kai, formation de droite. Peut-on dire que son parti, le PLD, est celui d’un conservatisme belliciste, qui va au-delà d’un simple retour à l’ère Abe Shinzô ? C’est à cette question que s’est intéressé Sakaiya Shirô, un analyste politique de l’Université de Tokyo.

Former une coalition qui trouvera écho auprès du camp conservateur

Le mois d’octobre dernier, l’échiquier politique japonais a connu un tournant historique. Le 7 septembre, le Premier ministre Ishiba Shigeru a annoncé qu’il quittait ses fonctions de chef du gouvernement et de président du Parti libéral-démocrate. Ce coup de théâtre a entraîné une redistribution des cartes dans la sphère politique nippone ; le PLD a choisi un nouveau dirigeant et les formations d’opposition ont redéfini leurs alliances pour parvenir à un gouvernement de coalition potentiellement viable à la Diète (le parlement japonais).

Takaichi Sanae, qui a remporté la course à la présidence du PLD, cherche à former un gouvernement conservateur, prônant les politiques d’Abe Shinzô, Premier ministre de 2006 à 2007 et de 2012 à 2020. Maintenant que le Komeitô a quitté le navire, pourtant un partenaire de coalition de longue du PLD, la modération n’est plus à l’ordre du jour. Son gouvernement sera résolument conservateur, plus conservateur que ceux d’Abe Shinzô. S’étant présentée comme l’option conservatrice dure, elle risque maintenant de perdre le soutien de ses partisans principaux si elle ne parvient pas à poursuivre dans cette voie, un élément qui l’aligne davantage avec le parti Nippon Ishin no Kai (Parti japonais pour l’innovation), qui a lui aussi besoin de continuer à s’affirmer en tant que force conservatrice.

Conséquences : les politiques de Takaichi Sanae, à savoir renforcer la sécurité au Japon sur la scène internationale et réviser la Constitution du pays, ne rencontreront que peu d’opposition de la part du nouveau partenaire de coalition. Ce nouveau gouvernement sera donc plus motivé à poursuivre une ligne conservatrice. Même avec un Premier ministre aussi puissant qu’Abe Shinzô, le PLD se heurtait à l’opposition du Komeitô, contre la révision de la Constitution. Et si la situation reste peu ou prou la même aujourd’hui — pas de personnage politique de la majorité des deux tiers dans les deux chambres du Parlement souhaitant voter pour un amendement du texte fondamental — le nouveau gouvernement sera cependant encore plus encouragé que ses prédécesseurs à entamer le processus d’élaboration d’amendements qui redéfiniront les réponses du Japon en cas de crise sur la scène internationale.

À plus long terme, le PLD dirigé par Takaichi Sanae devra faire face à une nouvelle élection avant de pouvoir évaluer la perte du Komeitô en tant que partenaire. Pour l’heure, il semble toutefois que la gestion de la politique de la coalition sera plus facilitée par un partenaire avec des idées plus proches.

Le parti Nippon Ishin no Kai (ci-après, Ishin), bien sûr, est né de la scission du PLD. Après le mandat du réformiste Koizumi Jun’ichirô (2001-2006), alors que le parti s’éloignait une nouvelle fois de la voie des réformes, le parti Ishin a pris forme à Osaka, où il est apparu comme un groupe politique local en 2010, qui avait à cœur de continuer à porter ce drapeau. Quinze années plus tard, ce groupe est revenu du côté du PLD, pour ainsi dire, sur la scène nationale. Cette évolution n’a rien de nouveau dans l’histoire de la politique japonaise, les membres du Nouveau club libéral se sont éloignés des Libéraux-Démocrates dans les années 1970, pour s’en rapprocher à nouveau dix ans plus tard, tout d’abord sous la forme d’une coalition, puis en réintégrant complètement le parti en lui-même. Les membres du parti Ishin pourraient suivre une évolution similaire, si leur propre parti se retrouvait mis à mal sur le futur échiquier politique du pays.

Un pas avant sur la question de l’égalité des sexes… ou pas ?

Takaichi Sanae est la première femme à prendre les rênes du gouvernement en tant que Première ministre du Japon. Pour autant, elle n’a pas cherché à construire sa stratégie politique sur cette position unique, un facteur qui a affaibli son soutien parmi ceux qui souhaitent éradiquer la discrimination homme-femme dans la sphère politique japonaise.

Je pense que son arrivée au pouvoir est une étape significative pour le Japon. Les mauvais classements du Japon concernant l’égalité homme-femme dépendent en grande partie d’indices numériques superficiels, loin de se baser sur des faits qui rendent compte de la réalité politique. De ce point de vue, cependant, la venue d’une femme au sein du Kantei (le Bureau du Premier ministre) peut être une étape importante pour établir de nouvelles bases.

Plus concrètement, un environnement politique capable d’accepter et de promouvoir des femmes leaders avec des pensées féministes fait toujours cruellement défaut au Japon, tout du moins comparé à d’autres pays dans le monde. Et cela est confirmé par des sondages d’opinion internationaux et par les résultats sortie des urnes ici. À noter qu’en 2024, lors de la course pour le poste de gouverneur de Tokyo, Renhô, qui serait généralement considérée comme une candidate bénéficiant du soutien des féministes, a fait pâle figure face à ses opposants.

Attribuons la valeur de 0 au Japon du passé, où aucune femme n’avait jamais été au pouvoir, et la valeur de 1 à un pays avec une femme résolument féministe à sa tête. Même avec Takaichi Sanae devenue cheffe du gouvernement, je pense que le Japon n’obtiendrait toujours que la valeur de 0,1 ou 0,15 en termes d’égalité des sexes. Considérer, ou non, sa nomination comme révolutionnaire dépend de la façon dont nous percevons cette progression graduelle. En d’autres termes : positive ou non.

Dans une large mesure, la nomination de Takaichi Sanae à la tête du parti repose sur l’impact qu’elle a eu en tant que symbole du fait que le PLD se forgeait une nouvelle position, loin du conservatisme dominant qui avait été celui de la sphère politique japonaise. Cela n’aurait pas été possible si son principal rival, Koizumi Shinjirô, avait pris les rênes du pouvoir. Ce dernier aurait prôné une continuité des politiques majeures du gouvernement précédent d’Ishiba Shigeru.

Il faut reconnaître que le PLD attribue en grande partie ses pertes lors des élections à la Chambre des conseillers en juillet 2025 à la capacité du Sanseitô à s’accaparer les votes des partisans conservateurs les plus durs du parti. Cela conduit logiquement à la conclusion selon laquelle le PLD a besoin de prendre en compte les opinions des membres de droite afin de consolider son soutien électoral. Le parti s’opposant à des questions telles que la possibilité pour les couples mariés d’utiliser des noms de famille différents, il est difficile en termes de politiquement correct, pour un candidat de sexe masculin, de se présenter et de défendre les causes conservatrices au cœur du parti. Au contraire, des candidates féminines telles que Takaichi Sanae peuvent se mettre en avant et apparaître comme un choix plus sûr pour faire avancer les choses dans ces domaines.

Des idéologies différentes

Ce que nous appelons « système de partis politiques » est une description des schémas que prennent les rivalités entre partis dans un espace donné. Il comprend notamment des facteurs tels que le nombre de partis impliqués, les idéologies qu’ils soutiennent et la façon dont ces dernières les positionnent les uns par rapport aux autres.

Au Japon, dans les années 1980, lorsque le PLD contrôlait le gouvernement à travers son parti unique, avec une majorité des sièges au Parlement, il y avait un cadre pour sa coopération avec des groupes centristes tels que le Komeitô et le Parti social-démocrate, également soutenu par la gauche avec des partis tels que le Parti socialiste et le Parti communiste. La situation actuelle pourrait donc finir par devenir similaire, avec le PLD et le Parti Ishin au sein de la coalition, dans le cas comme dans l’autre fortement opposés à cette coalition sous la forme du Parti démocrate constitutionnel et des Communistes à gauche et les forces centristes du Komeitô et du Parti démocrate pour le peuple disposés entre les deux.

Sous le gouvernement d’Abe Shinzô (2012-2020), nous avons connu ce qui a souvent été appelé le « néo-système de 1955 », avec un PLD dominant et de vastes fossés idéologiques entre le parti au pouvoir et les principales forces d’opposition. Les formations au pouvoir ont vu le nombre de leurs sièges au Parlement se réduire drastiquement lors des élections qui ont eu lieu pendant le gouvernement Ishiba (2024-2025), et le parti au pouvoir dominant ainsi que le principal parti d’opposition ont évolué pour se rapprocher du centre, estompant les différences entre eux. La montée en puissance de Takaichi Sanae signale un retour à une position idéologique plus clairement démarquée pour le PLD, mais ce dernier ne peut plus dépendre d’une position clairement supérieure en termes de nombre de sièges au Parlement, ce qui signifie que cet arrangement ne peut plus être décrit comme proche de la configuration de 1955. Si le PLD est un parti minoritaire au Parlement, il jouit toujours d’une position significativement plus forte que ses opposants en termes de nombre. Nous ne sommes donc pas parvenus à une situation véritablement multipolaire avec plusieurs partis de niveau similaire.

Le « système de 1955 » qui a prévalu pendant une grande partie de l’après-guerre et le « néo-système de 1955 » des années 2010 reposent sur des fondations communes : l’opposition entre le camp conservateur, qui faisaient des questions constitutionnelles et de défense son principal refuge d’un côté, et un camp plus progressiste de l’autre. Ce cadre est toujours d’actualité, en faisant une pierre angulaire de l’histoire de la politique japonaise.

Au final, le processus qui a permis à Takaichi Sanae d’accéder au poste de Première ministre cette année a été de pouvoir confirmer, d’une autre manière, la nature durable de cette dynamique. Un duo potentiel qui aurait numériquement pu donner naissance à une coalition différente au pouvoir, impliquant le Parti démocrate du peuple (PDP) et le Parti démocrate-constitutionnel du Japon (PDC), n’a jamais vu le jour, car comme le chef du PDP, Tamaki Yûichirô, l’a clairement indiqué, les deux partis ne sont pas parvenus à trouver un terrain d’entente sur des questions telles que la révision de la Constitution, la défense et le nucléaire. Les divergences entre le camp conservateur et le camp progressiste se sont une nouvelle fois fait ressentir de façon très concrète.

La politique migratoire, un nouveau champ de bataille

Dans le cadre de son accord avec le parti Ishin, qui a pour objectif de mettre en place sa nouvelle relation de coopération avec le PLD, Takaichi Sanae a accepté sa proposition de réduire le nombre de membres au Parlement. Examinons ensemble les différentes significations en jeu ici.

Tout d’abord, la véritable question, qui est la nécessité de s’attaquer aux connexions entre l’argent et la politique, est un sujet qui est pour l’instant mis sous le tapis. Amender la Loi sur le contrôle des fonds politiques de manière significative est un défi important, et non des moindres, pour le PLD, donc modifier la composition du système parlementaire est une façon de donner l’impression de prendre des mesures sans, dans les faits, le faire. Par ailleurs, si les sièges qui doivent être supprimés relèvent du scrutin proportionnel au Parlement, il sera plus facile pour le PLD d’amoindrir la pression électorale, une préoccupation des plus pressantes étant donné le succès des nouveaux partis mineurs à s’accaparer des sièges par un vote massif plutôt que dans des circonscriptions individuelles. De ce point de vue, l’accord est en effet des plus sages pour les Libéraux-Démocrates.

En même temps, cependant, avec un plus petit nombre de sièges, il sera plus difficile de corriger les déséquilibres dans la valeur attribuée aux votes entre les circonscriptions à faible ou à fort nombre d’électeurs. De plus, une simple réduction du nombre de membres au Parlement ne sera que peu efficace pour s’attaquer aux dépenses excessives sur le plan budgétaire. Les formations d’opposition pourraient trouver difficile de dire non à ces propositions de réformes de peur d’être accusées de seulement vouloir conserver les sièges qu’elles ont déjà. Mais franchement, je ne vois guère d’intérêt dans des efforts de réforme qui relèvent de l’autosacrifice, qui ne procureront qu’un moment de satisfaction fugace aux électeurs.

Parmi ceux dont l’objectif est de parvenir à un système politique bipartite durable au Japon, réduire la représentation à la proportionnelle au Parlement en faveur d’un accent davantage mis sur des circonscriptions uninominales est une idée plutôt séduisante. N’importe quel argument en faveur d’une réforme du système politique, quel qu’il soit, peut être facilement identifié selon ceux à qui bénéficieront les changements proposés. Il n’existe pas de réforme objectivement correcte dans le cas d’un système électoral. Toutes les idées apportées au débat sont directement liées aux calculs partisans des partis eux-mêmes.

Les réformes électorales entreprises par le Japon dans les années 1990 étaient relativement drastiques. Néanmoins, elles ont mené à un système où le PLD conservait toute sa puissance, et les changements de pouvoir eux aussi étaient rares. Je pense que l’une des raisons fondamentales de cette nature inchangée du système ne réside pas dans les questions relatives au système électoral mais dans le format inflexible des divergences entre les idéologies conservatrices et progressistes, en premier lieu en ce qui concerne les questions liées à la réforme de la Constitution.

Le nouveau gouvernement de Takaichi Sanae est le premier gouvernement ouvertement de droite au Japon en cinq ans, lorsqu’Abe Shinzô a pris le pouvoir en 2020. Étant donné l’ouverture du parti Ishin, partenaire de coalition, à la question de l’amendement de la Constitution, le PDP ne faisant pas partie du gouvernement, la nouvelle Première ministre n’a guère à perdre en en faisant un thème clé de ses futures négociations politiques. Une autre question qui pourrait de façon similaire servir de pierre de touche démarquant clairement les camps conservateur et progressiste du débat sera une législation plus stricte à l’égard des résidents étrangers au Japon.

En effet, l’augmentation du nombre d’étrangers qui viennent vivre et travailler au Japon a longtemps été une préoccupation dans la société au sens large, creusant un fossé entre les perceptions des électeurs et la sphère politique élite qui a choisi, pour l’heure, de ne pas se concentrer sur cette question. De nouvelles forces politiques ont ainsi pu se développer en utilisant les réseaux sociaux en tant qu’outil pour gagner en notoriété à ce sujet. Aujourd’hui, contrairement à l’époque où Abe Shinzô était au pouvoir, les réseaux sociaux sont un canal encore plus puissant pour façonner et orienter des mouvements politiques comme celui-ci.

De manière générale, une division plus marquée entre les positions conservatrice et progressiste en politique finit par fragmenter l’opposition et renforcer la mainmise du PLD conservateur. D’aucun surveilleront comment le PDC répondra aux provocations sur le front politique sous la forme de propositions bellicistes du gouvernement de la nouvelle Première ministre. Si ces réponses impliquent une orientation plus forte du côté gauche de l’échiquier politique, le PDC pourrait pour ainsi dire devenir aussi inefficace que les Socialistes, rendant encore plus improbable la possibilité pour lui de revenir au pouvoir.

(D’après un entretien réalisé par Koga Kô, directeur éditorial de Nippon.com. Photo de titre : la Première ministre Takaichi Sanae lors d’une conférence de presse au Kantei, à Tokyo, après son entrée en fonction le 21 octobre 2025. AFP/Jiji)

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