Le b.a.-ba du Japon

« Tenshu » : le donjon, symbole de la puissance des seigneurs du Japon

Architecture Histoire

L’image que les gens se font d’un château japonais aujourd’hui est sans aucun doute liée à la structure imposante de son donjon, le tenshu. Penchons-nous sur ce symbole de la puissance des anciens grands seigneurs du Japon.

D’un mécanisme défensif à un symbole d’autorité

Le tenshu, ou donjon, était en fait la plus grande tour de guet (yagura), située dans l’enceinte principale d’un château japonais. De là, il était possible de voir l’ennemi approcher de loin. C’était aussi un point stratégique d’où les archers pouvaient tirer sur les envahisseurs.

Si le château de Gifu avait déjà une imposante yagura en 1569, ce n’est que sept ans plus tard que le seigneur Oda Nobunaga a incorporé une grande tour appelée tenshu dans son château d’Azuchi. Il a associé pour ce terme l’idéogramme 天 (qui signifie « ciel ») et 主 (qui signifie « maître »). Mais par la suite, tous les autres donjons utiliseront comme second idéogramme 守 (qui veut dire « protecteur »), donc 天守.

Les archives de l’époque indiquent que le tenshu du château d’Azuchi était à six niveaux, plus un sous-sol. Le dernier étage était de forme carré, mesurant trois ken (5,45 mètres) de chaque côté. Il était entouré d’un balcon appelé mawari-en, ornée d’un kôran, une balustrade décorative pour empêcher les chutes. On présume que cet étage était le lieu de vie d’Oda Nobunaga. Toute la structure était conçue dans le style d’architecture résidentielle shoin-zukuri, utilisé dans les demeures militaires de la fin de l’époque Muromachi (1333-1568).

Quand il évoque le tenshu du château d’Azuchi dans son œuvre « Histoire du Japon », le missionnaire portugais Luís Fróis écrit : « Cette structure est plus majestueuse et raffinée que les forteresses d’Europe, et admirer le donjon du château d’Azuchi, même de très loin, remplit mon cœur de joie. »

Ce texte illustre l’objectif de Nobunaga dans la construction de cette structure. Autrement dit, il s’est éloigné de l’idée du donjon comme mécanisme défensif à l’état pur, et en a fait un symbole de son autorité. Le château d’Azuchi était une vitrine pour Nobunaga qui se voyait déjà en maitre absolu et transformait au fur et à mesure ses terres en royaume à travers la conquête du Kinai, les anciennes provinces autour de Kyoto.

En 1582, le château est passé brièvement entre les mains d’Akechi Mitsuhide après la défaite et la mort de Nobunaga dans l’incident du Honnô-ji, mais il l’a perdu presque aussitôt au combat contre Toyotomi Hideyoshi. L’édifice a fini détruit dans un incendie. Il reste néanmoins encore quelques vestiges ainsi que la pierre angulaire du donjon. Des tuiles recouvertes de feuilles dorées ont été découvertes lors de fouilles. (Voir notre article : Les vestiges du château d’Azuchi, construit par le seigneur Oda Nobunaga)

Ce document serait la plus vieille illustration en existence des ruines du château d’Azuchi. Elle figure dans le Nihon kojô ezu gôshû azuchi kojô-zu, une carte illustrée d’anciens châteaux japonais créée vers le milieu ou la fin de l’époque d’Edo. (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Ce document serait la plus vieille illustration en existence des ruines du château d’Azuchi. Elle figure dans le Nihon kojô ezu gôshû azuchi kojô-zu, une carte illustrée d’anciens châteaux japonais créée vers le milieu ou la fin de l’époque d’Edo. (Collections de la Bibliothèque nationale de la Diète)

L’évolution de la construction du donjon : le château d’Osaka et le château d’Edo

C’est Toyotomi Hideyoshi qui a pris la relève en bâtissant le château d’Osaka, demandant à ses daimyô (seigneurs) de mettre 50 000 personnes à sa disposition pour la construction du donjon, qui s’est achevée en 1585, trois ans après le décès de Nobunaga.

En examinant des œuvres d’époque tels que le paravent Osaka no jinzu byôbu qui représente le donjon du château d’Osaka lors des campagnes d’été de 1615, la structure semblerait avoir cinq étages, mais elle en avait en fait sept. Les deux premiers étages avaient des toits triangulaires dans le style appelé irimoya-zukuri. Les étages au-dessus étaient construits de manière à bien apercevoir les alentours.

L’extérieur du château était en noir et or, les murs enduits de multiples couches de laque noir brillant et présentant des décorations métalliques. Certaines tuiles étaient minutieusement sculptées, d’autres recouvertes de feuilles d’or. Toute cette dorure était la signature du style de Hideyoshi.

L’édifice est cependant tombé entre les mains de Tokugawa Ieyasu après les batailles de la campagne d’été de 1615. Mais le shogunat a entrepris de le reconstruire en 1620, une tâche achevée neuf ans plus tard. Tout ce qui rappelait la puissance de Hideyoshi a été détruit ou enseveli, et les anciens matériaux n’ont pas été utilisés, même pour reconstruire les murs ishigaki. Le fameux tenshu de Hideyoshi a de ce fait complètement disparu. Ce n’est que lors de fouilles menées en 1984 que l’on a redécouvert une partie des murs de l’époque.

Un donjon a par ailleurs aussi été érigé au château d’Edo. qui était devenu le siège du shogunat des Tokugawa. Sa hauteur a été estimée à 68 mètres, soit dix mètres de plus que le château d’Osaka après sa reconstruction : il était en effet impensable qu’Osaka surpasse Edo. Le tenshu étant le symbole de la puissance du maître, celui d’Edo se devait d’être le plus haut. Il existe toutefois des opinions divergentes sur la hauteur de ces tenshu.

L’aspect extérieur du château d’Edo a de même été transformé avec la reconstruction, afin de démontrer que le pouvoir était maintenant entre les mains des Tokugawa. Durant la période du premier shôgun, Ieyasu, les murs étaient blancs, enduits à la chaux, un contraste absolu avec le noir et or du tenshu de Hideyoshi.

Les rênes du pouvoir des Tokugawa étaient transmises de manière héréditaire, le château était alors rebâti sous chaque nouveau shôgun. Si celui de Ieyasu incorporait une tour de guet, son successeur, Hidetada, a tout détruit pour édifier un tenshu avec une tour de guet indépendante, mais toujours enduite de chaux blanche.

Ce document est un plan structural du tenshu de l’enceinte principale du château d’Edo, bâti en 1638 sous le troisième shôgun, Iemitsu. (Edojô go-honmaru go-tenshukaku tatekata no zu, avec l’aimable autorisation de la salle des collections spéciales de la Bibliothèque centrale métropolitaine de Tokyo)
Ce document est un plan structural du tenshu de l’enceinte principale du château d’Edo, bâti en 1638 sous le troisième shôgun, Iemitsu. (Edojô go-honmaru go-tenshukaku tatekata no zu, avec l’aimable autorisation de la salle des collections spéciales de la Bibliothèque centrale métropolitaine de Tokyo)

Le troisième shôgun, Iemitsu, a lui aussi démoli pour de nouveau reconstruire le château. Cette fois-ci, les pignons triangulaires hafu attachés au toit étaient recouverts de cuivre, tout comme les murs ainsi que les tuiles, ce qui rendait le tout bien plus résistant qu’avec une couverture à la chaux.

Iemitsu est décédé le 20 avril 1651 ,et la coutume voulait que le tenshu soit rebâti. Mais Edo a été dévasté par des incendies lors du terrible séisme de Meireki en 1657, détruisant le donjon. Il ne sera jamais remis sur pied. Tout ce qui subsiste du donjon d’Iemitsu est la fondation de son château d’Edo, encore visible aujourd’hui.

Interdiction de rebâtir de nouveaux tenshu

Il a déjà été mentionné que Nobunaga avait été le premier à utiliser le mot tenshu (天主 « maître du ciel »). Les édifices érigés par Nobunaga, Hideyoshi et les Tokugawa ont tous gardé ce symbolisme qui liait le donjon avec un pouvoir absolu. On constate qu’après la prise du pouvoir par les Tokugawa sur tout le Japon, des puissants chefs de guerre comme les Shimizu, les Kuroda et les Date n’ont plus érigé de tenshu pour cette raison.

En 1615, le shogunat a promulgué le buke shohatto, une série d’édits qui règlementent tous les aspects de la vie des seigneurs des fiefs (daimyô). Entre autres, ils n’avaient plus le droit d’édifier de nouveaux châteaux, et devaient obtenir l’autorisation du shogunat avant de réparer les structures existantes. Il n’était ainsi plus possible de construire de nouveaux tenshu à moins que ce ne soit un travail de réparation.

Il ne reste plus que douze châteaux au Japon qui ont conservé leur tenshu d’origine. Ils ont pour la plupart été bâtis avant la loi de 1615, ou ont été réparés après cette date.

Cependant, des sanjû yagura, ou tours de guet à trois niveaux, étaient parfois construites au lieu d’un donjon et jouaient ce rôle de manière officieuse. C’est le cas pour le château de Hirosaki, l’un des douze d’origine, qui a été construit en 1810 en tant que sanjû yagura (décrit dans la documentation officielle comme gosankai yagura, qui signifie également « tour de guet à trois étages »). C’est aussi le cas pour le château de Marugame, dans la préfecture d’Ehime.

Le tour de guet à trois niveaux (sanjû yagura) du château de Hirosaki, officieusement tolérée par le shogunat des Tokugawa. (© Pixta)
Le tour de guet à trois niveaux (sanjû yagura) du château de Hirosaki, officieusement tolérée par le shogunat des Tokugawa. (© Pixta)

Il existait un donjon au château de Kanazawa, le siège du clan Maeda dans le domaine de Kaga (la préfecture d’Ishikawa de nos jours) mais après sa destruction dans un incendie en 1602, c’est une sanjû yagura qui a été érigée à sa place sur les mêmes fondations. Celle-ci a également brulé et n’a jamais été reconstruite par égard pour le shogunat des Tokugawa.

(Photo de titre : le château d’Osaka, construit par Toyotomi Hideyoshi, tel que représenté dans le paravent Osaka natsu no ji zu. Avec l’aimable autorisation du Musée du château d’Osaka.)

histoire architecture château