Petit-déjeuner à la japonaise

Le petit déjeuner d’une légendaire brasserie de saké, à Obuse

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La petite ville d’Obuse est située dans la préfecture de Nagano, à l’ouest de Tokyo, avec en paysage de fond, les célèbres « cinq sommets du nord de Shinano ». Obuse peut aussi se vanter d’abriter l’une des plus anciennes et des plus distinguées brasseries de saké du Japon : Masuichi-Ichimura, établie en 1755. À partir de novembre jusqu'en mars (la saison brassicole), la brasserie offre également le gîte et le couvert à un groupe d'artisans qualifiés alors qu’ils se consacrent avec le plus grand soin aux défis quotidiens de la fabrication du saké.

Un petit-déjeuner avec d’éminents brasseurs de saké

La fabrication du saké est un processus complexe et exigeant. Les brasseurs sont organisés selon une hiérarchie, avec au sommet le tôji, ou maître brasseur, assisté du kashira. De rang inférieur, nous trouvons des artisans spécialisés dans les divers éléments de la fabrication du saké : pour n’en citer que quelques-uns, le kôjiya, responsable de la culture du ferment de riz kôji, le motoya, responsable de la levure, le sendô supervise le pressage et le seimaiya, surveille le polissage du riz. Tous ces artisans sont regroupés sous le nom de kurabito, hommes de cave. Ces processus nécessitent une coordination parfaite pour produire les quatre marques haut de gamme de la brasserie, chacune avec sa recette unique : Hekiiken (junmai daiginjô), Kôzan (junmai daiginjô), Square One (junmai), et Hakkin (yamahai junmai brassé dans un tonneau de bois).

Dans ce contexte, les repas du personnel jouent un rôle crucial, non seulement pour apporter aux kurabito l’énergie dont ils ont besoin, mais également pour structurer leur journée de travail. Dans la salle à manger de la brasserie Masuichi-Ichimura, les artisans se rassemblent autour du kotatsu (une table chauffante) pour prendre leurs repas et en profiter pour renforcer les liens avec l’équipe.

Les kurabito se lèvent avant l’aube pour partager le petit-déjeuner tous ensemble, avant de commencer leur longue journée.

La période de fabrication du saké dans le nord de la préfecture de Nagano a lieu de novembre à mars.

Il faut des années de travail acharné pour maîtriser les techniques de fabrication du saké. La brasserie à saké Masuichi-Ichimura est l’une des rares brasseries japonaises à accepter des femmes et des kurabito étrangers avides d’apprendre le métier.

La convivialité sinon rien

Après un petit-déjeuner léger, les employés se régalent du déjeuner et du dîner préparés par le personnel du restaurant Obusedô, situé dans l'enceinte de la brasserie. Au menu du repas d’aujourd’hui : du porc grillé au gingembre (shôgayaki), l'omelette sucrée et roulée à la japonaise (tamagoyaki), des légumes de saison bouillis (ohitashi), des radis macérés (tsukemono) et une soupe bien chaude à base de lies du saké (kasujiru) avec du porc et des légumes.

De gauche à droite : shôgayaki, tamagoyaki, kasujiru, ohitashi et tsukemono

Un vétéran kurabito sert le maître brasseur, ou tôji.

Le dîner, sans surprise, est accompagné de saké. L’heure du dîner se termine à 18 heures précises, heure à laquelle l’équipe commence à se préparer pour les tâches du lendemain, en s’inspirant du programme de travail affiché sur le mur.

Ichimura Tsugio, seizième génération à la tête de la brasserie Masuichi, se souvient des repas avec le personnel quand il était écolier, il y a près de 60 ans. À l’époque, c’était la femme du propriétaire qui était en charge de la préparation de tous les repas du personnel.

« Chaque année, la veille du Nouvel An, notre famille avait coutume de s’asseoir et de manger avec tous les kurabito. C’est comme ça que les choses se passaient pendant mes années à l'école. »

Fabriquer du saké de qualité supérieure

Depuis, beaucoup de choses ont changé, tant pour Masuichi que pour l’industrie du saké en général. Dans les années 1960, alors que les grands fabricants se développaient grâce aux nouvelles méthodes de production en série et de machines modernes, les brasseurs locaux ont subi une pression croissante et un grand nombre d’entreprises de petite taille n’y ont pas survécu. Ces pressions se sont intensifiées à mesure que la consommation de saké japonais entrait dans une phase de déclin généralisé vers le milieu des années 1970. Bientôt, même d'anciens établissements tels que Masuichi étaient confrontés à une crise existentielle. Dans les années 1990, ils firent face à un dilemme : mettre les bouchées doubles pour une production en série et concurrencer les grands fabricants, ou alors exploiter le marché en pleine croissance des boissons de luxe en se concentrant sur le saké artisanal haut de gamme. Masuichi a choisi la deuxième option.

« Chaque saké que nous vendons sous sa propre marque doit avoir une saveur unique », explique Ichimura Tsugio. « Nous n'utilisons que du riz à saké de qualité supérieure, même pour le kakemai(*1) utilisé pour la préparation de la mixture principale. On ne peut pas vraiment dire que notre méthode soit des plus rentables. Mais la valeur ajoutée apportée à notre saké, elle, fait la différence. »

L’entrée de Masuichi Honten, la boutique de saké de Masuichi-Ichimura

Le bâtiment de style japonais est l’œuvre de l’architecte américain John Morford.

L’intérieur unique de la boutique attire de nombreux clients, dont certains s’aventurent même à goûter les sakés.

(*1) ^ Le kakemai désigne le riz cuit à la vapeur ordinaire qui est mélangé à du ferment de riz et au démarreur de fermentation, pour en faire le moût principal. Certaines brasseries de saké utilisent du riz à saké de qualité supérieure shuzô-kôtekimai pour la préparation du ferment de riz, mais le mélangent avec une grande quantité de riz ordinaire pour faire le pied de cuve.

Une importance touristique cruciale

La brasserie à saké Masuichi-Ichimura joue un rôle très important dans le tourisme de la ville d’Obuse. En plus d’un magasin de sakés et d’un bar de dégustation, elle comprend notamment une auberge haut de gamme et plusieurs restaurants. Les visiteurs peuvent acheter des confiseries aux marrons à Obusedô, un établissement installé aux côtés de la brasserie depuis l'ère Meiji (1868-1912), assister à la réalisation des confiseries et dîner au restaurant Obusedô, qui sert les repas des employés. Ils peuvent également flâner dans Kuri no Komichi, une charmante allée en bois de châtaignier, les menant à travers un jardin de bambous attenant à la résidence imposante de Masuichi-Ichimura.

Le restaurant Obusedô a commencé à préparer des repas pour les kurabito il y a quelques années, après que la femme qui avait préparé les repas du personnel pendant de nombreuses années a décidé qu'il était temps pour elle de prendre sa retraite. Les salles privées où les artisans sont logés pendant la saison de fabrication du saké sont l’œuvre de l'architecte américain John Morford. Tout autant d’avantages extraordinaires dont bénéficient les kurabito à la brasserie Masuichi.

En ce qui concerne le petit-déjeuner, toutefois, les travailleurs sont autonomes ; ils ont une longue journée devant eux et doivent commencer avant le lever du soleil. Les kurabito préparent ainsi eux-mêmes les ingrédients du matin à l'avance la nuit précédente. Levés avant le reste du monde, ils prennent des forces en vue d’affronter le noir et le froid avec un repas simple mais nourrissant, composé de riz blanc, de soupe miso, d'un œuf cru et des légumes macérées. Ensuite, il est temps pour eux de reprendre le travail difficile, mais ô combien gratifiant, de préparer un des meilleurs sakés du pays.

Un grand tonneau en bois (oke) du type utilisé traditionnellement pour le brassage du saké se dresse fièrement dans l'entrée de Masuichi.

À l’intérieur du magasin, les clients peuvent goûter les sakés de la brasserie au bar « Teppa ».

Square One, le saké junmai de la brasserie, tire son nom du logo créatif de Masuichi Ichimura : un carré symbolisant un masu (récipient à saké en bois) suivi du kanji ichi, qui signifie « un ». Ces bouteilles en céramique constituent une version moderne des bouteilles réutilisables à saké bien connues des collectionneurs d’antiquités japonaises.

Brasserie de saké Masuichi-Ichimura

(Article écrit à l’origine en japonais. Photos : Inomata Hiroshi)

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