Quand les sushis étaient des mets de restauration rapide au XIXe siècle à Edo

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Au début du XIXe siècle, les habitants d’Edo (aujourd’hui Tokyo) découvrent un nouveau type de sushi, à consommer dans les restaurants ou même livrés. En clair, ces mets étaient de véritables précurseurs des modes alimentaires à venir.

Les origines du sushi tel que nous le connaissons aujourd’hui

Kitagawa Morisada, un écrivain du XIXe siècle, s’est intéressé en son temps aux différences entre l’est et l’ouest de l’Archipel, qu’il a détaillé dans un précieux ouvrage, Morisada Mankô, le « Manuscrit Morisada ». Le thème des sushis est bien sûr abordé. Cependant, si les différences étaient nombreuses et importantes, le sushi, lui au moins, semblait mettre tout le monde d’accord. À Osaka, comme à Kyoto ou encore Edo, les chefs avaient tous la même méthode : ils poussaient le riz vinaigré dans une boîte rectangulaire, y mettaient la garniture, puis enfin apposaient le couvercle. Cette technique, qui porte le nom de hako-zushi (hako signifie « boîte » en japonais) est toujours abondamment utilisée à Osaka et à Kyoto.

À partir du début du XIXe siècle cependant, soit 50 ou 60 ans avant l’ouvrage de Kitagawa Morisada, dans la capitale, le hako-zushi avait laissé la place au nigiri-zushi, la forme la plus connue désormais dans le monde entier. Les chefs façonnent les sushis en les pressant dans leurs mains pour leur donner la forme qu’ils souhaitent.

La technique hakozushi utilisée à l'époque de Kitagawa Morisada n'a guère évolué depuis. La garniture est posée sur du riz vinaigré, un couvercle est posé dessus, puis le tout est pressé à la main ou à l’aide d’un poids. Illustration extraite du Morisada mankô (« Encyclopédie de Morisada »), reproduite avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète.
La technique hako-zushi utilisée à l’époque de Kitagawa Morisada n’a guère évolué depuis. La garniture est posée sur du riz vinaigré, un couvercle est posé dessus, puis le tout est pressé à la main ou à l’aide d’un poids. Illustration extraite du Morisada mankô (« Encyclopédie de Morisada », image avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

La technique du nigirizushi illustrée dans le Morisada mankô (« Encyclopédie de Morisada »). De haut en bas : tamagoyaki (omelette roulée), tamagomaki (lanières de courges kanpyô enveloppées dans du tamagoyaki), norimaki garni de kanpyô, une coupe transversale de norimaki, anago (congre), shirauo (poisson des glaces) enveloppé de kanpyô, sashimi de thon et kohada (gésiers d’alose). (Avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
La technique du nigiri-zushi illustrée dans le Morisada mankô (« Encyclopédie de Morisada »). De haut en bas : tamagoyaki (omelette roulée posée sur du riz vinaigré), tamagomaki (lanières de calebasse kanpyô enveloppées dans du tamagoyaki), rouleau maki garni de kanpyô, une coupe transversale de maki, anago (congre), shirauo (blanchaille) enveloppé de kanpyô, sashimi de thon et kohada (alose à gésier konoshiro). (Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Dans le « Manuscrit Morisada », on peut ainsi voir des illustrations de nigiri-zushi à la mode d’Edo tels que des sushis tamagoyaki (omelette roulée posée sur du riz vinaigré), des shirauo (blanchaille), des sashimis de thon, des kohada (alose à gésier konoshiro), des congres (anago) ou encore des crevettes. Ainsi, le nigiri-zushi ressemble à s’y méprendre aux différents sushis à la mode d’Edo (Edo-mae) tels que nous les connaissons aujourd’hui.

Toutefois, si pendant l’époque d’Edo (1603-1868), les zones de pêche étaient jadis fertiles au large de Tsukishima, près de la capitale, elles ne le sont guère aujourd’hui. Les nigiri-zushi de blanchaille (shirauo) se sont donc faits de plus en plus rares. Le shogun Tokugawa Ieyasu était par ailleurs particulièrement friand de ce type de sushi.

Un sushi classique coûtait 8 mon, soit moins de 100 yens (80 centimes d’euros), et 16 mon pour un sushi de type tamagoyaki. Aujourd’hui, dans de nombreux restaurants de sushi servis sur tapis roulant (kaiten-zushi), une paire de sushis coûte en moyenne 100 yens. Ils étaient donc à cette époque un peu plus chers que maintenant, tout en restant somme toute abordables. Le tamagoyaki, lui, figurait parmi le types de sushi les plus onéreux. À l’époque, il coûtait deux fois plus cher car les œufs étaient un produit de luxe qui coûtait entre 7 et 20 mon.

Le nigiri-zushi est né entre les mains du chef sushi Hanaya Yohei, il y a environ 200 ans. Dans un de ses ouvrages, Kitagawa Morisada s’est intéressé à son célèbre restaurant Yohei-zushi situé dans le quartier de Ryôgoku.

L’établissement a vu son nombre de clients baisser après le Grand tremblement de terre du Kantô, en 1923, ce qui ne l’a pas empêché de conserver une bonne réputation jusqu’en 1930, année de sa fermeture. Dans un de ses ouvrages paru en 1883, Kitagawa Morisada fait notamment l’éloge des sushis aux crevettes, du sushi tamagoyaki et du datemaki (omelette roulée sucrée à base de pâte de poisson) de l’enseigne.

À l’époque de leur création, les sushis de poisson kohada étaient rendus plus fermes en les trempant dans le vinaigre pour être conservés dans des boîtes de transport en bois appelées okamochi, pour être vendus dans les rues la nuit. Là aussi, il y avait des différences d’une ville à une autre ; si à Kyoto et à Osaka, les nigiri-zushi contenaient souvent du maquereau, à Edo, on préférait le kohada, plus petit et donc plus facile à manger. Et le kohada a tout de suite su enchanter les papilles des habitants d’Edo. On trouvera également plus tard des sushis de blanchaille fraîche, de crevettes et de congre. Devant le succès rencontré, le chef Hanaya décida tout d’abord d’établir un stand de nourriture yatai, pour enfin ouvrir son restaurant, en 1824, dans le quartier de Ryôgoku.

Et le sushi, c’est sacré pour le quartier de Ryôgoku. Un panneau est même là pour vous rappeler fièrement que c’est ici que les premiers sushis « à la mode d’Edo » ont vu le jour.

Le restaurant Yohei-zushi. Illustration extraite du Tokyo shin-hanjôki, une œuvre datant de l'époque Meiji (1868-1912) (« Chronique de la nouvelle prospérité à Tokyo »). (Avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Le restaurant Yohei-zushi. Illustration extraite du Tokyo shin-hanjôki (« Chronique de la nouvelle prospérité à Tokyo »), une œuvre datant de l’ère Meiji (1868-1912). (Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Les sushis : le nouveau fast-food de l’époque

Pour les habitants d’Edo de l’époque, les chefs sushi, avec leurs gestes mystérieux, ressemblaient à de véritables sorciers ou à des chamans occupés à jeter quelque sort.

Le chef Hanaya Yohei était une sorte de visionnaire pour son époque puisqu’il a ouvert la voie aux restaurants de sushis et même à leur livraison. De plus, avec ses stands yatai, il a également fait du sushi un aliment de restauration rapide. Son yatai pourrait être considéré comme un précurseur des restaurants de sushis sur tapis roulant (kaiten-zushi) d’aujourd’hui.

Arrêtons-nous sur l’aspect fast-food des sushis ; leur consommation se fait debout dans un yatai. Kitagawa Morisada a décrit comment, à la faveur de la nuit, de nombreux étals faisaient leur apparition, proposant sushis et tempura. Si le succès du restaurant Yohei-zushi a fait bien des émules, les yatai se sont également multipliés dans les quartiers très peuplés d’Edo, les espaces y étant restreints.

Dès 1786, on trouve des photos de stands de sushis yatai dans les rues du quartier de Ryôgoku, d’Asakusa et ailleurs dans l’ouvrage « Livre illustré : les passereaux d’Edo » (Ehon Edo suzume) de Kitagawa Utamaro. À l’instar des restaurants de sushis sur tapis roulant, les clients avaient la possibilité de commander un sushi en précisant la garniture souhaitée.

Un stand de sushi dans les rues d'Edo. Les clients peuvent commander des sushis avec la garniture de leur choix. Illustration extraite de l'ouvrage Ehon Edo suzume (« Livre illustré : les passereaux d’Edo), reproduction avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Un stand de sushi dans les rues d’Edo. Les clients peuvent commander des sushis avec la garniture de leur choix. Illustration extraite de l’ouvrage « Livre illustré : les passereaux d’Edo » (Ehon Edo suzume) de Kitagawa Utamaro. (Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Les yatai étaient souvent présents lors des événements saisonniers en plein air. Par exemple, leTsukimi (contemplation de la pleine lune) avait lieu la vingt-sixième nuit des premier et septième mois du calendrier luni-solaire. Nombreux étaient ceux qui attendaient le passage à la vingt-sixième nuit, au bord de la mer, dans le quartier de Takanawa, à l’occasion du festival nijûrokuya-machi (« l’attente de la vingt-sixième nuit »). Et s’ils avaient un petit creux, ils pouvaient bien sûr toujours compter sur les sushis des yatai.

Le festival nijûrokuya-machi à Takanawa. Juste à droite du centre, sous le toit de couleur claire, un étal arbore un panneau avec le mot sushi écrit en hiragana (すし). Illustration extraite de Tôto meisho no uchi : Takanawa nijûrokuya no zu (« Lieux célèbres de la capitale de l’Est : vingt-sixième nuit de Takanawa » ) par Utagawa Hiroshige, reproduite avec l'aimable autorisation de la Fondation Ajinomoto pour la culture diététique)
Le festival nijûrokuya-machi (« l’attente de la vingt-sixième nuit ») à Takanawa. Juste à droite du centre, sous le toit de couleur claire, un étal arbore un panneau avec le mot « sushi » écrit en hiragana (すし). Illustration extraite de « Lieux célèbres de la capitale de l’Est : vingt-sixième nuit de Takanawa » (Tôto meisho no uchi : Takanawa nijûrokuya no zu) par Utagawa Hiroshige. (Avec l’aimable autorisation de la Fondation Ajinomoto pour la culture diététique)

Dans le « Manuscrit Morisada » figure une image présentant un livreur qui transporte des boîtes de nigiri-zushi. Les jours où des événements se déroulaient, les stands allaient jusqu’à envoyer leurs sushis directement sur la table des clients, un peu à la manière dont les pizzas sont livrées lors des fêtes des cerisiers aujourd’hui.

Un livreur de sushis. Illustration extraite du Morisada mankô (« Encyclopédie de Morisada »), reproduite avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète.
Un livreur de sushis. Illustration extraite du « Manuscrit Morisada » (Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Ainsi, il y a deux siècles, les sushis étaient déjà des aliments de restauration rapide et étaient déjà livrés aux clients de l’époque lors d’événements spéciaux. En clair, ces mets étaient de véritables précurseurs des modes alimentaires à venir !

(Photo de titre : illustration extraite du « Manuscrit Morisada ». Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

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