Nous présentons ici trois festivals originals de sumo qui, tout en célébrant ce sport traditionnel, ont aussi un côté déroutant, avec notamment un lutteur combattant seul et des bébés qui s’affrontent au « sumo des cris ».
Un sport national né de rites sacrés
Le sumo est le sport national du Japon, mais il a des origines anciennes. Il en est fait mention dans les mythes, répertoriés dans le Kojiki, concernant des divinités (kami) qui luttent pour tester leur force. Le Nihon shoki raconte comment Nomi no Sukune, un guerrier considéré comme le tout premier lutteur de sumo, a remporté un match de lutte organisé pour le divertissement de Suinin, le légendaire onzième empereur du Japon. Par la suite, les combats devant le souverain sont devenus un rite célébré à la cour impériale aux époques de Nara (710-794) et de Heian (794-1185). Le rôle de ces combats ne se limitait pas au divertissement, ils constituaient aussi des présages annonçant de bonnes ou de mauvaises récoltes selon le vainqueur.
Le piétinement shiko pratiqué à l’entrée d’un lutteur sur le ring surélevé prend ses racines dans un rite de l’époque de Heian appelé henbai. Avant que l’empereur ou un noble de la cour ne sorte, un devin frappait le sol du pied et psalmodiait une incantation en vue de repousser les éventuels esprits malins tapis sous le sol. Le shiko, au cours duquel un lutteur levait haut la jambe, a perdu le sens plus profond qui s’attache au henbai, mais il reste porteur du message qui dit que le ring est un endroit sacré propice à la descente des kami.
A la fin de l’époque de Heian, l’essor de la classe des guerriers a conféré au rituel une saveur plus martiale. Par la suite, à mesure que la paix se propageait à l’époque d’Edo, il est devenu populaire en tant que spectacle. Les tournois de sumo ont proliféré sur tout le territoire du Japon en tant que moyens de collecter de l’argent pour la restauration des temples et des sanctuaires, et c’est de cet essor que sont nés les grands tournois de sumo d’aujourd’hui.
Aujourd’hui encore, les matchs de sumo comportent des rites, appelés dohyô matsuri, au cours desquels un trou creusé au centre du ring en terre battue est rempli d’offrandes, par exemple de saké ou de riz. Ces rites constituent une prière pour la sécurité de la compétition, ainsi que pour la paix et une bonne récolte au Japon. Il est clair que le sumo n’est pas seulement un sport national, mais qu’il garde des éléments du rituel shintô.
Nous nous penchons ici sur trois grands matsuri du sumo qui restent fortement imprégnés des racines shintô de ce sport.

A l’approche du festival d’automne au sanctuaire Takahama Hachiman de Nagasaki, les prêtres offrent du saké, du riz lavé, du sel et de la chair de poisson volant sur le ring rituel pour inviter les kami.
L’Otaue-sai / Nukiho-sai au sanctuaire Ôyamazumi
(Cinquième jour du cinquième mois et neuvième jour du neuvième mois du calendrier traditionnel, dans la ville d’Imabari, préfecture d’Aichi.)

Un lutteur de sumo ventripotent est bousculé par un adversaire invisible.
Le sanctuaire Ôyamazumi, situé sur l’île d’Ômi, dans la mer intérieure de Seto, perpétue une tradition unique de hitori-zumô, ou « sumo en solo ». Les racines de cette tradition ne sont pas clairement établies, mais il s’agit d’un rite ancien dont les premières traces remontent à 1364. On le célèbre deux fois par an, lors du festival de plantation du riz du début de l’été, l’Otaue-sai (sai signifie festival), et lors du festival de la récolte du riz du début de l’automne, le Nukiho-sai.
L’unique lutteur, appelé Ichirikizan, monte sur le ring. Là, il affronte un adversaire invisible. Il est poussé par lui et le pousse en retour, puis il est jeté au sol. C’est un spectacle humoristique, mais sa lutte avec l’esprit du riz est un présage de bonne récolte.
Le match se déroule en trois reprises. La première se solde par une victoire sans conteste de l’esprit, le lutteur étant expulsé du ring. La seconde voit le lutteur s’accrocher au ring et finir par gagner. La troisième tourne à l’épreuve de force caractéristique de l’authentique ôzumô, et se termine par une série de lancers effectués par l’esprit qui font voler le lutteur. C’est ainsi que l’esprit remporte la victoire.
Une fois que le sumo rituel est terminé, les jeunes filles de l’île se dirigent vers les champs sacrés, les saiden, pour y planter le riz au printemps ou le récolter en hiver. Elles offrent des remerciements aux kami du riz, galvanisé par sa victoire, et s’assurent ainsi d’une abondante récolte.

Lors du rituel Otaue-sai de plantation du riz, 16 saotome, ou jeunes filles plantant le riz, portent sur leurs têtes des amulettes noshi en papier rouge ou blanc tandis qu’elles plantent de jeunes pousses de riz.

Les jeunes filles du Nukiho-sai, nukiho et otome, vêtues du même costume récoltent et offrent aux kami les premières têtes de riz.
Le Shûki-taisai du sanctuaire Takahama Hachiman
(Chaque 23 septembre, dans la ville de Nagasaki, préfecture de Nagasaki)

Lutteurs dansant en cercle sur des chansons sumôjinku à l’éloge de leurs villes.
La région de Takahama, située au bout de la péninsule de Nagasaki, a la réputation d’être une « ville du sumo » où la plupart des hommes pratiquent ce sport et portent même des noms de lutteurs. Le festival d’automne, le Shûki-taisai du sanctuaire Takahama Hachiman, est connu sous le nom de Takahama Kunchi. C’est un rituel centré sur le sumo offrant des prières pour de bonnes récoltes de céréales et la sûreté des familles.

Des enfants portant des ceintures de sumo mawashi défilent en rangs en frappant des tambours taiko attachés à des tiges de bambou vertes. Dans le nord de Kyûshû, le festival d’automne est appelé Kunchi.
La veille du festival, le son des tambours fure-daiko remplit l’air et annonce l’événement à venir. Le jeu des tambours est assuré par des enfants portant des ceintures de sumo ornementales keshô-mawashi. La population locale les observe en souriant et leur tend des cadeaux.

Les familles applaudissent les matchs des enfants.
Le matin du festival débute par un défilé de sanctuaires portatifs mikoshi, suivi l’après-midi par les combats de sumo. Les familles se rassemblent pour applaudir les matchs de Hônô-zumô à 33-ban d’enfants de l’école primaire et plus jeunes, et tout le monde apprécie les appels impromptus des juges. Ensuite, les jeunes lutteurs s’emparent du ring pour s’y livrer à la danse sumô-odori, accompagnée de chants traditionnels. Le chanteur qui se tient au centre du cercle chante sur un ton aigu, tandis que les voix des lutteurs qui dansent sont plus profondes, et l’atmosphère prend un caractère solennel.

Des bambins âgés de moins d’un an occupent le ring couverts d’enveloppe cadeaux remplies d’argent.
Le moment phare de cet événement est le naki-zumô, ou « sumo des cris », quand des bébés montent sur le ring. Un lutteur frappe du pied le shiko en chantant « Dosukoi !» pour faire pousser un cri vigoureux au tout jeune adversaire. Plus le cri est fort, plus l’on pense qu’il est propice à la santé dans l’avenir.
L’événement final est le wari-zumô, au cours duquel s’affrontent des lutteurs appartenant aux trois rangs supérieurs de ozeki, sekiwake et komusubi de l’est et de l’ouest. Ces matchs acharnés entre hommes puissants sont très spectaculaires.

Les trois rangs supérieurs de l’est et de l’ouest se font face lors du wari-zumô.
Le Karatoyama Shinji-zumô
(Le 25 septembre, dans la ville de Hakui, préfecture d’Ishikawa)

Pour les matchs rituels, les lutteurs montent sur le ring vêtus de ceintures ornementales mawashi offertes par des sponsors en psalmodiant des chants sumôjinku.
Le sanctuaire de Hakui, au sud de la péninsule de Noto, est dédié à Iwatsukuwake, fils de l’empereur Suinin. On dit qu’il aimait beaucoup le sumo, et c’est pourquoi son sanctuaire héberge tous les ans, le 25 septembre, un tournoi rituel qui offre depuis longtemps aux lutteurs locaux une opportunité de se rassembler et de faire montre de leur force.
Le champ de bataille est le Karatoyama Sumôjô, situé à environ un kilomètre au sud du sanctuaire. Il a la réputation d’être le plus ancien ring de sumo en plein air du Japon. Ce sumo rituel est célèbre pour son fonctionnement « sans eau, sans sel et sans pauses », avec quelque 50 matchs qui s’enchaînent à vive allure.

Le ring est disposé dans une cavité en forme de bol, entourée de pentes constituant un environnement de places assises comparable à un stade.
Les matchs commencent à environ 17 h 30, avec des matchs d’entraînement pour les enfants de l’école primaire, tandis que les lutteurs en âge d’être au lycée s’affrontent dans un kyôsan-zumô conçu sur le modèle des tournois.
Vers 20 h 00, il y a un entracte au cours duquel un feu de joie est allumé, et c’est le début des vrais matchs rituels, Après le tambour cérémoniel accompagné de sumôjinku, les matchs se succèdent dans un ordre déterminé : les matchs mae-yumi qui décident qui mérite le rang des komusubi, désigné comme le plus bas ; les naka-yumi, qui sélectionnent les nouveaux sekiwake ; et les oku-yumi qui nomment les nouveaux membres du rang le plus élevé, celui des ôzeki.
La répartition des lutteurs ne se fait pas selon l’Est et l’Ouest comme dans l’ôzumô, mais en fonction de leur lieu de naissance. La ville de Hakui est divisée en secteurs autour de la lagune centrale d’Ouchigata, avec la région de Kamiyama comprenant les districts de Kaga et d’Etchû au sud, et les pentes du nord de Noto connues sous le nom de Shimoyama. Un candidat ôzeki provient de chacun des secteurs, Kamiyama et Shimoyama. Les lutteurs sont choisis un mois à l’avance par un entraîneur qui a jadis été ôzeki, et son choix se fonde sur l’aptitude à la lutte, le tempérament et les contributions au festival. Chaque lutteur jouit du soutien d’une association locale de plus de cent supporters, qui confectionnent d’extravagantes ceintures keshô-mawashi et offrent un soutien enthousiaste jusqu’à la tenue du match.

L’oku-yumi est un intense combat de plein fouet.
A l’issue des combats des komusubi et des sekiwake, le feu de joie est rechargé pour brûler encore plus haut, et l’heure est venue pour le grand événement : le match des ôzeki. Toutefois, et contrairement à un combat ordinaire, les deux lutteurs entrent en même temps sur le ring. Il y a toujours une joute verbale animée puis, après une abondante délibération, le match nul est déclaré, et deux nouveaux ôzeki sont nés sous un tonnerre d’applaudissements.
Les coéquipiers des deux ôzeki les font sortir du ring et les emmènent au sanctuaire de Hakui pour annoncer leur victoire. L’année suivante, ils prennent la direction des centres locaux de sumo, et assument par voie de conséquence la charge d’entraîner les lutteurs plus jeunes. Cette façon de procéder garantit que le sumo rituel continuera à se transmettre de la même manière d’une année sur l’autre.

Les deux nouveaux ôzeki sont mis sur les épaules de leurs camarades et transportés dans les rues de la ville.
(Photo de titre : le lutteur en solo, Ichi-rikizan, affronte un adversaire invisible au sanctuaire d’Ôyamazumi, à Imabari, préfecture d’Aichi. Toutes les photos : © Haga Library)