Le parcours de Merna Airoud, la première femme médecin arabe au Japon
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Réaliser un rêve qu’on lui avait dit absolument impossible
« Je n’avais jamais pensé venir au Japon. Quand j’y suis arrivée, le seul mot de japonais que je connaissais était konnichi wa (bonjour). »
Voici ce qu’explique Merna.
Après avoir terminé ses études de médecine à la célèbre Université d’Alep et obtenu son diplôme, elle apprend l’allemand, pensant, comme de nombreux Syriens, partir étudier en Allemagne. Mais alors qu’elle réussit les examens de niveau supérieur dans cette langue, sa vie prend un tour inattendu lorsque son mari chercheur en pharmacie décide de venir étudier quelque temps au Japon.
Arrivée au Japon en octobre 2015, elle entame des activités de recherche dans un laboratoire sur la circulation sanguine d’une faculté de médecine d’une université de Tokyo, où elle travaille l’après-midi, tout en suivant des cours de japonais le matin. Au fur et à mesure qu’elle s’acclimate à la vie au Japon, son envie d’approfondir ses connaissances sur la langue et la culture japonaises se renforce.
Enfant déjà, elle rêvait de devenir médecin clinicien. Bientôt, elle s’est dit qu’elle souhaitait le réaliser au Japon.
« J’adore communiquer avec les autres. Je voulais devenir un médecin à l’écoute de ses patients, capable de soulager leur inquiétude face à la maladie. »
Son choix de la médecine est profondément lié à son père, qui était un maniaque de la santé. Toute la famille faisait de la gymnastique quotidiennement, prenait des repas équilibrés, et avait l’habitude de consulter un médecin même pour de légers symptômes.
« Mon père était convaincu que la santé conduisait au bonheur, et j’ai été élevée dans l’idée qu’il est indispensable de prendre soin de son corps. C’est pour cela que j’en suis venue à vouloir contribuer au bien-être des autres et au rétablissements des patients. »
Chaque fois qu’elle rencontre une personne du monde médical de passage au Japon, elle lui demande des renseignements pour devenir clinicienne. La réponse est toujours la même : pour eux, c’est absolument impossible, étant donné que l’examen requis pour obtenir le diplôme d’État japonais de docteur en médecine exige une connaissance très avancée de la langue nippone. De fait, presque tous les non-Japonais ayant un diplôme étranger de médecin résidant au Japon y mènent des activités de recherche, qui n’exigent pas la qualification procurée par le diplôme d’État japonais.
Mais entendre toutes ces opinions négatives ne la fait pas pour autant renoncer à son rêve.
Bachoter en élevant son enfant
Merna interrompt temporairement son travail de recherche et ses études de japonais à la naissance de son premier enfant. Après son accouchement, elle reprend l’apprentissage de la langue chez elle. La journée, tout en jouant avec sa fille, elle s’entraîne à la compréhension orale, se remettant à l’étude de l’écrit lorsque son enfant dort. C’est de cette manière qu’elle réussit le niveau N3 du Japanese Language Proficiency Test (JLPT).
Le JLPT compte cinq niveaux, de N1, le plus élevé, à N5. Pour obtenir le N3, il faut être capable de comprendre jusqu’à un certain degré des conversations du quotidien.
Réussir à atteindre ce niveau sans avoir eu aucune connaissance de la langue avant de débarquer sur l’Archipel est une prouesse, sans compter qu’elle a effectué son apprentissage tout en s’occupant de son bébé.
Et Merna ne compte pas en rester là.
« Étant donné que le niveau N1 est nécessaire pour avancer dans les démarches préliminaires au passage de l’examen requis pour obtenir le diplôme d’État de médecin, je savais que j’étais encore loin de mon objectif. »
Lorsque sa fille a deux ans, Merna la place à la crèche trois jours par semaine et se met à fréquenter de nouveau l’école de japonais langue étrangère (JLE). Elle acquiert la conviction qu’une vie de chercheuse ne la satisferait pas, et elle décide alors de se consacrer entièrement à l’apprentissage du japonais au lieu de retourner dans son laboratoire. En 2018, elle réussit le N2.
Elle cesse ensuite de se rendre au JLE, ne comptant que sur ses manuels et sur le soutien d’un professeur de JLE bénévole, qui lui donne cours deux fois par mois.
« Il m’aidait dans mon apprentissage et m’encourageait toujours. Il m’enseignait aussi beaucoup de choses sur la culture, l’art de vivre et les traditions japonaises. »
Une fois le N1 obtenu, un chemin ardu jusqu’à la qualification de médecin
Si Merna réussit le niveau N1 en 2019, elle n’est pas au bout de ses peines. Elle prend rendez-vous au ministère de la Santé afin d’obtenir officiellement le droit de passer l’examen d’État, mais il lui faut beaucoup de temps avant qu’on lui concède un entretien. Les deux premières fois, elle ne reçoit pas cette reconnaissance parce que son dossier n’est pas complet. Ce n’est qu’à la troisième tentative qu’elle parvient à présenter l’ensemble de son dossier.
Dans l’intervalle, elle apprend une information qui la perturbe. Si sa certification syrienne est jugée insuffisante au moment de l’examen de la documentation, il lui faudrait refaire trois ans d’études en faculté de médecine et réussir plusieurs examens. Heureusement pour elle, les documents qu’elle fournit conduisent les évaluateurs à déterminer que le diplôme dont elle est titulaire est du même niveau qu’un diplôme d’État japonais.
Cela signifie ainsi qu’elle a le droit de se présenter au Japanese Language Medical Proficiency Test (Examen de connaissance de la langue japonaise dans le domaine médical). Organisé une fois par an seulement, il est destiné aux personnes titulaires d’un diplôme d’État étranger de docteur en médecine, ainsi qu’à celles qui ont obtenu un diplôme de fin d’études d’une faculté de médecine étrangère. En plus d’un entretien et d’une consultation avec des patients, les candidats doivent aussi rédiger une opinion clinique.
Merna le réussit, et est officiellement reconnue comme ayant une qualification équivalente à celle d’un diplôme d’une université japonaise de médecine. Cela lui permet par conséquent de se présenter en février 2022 à l’examen requis pour obtenir le diplôme d’État de docteur en médecine. La dernière étape est franchie avec succès, bravo à elle !
« Ce succès marquait la fin du long voyage qu’a été mon apprentissage de la langue japonaise, et aussi le départ d’un nouveau périple au Japon, au sein d’un travail que j’aime tant. »
De la reconnaissance envers tous
C’est donc six ans après son arrivée au Japon que Merna reçoit le diplôme d’État japonais de docteur en médecine. Pour parcourir ce long chemin, la présence de sa fille était une motivation. Elle est aussi reconnaissante à son mari et à ses parents qui l’ont toujours encouragée.
« Ça n’a pas été simple de cumuler mes études et le rôle de mère et de femme au foyer. Mais mon mari nous a toujours soutenues, ma fille et moi. Lorsque je connaissais des baisses de moral, il me disait qu’il ne m’imaginait que réussir et qu’il priait Allah de récompenser mes efforts. Ma mère priait aussi toujours pour moi. Je suis aussi reconnaissante à mon père dont je suis fière et qui a toujours été pour moi un modèle. »
Sa vie comme médecin clinicienne au Japon vient juste de débuter. Elle devra certainement encore surmonter de nombreuses difficultés, mais c’est avec le sourire qu’elle nous dit : « J’ai voulu faire ce métier en sachant qu’il n’était pas facile, et qu’il exige de ne jamais cesser d’apprendre. Depuis que je suis arrivée au Japon, on m’a tellement dit que ce que je voulais faire était impossible. Mais tout en ayant foi en Allah, je me suis toujours répétée que la seule façon de savoir si on peut ou non faire quelque chose est d’essayer. C’est avec cette conviction que j’ai poursuivi mes efforts. »
(Photo de titre : Merna Airoud avec sa licence médicale d’État devant le Bureau de la santé publique de la ville de Fujisawa où elle l’a obtenue. Toutes les photos ont été fournies par Merna Airoud.)
(Voir également notre article : Osama Ibrahim, le premier Arabe médecin au Japon)