Une plongée dans l’histoire des seigneurs de Kamakura
Tsurugaoka Hachiman-gû, un lieu sacré au centre de l’histoire de Kamakura
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Un shôgun très au fait des coutumes de la cour
Minamoto no Sanetomo (1192-1219) avait seulement 11 ans lorsqu’il accéda au titre de shôgun. Troisième shôgun issu des Minamoto, une famille de dirigeants militaires, il obtint le pouvoir dans des circonstances extraordinaires. Son frère aîné et deuxième shôgun, Yoriie, fut emprisonné puis assasiné à Izu (dans la préfecture actuelle de Shizuoka), par les Hôjô, une autre famille très puissante. L’année suivante, dans un mariage de convenance politique, Sanetomo épousa la fille d’un parent de l’empereur Go-Toba.
Sanetomo avait une capacité d’apprentissage hors du commun, et de ce fait il reçut une éducation en poésie waka et apprit les us et coutumes de la cour. Au fur et à mesure de ses interactions avec la cour impériale, il réussit à gagner les faveurs du souverain, ce qui conduira à la compilation de ses poésies Kinkai wakashû.
À Kamakura Seaside, situé le long de la route nationale 134 près de la plage de Yuigahama, on trouve un monument gravé d’un poème de Sanemoto figurant dans l’anthologie Hyakunin isshû : « Je souhaite que le monde reste ainsi pour toujours. Précieuses me sont les scènes quotidiennes, telle la barque du pécheur au loin, tirée par une corde. »
Les temps étaient difficiles pour le shôgun, ses amis s’étant retournés contre lui. Ce poème retranscrit néanmoins la tendance aimable de Sanetomo, ainsi que son désir de paix.
Par le passé, Sanetomo a été considéré comme étant trop attaché à la culture de la cour impériale pour diriger un régime militaire. Des études récentes ont cependant démenti cette idée. Professeur à l’Institut historiographique de l’Université de Tokyo, Takahashi Shinichirô dit de lui qu’il était « personnellement et activement impliqué aussi bien dans la cour que dans la politique. » Il souligne également que les poésies waka et le kemari (une version ancienne du football) n’étaient pas de simples distractions, mais bien nécessaires au maintien de la bonne entente avec la cour.
Sanemoto n’engendra pas d’enfant, mais si le nom des Minamoto devait s’éteindre avec lui, il voulait lui apporter du prestige, ce à quoi il réussit. Dans la sphère de la cour impériale, il parvint à gravir les échelons un à un pour devenir le ministre de la droite (u-daijin), deuxième poste le plus haut placé. Cependant, à l’aube de son ascension, un piège l’attendait.
L’assassinat d’un shôgun
Le 27 janvier 1219, une cérémonie officielle eut lieu afin de célébrer l’accession au pouvoir de Sanetomo en tant que ministre de la droite au sanctuaire Tsurugaoka Hachiman-gû, à Kamakura. De nombreux nobles venus de Kyoto y assistèrent.
C’était un jour glacial, une épaisse couche de neige avait recouvert les alentours. Sanemoto quitta son palais pour le sanctuaire au crépuscule. Une fois la cérémonie achevée, il descendit les escaliers pour rentrer. Selon les archives historiques Gukanshô (une œuvre sur l’histoire du Japon, composée par Jien [1155-1225], un prêtre bouddhiste de l’école Tendai), c’est à ce moment précis qu’un homme l’attaqua et le décapita en criant : « J’ai vengé mon père ! » Un autre membre du groupe rebelle s’en prit à celui qu’ils croyaient à tort être le régent Hôjô Yoshitoki. Cependant, Sanemoto lui avait ordonné de rester en arrière, ce qui lui permit d’échapper de justesse à un destin tragique.
L’assassin se nommait Kugyô (ou encore Kôgyô), et il était le fils du frère aîné de Sanemoto : Yoriie. Du point de vue de Kugyô, il y avait non seulement le lien avec son père Yoriie et son frère aîné Ichiman, qui avaient tous deux étés tués par le régent Hôjô, mais il y avait aussi la perspective de devenir lui-même shôgun.
Sanetomo apparaît ainsi comme une figure tragique, nommé shôgun par convenance pour les autres, et dont la destinée était d’être l’objet d’un fort ressentiment.
Après le meurtre, la tête de Sanemoto à la main, Kugyô s’écria : « C’est moi qui devrais être shôgun ! » Mais il fut tué lui aussi le même jour pour payer son crime.
La fureur de l’empereur Go-toba
Une personne particulièrement affectée par ce troublant incident fut l’empereur Go-Toba, à la tête de la cour impériale de Kyoto. Le professeur Kondô Shigekazu, de l’Université ouverte du Japon, spécule sur l’état d’esprit du souverain à la suite du meurtre de Sanemoto.
« Le gouvernement militaire de Kamakura n’a pas été en mesure de protéger Sanemoto. Go-toba était très proche de lui, il a donc perdu toute confiance en ce shogunat incapable de garder en vie l’objet de ses faveurs. Je pense qu’il n’était tout simplement plus capable de leur accorder sa confiance. »
La relation que les deux hommes entretenaient allait bien au-delà de leur commun intérêt pour la poésie et le kemari. Pendant une quinzaine d’années, Sanetomo avait été promu de 11 degrés de rang. N’ayant pas de descendance, la question de la succession devenait de plus en plus préoccupante, et un plan extrême pour faire venir un prince de la cour impériale en tant que shôgun fut même suggéré, preuve que la relation entre Sanetomo et la cour impériale était remarquablement étroite.
Il y avait également des considérations politiques pour Go-Toba. Originellement, le rôle des samouraïs était de mettre à disposition leurs compétences martiales afin de servir la cour. Néanmoins, les guerriers des fiefs de l’Est établirent leur propre shogunat à Kamakura, loin de Kyoto. L’objectif de Go-Toba était d’asseoir le contrôle de la cour sur les samouraïs afin qu’ils ne puissent plus agir à leur guise. La présence de Sanetomo au sein du gouvernement lui était alors cruciale, et il était d’ailleurs favorable à la demande de ce dernier pour l’accession d’un prince de la cour au titre de shôgun.
Bien que les débuts du shogunat de Kamakura aient connu des péripéties liées aux pouvoirs des différents seigneurs de guerre, les relations avec la cour impériale restaient plutôt stables. Mais une fois cet axe de stabilité rompu, la roue de l’histoire se remit à tourner...
Accès
- Tsurugaoka Hachiman-gû : environ 10 minutes à pied au nord de la gare de Kamakura.
- Ancien site de Shôchôju-in : depuis la gare de Kamakura, prendre le bus Daitômiya et descendre à l’arrêt Wakaremichi. Marcher cinq minutes depuis l’intersection du pont Ômidô, juste devant l’arrêt de bus.
- Monument à Minamoto no Sanetomo : prendre la ligne Enoden jusqu’à la gare de Hase, puis se diriger à l’ouest sur la route 134 pendant environ cinq minutes jusqu’à atteindre le parc côtier de Kamakura, où se trouve le monument.
- Site de sépulture de Sanetomo : prendre le bus numéro 23, 26 ou 27 depuis la gare de Hadano sur la ligne Odakyû, puis descendre à l’arrêt Nakaniwa et marchez jusqu’au temple Kongô-ji. Le festival en l’honneur de Sanetomo a lieu chaque année le 23 novembre.
(Reportage et texte de Mochida Jôji, de Nippon.com. Photo de titre : les escaliers de pierre et le sanctuaire principal du Tsurugaoka Hachiman-gû. Le grand ginkgo a été renversé par de violentes tempêtes en 2010, mais de nouvelles branches ont fait leur apparition depuis. Avec l’aimable autorisation du Tsurugaoka Hachiman-gû)