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« Râmen Hakkenden », une plongée en manga dans une soupe de nouilles

Gastronomie Manga/BD

Au Japon, le râmen s’est hissé au rang de cuisine nationale, puis a constamment évolué pour être aujourd’hui le plat que nous connaissons tous. Certains mangas ont exploré la culture autour de ces nouilles afin d’y apporter une perspective nouvelle.

L’essor des râmen au Japon

Le Japon est une nation insulaire, séparée du continent par l’océan. Du point de vue continental, le Japon se trouve à l’extrême ouest de la terre, n’ayant à l’est que le vaste océan pacifique. Impasse culturelle, il ne représentait ainsi par le passé que l’extrémité orientale de la route de la soie pour les occidentaux.

Ajoutons aussi que puisqu’il n’a aucune frontière commune avec d’autres pays, le Japon a manqué de stimulation mutuelle comme cela a pu être le cas en Europe par exemple. C’est une raison plausible pour expliquer le manque d’originalité et de découverte, mais il y a un point positif : le Japon s’approprie les éléments culturels étrangers qui pénètrent dans son territoire et les modifie à tel point que cela surprend même les créateurs d’origine.

C’est justement ce qui s’est passé pour les râmen. Originellement chinois, ils sont devenus un incontournable des classes ouvrières au début du XXe siècle et se sont ensuite diffusés pour atteindre ce statut de cuisine nationale, puis devenir un phénomène mondial.

Si les variétés proposées sont impressionnantes, les râmen gardent toujours cette image de plat bon marché, abordable, que chacun peut apprécier en solitaire. Ils ont également réussi à se frayer un chemin dans le monde de la haute gastronomie, en incorporant des ingrédients rares et onéreux. En 2014, le guide Michelin à Tokyo s’est vu ajouter une catégorie « râmen », avec le premier restaurant étoilé qui est apparu deux ans plus tard.

La popularité des râmen dépasse les frontières de l’Archipel, et des youtubeurs tels que Brian MacDuckston partagent leur passion de ce mets avec le reste du monde. On trouve même des circuits invitant les participants à manger pas moins de six bols en trois heures. Chaque région a bien entendu sa propre version du plat.

Au Japon, le terme « râmen » désignait autrefois les chûka-soba, nouilles chinoises dans un bouillon simple à base de sauce soja. De nos jours, les variétés sont tellement nombreuses qu’il est quasiment impossible de toutes les nommer. (© Pixta.)
Au Japon, le terme « râmen » désignait autrefois les chûka-soba, nouilles chinoises dans un bouillon simple à base de sauce soja. De nos jours, les variétés sont tellement nombreuses qu’il est quasiment impossible de toutes les nommer. (Pixta)

Râmen Hakkenden, une relation intime avec les nouilles

Avec une communauté d’admirateurs si impliquée, il va de soi que le Japon a son lot de mangas dédiés à ce sujet. Ces œuvres ont d’ailleurs une longue histoire, avec en 1970 la publication de Totsugeki Râmen de l’artiste Mochizuki Mikiya, premier manga sur les râmen à être publié régulièrement dans le très célèbre magazine de pré-publication hebdomadaire Shônen Jump. Le plat était déjà populaire parmi les jeunes lecteurs de l’époque.

En 1980, le manga gourmet à succès Oishinbô (histoire par Kariya Tetsu, illustration par Hanasaki Akira) et Cooking Papa (Ueyama Tôchi) nous présentaient tous les deux des épisodes sur les râmen. L’arc « Râmen War » du début des années 1990 du manga Oishinbô a creusé le sujet en profondeur avec notamment un chef de « l’Institut pour la recherche sur la culture du râmen » ou encore les « Trois Mousquetaires du râmen ». À ce moment, la culture autour de ce plat avait atteint un degré de popularité démentiel.

À la fin du XXe siècle un nouveau manga fait son entrée, en faisant du râmen un style à part entière : Râmen Hakkenden, traduit grossièrement en « Mémoire de mes découvertes de râmen ». À partir de 1999 il est publié en série dans le magazine de pré-publication Big Comic Superior. L’histoire, pensée par Kube Rokurô et illustrée par Kawai Tan, a pour collaborateur le célèbre critique Ishigami Hideyuki , autrement appelé « l’homme au palais divin ». Râmen Hakkenden fait une impression détonante dans l’histoire du manga.

Le protagoniste, Fujimoto Kôhei, âgé de 20 ans est employé de Daiyû Shôji, une société commerciale. Son travail ne semble avoir que peu d’intérêt et il met un point d’honneur à partir à 17 h 00 pile. Fujimoto est transparent aux yeux de ses collègues, mais il a un rêve : posséder sa propre échoppe de râmen. Son travail ne lui sert qu’à servir son objectif, et pour le réaliser, il s’entraîne seul et tient un petit stand le soir où il vend ses nouilles aux passants.

Déjà à cette époque, le Japon commence à s’émanciper de cette idée commune de l’emploi à vie. L’entreprise devient alors pour certains un outil servant des projets personnels, un mode de vie plein de potentiel.

Alors que sa passion grandit de jours en jours, Fujimoto continue d’affiner sa technique. Son niveau n’est certes pas celui d’un professionnel mais il a beaucoup de connaissances, sans compter un palais remarquable en la matière. Au cours de l’histoire, son département s’oriente vers l’industrie de la restauration et il se voit bien sûr attribuer la section « râmen », ce qui l’emmènera à s’impliquer dans sa passion même au sein de son entreprise.

L’histoire nous raconte ainsi non seulement le développement historique de ce mets au Japon, mais aussi comment les saveurs et textures évoluent au gré des innovations et tendances locales. Elle aborde également le côté sombre de l’industrie, qui prépare en masse ses bouillons instantanés, mais propose également une comparaison avec d’autres sortes de nouilles comme les soba (nouilles de sarrasin). Riche source d’informations, Râmen Hakkenden nous permet de développer une relation intime avec cette cuisine.

La lecture de cette œuvre chamboule notre approche du plat, que l’on soit dans une chaîne ou dans une vénérable échoppe tenue par des locaux, notre expérience s’en trouve influencée.

Ichiran, une chaîne de restaurants très prisée des étrangers en voyage sur l’Archipel, a exporté ses restaurants à l’international. Ce style de comptoir séparé par des panneaux a fait un buzz quand il fut introduit au Japon pour la première fois. (© Kyôdô)
Ichiran, une chaîne de restaurants très prisée des étrangers en voyage sur l’Archipel, a exporté ses restaurants à l’international. Ce style de comptoir séparé par des panneaux a fait un buzz quand il fut introduit au Japon pour la première fois. (Kyôdô)

Un élément clé dans la compréhension du boom du râmen

Dans le manga, Fujimoto fait face à un obstacle de taille, le « boss final », alias Seriazawa Tatsuya. Propiétaire du restaurant Râmen Seiryûbô, il est aussi coordinateur alimentaire. Sa stratégie marketing infaillible est à l’origine du boom du râmen. Homme d’affaires, il reste avant tout un professionnel et garde l’esprit d’artisan, allant même jusqu’à se raser la tête à blanc pour éviter tout cheveux dans la soupe. Son personnage apporte une touche de diversité et de profondeur à l’œuvre.

Faut-il toujours faire ses râmen avec ferveur et passion ? Les fans extrêmes sont-ils toujours les bienvenus ? Pour un amateur, la réponse sera presque toujours « oui ». Pour un professionnel cependant, le point de vue commercial prime.

En effet, Il n’est pas professionnellement intelligent de proposer un plat si délicat que peu de gens arrivent à en comprendre la subtilité... À contrario, offrir à ses clients un plat à la fois simple et savoureux qui met tout le monde d’accord est assurément la clé du succès.

D’ailleurs, pour Serizawa, les fanatiques qui passent plus de temps à vanter leur savoir qu’à déguster leur plat « mangent des faits, non des râmen ».

La popularité de Serizawa est telle qu’il a même des vêtements et marchandises à son effigie. (© Cospa; © KubeRokurô, Kawai Tan, et Shôgakukan)
La popularité de Serizawa est telle qu’il a même des vêtements et marchandises à son effigie. (© Cospa; © KubeRokurô, Kawai Tan, et Shôgakukan)

D’un côté le professionnel endurci, de l’autre l’amateur surdoué, Serizawa s’oppose souvent à Fujimoto, finissant parfois en duel de râmen sur le devant d’une scène incluant les médias.

Serizawa est quelqu’un d’important pour le héros qui malgré son savoir impressionnant, reste un amateur, ses revenus lui venant principalement de son emploi dans la société Daiyû Shôji. Il ne peut nier que les râmen restent un passe-temps pour lui, et il finira par comprendre que Serizawa lui aura toujours servi de guide.

Râmen Hakkenden se déroule au milieu des années 1990, époque où les râmen se développent au Japon comme une cuisine unique et créative. La série s’est ensuite poursuivie en deux autres séries intitulées Râmen saiyûki . Le contenu change au fur et à mesure qu’il suit l’histoire de cette cuisine à l’international, et continue de transmettre la joie liée à ce plat.

Mais au final, qu’est-ce qui définit cette cuisine ?

Pour le personnage de Serizawa tout se résume à la passion de « prendre le faux pour en faire du vrai ».

Les origines de ce plat de nouilles en tant que cuisine créative sont encore fraîches comparées à la cuisine française ou chinoise. De fait, c’était à la base un plat destiné aux classes populaires. Dans le manga Oishinbô, le personne gourmet incarné par Kaibara Yûzan les qualifie de « vulgaires ». C’était peut-être vrai de son point de vue, d’ailleurs l’utilisation du mot « faux » usité par Serizawa est peut-être motivée par la même raison.

Avril 2023, des membres du Parlement créent le Caucus pour la promotion de la culture du râmen, dans l’espoir d’encourager la revitalisation des régions grâce aux plats locaux. (© Jiji)
Avril 2023, des membres du Parlement créent le Caucus pour la promotion de la culture du râmen, dans l’espoir d’encourager la revitalisation des régions grâce aux plats locaux. (Jiji)

Manga et râmen, des similarités ?

Les râmen ont encore beaucoup de choses à révéler. Ils se transforment chaque jour dans une dynamique d’évolution perpétuelle, ce qui n’est pas sans rappeler l’évolution des mangas. Avec une histoire encore récente et destinés originellement aux masses, ils n’avaient cependant aucune aspiration à devenir aussi populaires. Pour les gens tels que Kaibara Yûzan, qui préfèrent les choses plus raffinées, il est certain que ces ouvrages n’ont que peu de valeur (bien que ce dernier soit lui-même un personnage de manga !).

La passion que les fans vouent aux manga en a fait un média comptant des adeptes dans le monde entier. Ils partagent avec les râmen cet esprit d’incorporer et d’affiner les influences étrangères qui s’offrent à eux, comme par exemple des personnages européens tels que Sherlock Holmes ou Arsène Lupin, mais aussi des styles d’expression empruntés aux bandes dessinées américaines.

Il est clair que les créateurs de Râmen Hakkenden travaillaient sur leur œuvre en étant convaincus de ces similarités.

Maintenant, tel que le râmen lui-même, les mangas parlant des râmen sont eux aussi amenés à se diversifier. On trouve de nos jours des œuvres dépeignant la vie de jeunes lycéennes dingues de nouilles, des guides dédiés aux râmen qui sont écrits dans le style manga, des histoires dramatiques à propos des artisans, ou encore des œuvres racontant à quel point les râmen ont impactés la vie d’une personne, etc.

Avec une présence de plus en plus prégnante, les râmen sont en passe de devenir un « plat essentiel » dans l’univers du manga.

(Photo de titre : Râmen Hakkenden a été publié en série dans le magazine Big Comic Superior de Shôgakukan de 1999 à 2009, pour un total de 26 volumes. Une fois finie, l’histoire continue sa route en étant publié en deux séries titrées Râmen Saiyûki. Nippon.com)

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