Exploration de l’histoire japonaise

« Le dernier des shôgun » : une nouvelle ère pour le clan Tokugawa

Histoire

En 1868, la Restauration de Meiji met fin au shogunat, Tokugawa Yoshinobu se retire. Après son abdication, il restera dans les mémoires comme le « dernier des shôgun ». Comment a-t-il vécu et qui est son successeur, Iesato ?

En janvier 2023, Tokugawa Iehiro fait les gros titres quand il est intronisé dix-neuvième chef du clan Tokugawa.

Tokugawa Iehiro est intronisé dix-neuvième chef du clan Tokugawa en janvier 2023, il s’agit de la première nomination depuis près de 60 ans. Commentateur politique et économique, Iehiro dirige la Tokugawa Memorial Foundation. (Jiji)
Tokugawa Iehiro est intronisé dix-neuvième chef du clan Tokugawa en janvier 2023, il s’agit de la première nomination depuis près de 60 ans. Commentateur politique et économique, Iehiro dirige la Tokugawa Memorial Foundation. (Jiji)

Yoshinobu : loin des feux de la rampe

Après l’accession au pouvoir d’Ieyasu, patriarche fondateur du clan, en 1603, les shôgun Tokugawa ont gouverné le Japon durant toute l’époque d’Edo (1603-1868). Mais à l’effondrement du shogunat, il leur a fallu s’adapter à la nouvelle scène politique du Japon de la Restauration de Meiji.

Tokugawa Yoshinobu, quinzième et dernier shôgun, n’avait régné qu’un an quand le 3 janvier 1868, les partisans de l’empereur Meiji publient un édit rétablissant le pouvoir impérial le contraignant à abdiquer. Yoshinobu, qui vivait depuis quatre ans dans le château de Nijô à Kyoto, déménage alors au château d’Osaka. À la faveur de la bataille de Toba-Fushimi inaugurant la guerre civile de Boshin, qui voit s’affronter les défenseurs du shogunat refusant de reconnaître l’édit impérial et les troupes du nouveau gouvernement, Yoshinobu s’enfuit à Edo (l’actuelle Tokyo) et s’enferme au temple Kan’ei-ji.

La grande salle de la résidence Ninomaru-goten du château de Nijô, où Yoshinobu, le dernier shôgun, a abdiqué en novembre 1867. (Jiji)
La grande salle de la résidence Ninomaru-goten du château de Nijô, où Yoshinobu, le dernier shôgun, a abdiqué en novembre 1867. (Jiji)

Yoshinobu revêtu de l’uniforme offert par Napoléon III. (Avec l’autorisation du musée et des archives préfectorales d’Ibaraki ; Jiji)
Yoshinobu revêtu de l’uniforme offert par Napoléon III. (Avec l’autorisation du musée et des archives préfectorales d’Ibaraki ; Jiji)

Considérant que Yoshinobu est un ennemi de la cour, le nouveau gouvernement envoie des troupes à l’est de Kyoto, mais les négociations entre Katsu Kaishû alors à la tête des forces pro-shogunales et Saigô Takamori de l’armée Meiji permettent la reddition du château d’Edo le 3 mai 1868 et évitent un bain de sang. Yoshinobu est épargné, il retourne à Mito, sa ville natale.

Yoshinobu délègue la direction du clan Tokugawa à un enfant de la branche Tayasu. Le jeune garçon reçoit alors le nom de Iesato et prend le contrôle du domaine familial situé dans l’actuelle préfecture de Shizuoka (côte centre est du pays). L’année suivante, Yoshinobu qui a été amnistié par le gouvernement Meiji, s’installe quant à lui dans le temple de Hôdai-in (à Shizuoka, sur les terres du clan).

L’année suivante, l’instauration du système des préfectures rebattant les cartes, les anciens fiefs sont abolis en 1871. Iesato, qui ne peut plus briguer le rang de chef de domaine, s’installe à Tokyo. Yoshinobu reste lui à Shizuoka, où il s’adonne à la fauconnerie, à l’équitation, à la pêche au filet et pratique plusieurs arts comme la poésie waka, le haïku, le go, la calligraphie ou le théâtre nô. Devenu photographe professionnel, il remporte même un deuxième prix à un concours organisé par « À l’ombre des fleurs » (Hana no kage), un magazine photo prisé de l’aristocratie. Le seul enfant né de son union avec Mikako, son épouse officielle, est une fillette qui ne vit que quelques jours. En revanche, ses concubines Okô et Onobu lui donnèrent plus de 20 enfants dont beaucoup moururent en bas âge.

En 1897, Yoshinobu, alors âgé de 60 ans, quitte Shizuoka et emménage à Sugamo, à Tokyo. L’année suivante, il est chaleureusement reçu par l’empereur au palais impérial. Il meurt en 1913 à l’âge de 77 ans, un an après l’empereur Meiji. Bien que son règne ait été le plus court de tous les shôgun Tokugawa, il est celui qui aura vécu le plus longtemps.

La tombe de Tokugawa Yoshinobu et de son épouse Mikako au cimetière de Yanaka, à Tokyo. Conformément à ses volontés, leur tombe est un tumulus de type shintoïste. (Pixta)
La tombe de Tokugawa Yoshinobu et de son épouse Mikako au cimetière de Yanaka, à Tokyo. Conformément à ses volontés, leur tombe est un tumulus de type shintoïste. (Pixta)

Iesato revient au devant de la scène

Né sous le nom de Kamenosuke dans la branche Tayasu du clan Tokugawa en 1863, Tokugawa Iesato n’a que quatre ans lorsqu’il succède à Yoshinobu à la tête du clan en 1868. Après l’abolition du système des fiefs, il s’est d’abord installé à Tokyo avec huit de ses proches, puis à Akasaka en 1872. Tenshôin Atsuhime, la veuve d’Iesada le treizième shôgun, vit avec lui et se consacre à son éducation.

Les ruines du château de Sunpu, où Iesato vécut quand il assumait les fonctions de gouverneur, font aujourd’hui partie du parc du château de Sunpu (à Shizuoka). (Pixta)
Les ruines du château de Sunpu, où Iesato vécut quand il assumait les fonctions de gouverneur, font aujourd’hui partie du parc du château de Sunpu (à Shizuoka). (Pixta)

Iesato n’avait aucune affection pour Yoshinobu, qui, à ses yeux, avait détruit le clan Tokugawa. Il n’aimait pas non plus qu’on dise qu’il lui succédait, ce seizième shôgun aimait à dire qu’il avait fondé un nouveau clan sous l’égide de l’empereur Meiji.

Ces déclarations sont peut-être à imputer à l’influence d’Atsuhime qui, quand les forces impériale encerclaient Edo, a exhorté la cour à assurer la pérennité de la maison Tokugawa, sans plaider en faveur de Yoshinobu et en le rendant responsable de la situation.

Après cinq ans d’études en sciences politiques en Grande-Bretagne (1877-1892), Iesato reçoit à son retour au Japon le titre de prince. Âgé de 40 ans en 1903, il est nommé président de la Chambre des pairs, fonction qu’il occupera pendant près de 30 ans.

Tokugawa Iesato. Photo prise dans l’exercice de son mandat à la présidence de la Chambre des pairs. (Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)
Tokugawa Iesato. Photo prise dans l’exercice de son mandat à la présidence de la Chambre des pairs. (Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète)

Président de la Chambre, Iesato se montre équitable et impartial dans sa gestion des affaires de la Chambre des pairs. Reconnu pour son sens politique, il reçoit même en 1914 l’ordre impérial de former un cabinet en tant que Premier ministre. Mais ne se sentant pas suffisamment qualifié pour la fonction, il décline l’offre.

Iesato faisait preuve d’un grand discernement dans ses prises de décision. Devinant la force de l’attente populaire pour un « cabinet de parti » élu, plutôt que pour un cabinet composé de politiciens non élus, comme c’était souvent le cas à l’époque, il refuse un poste de Premier ministre politiquement risqué. Ôkuma Shigenobu est finalement nommé à la tête du gouvernement, mais il tombe avec son cabinet à la suite d’un scandale de corruption.

En 1921, Iesato est choisi pour représenter le Japon à la conférence de Washington qui se réunit pour statuer sur le désarmement naval et organiser l’ordre mondial né de la Première Guerre mondiale. Il est nommé par Hara Takashi, car le Premier ministre sait combien son puissant réseau et sa sociabilité sont des gages de réussite. Jour après jour, Iesato participe avec enthousiasme aux réceptions ainsi qu’aux séances de travail et gagne le respect des représentants des autres nations.

Iesato s’implique grandement et finance largement les associations caritatives. En 1929, il est nommé président de la Croix-Rouge japonaise. Actif, il voyage à ses frais en Occident, en vue d’organiser la première conférence internationale de la Croix-Rouge en Asie, qui se déroulera finalement à Tokyo en 1934.

En 1938, la date anniversaire des 70 ans de son accession à la tête du clan Tokugawa fait l’objet d’une célébration, mais en mai de la même année, il est victime d’une crise cardiaque au Canada alors qu’il participe à une conférence internationale de la Croix-Rouge en Grande-Bretagne. Iesato retourne au Japon pour convalescence et meurt le 5 juin 1940, à l’âge de 76 ans.

(Photo de titre : la résidence Tojô à Matsudo dans la préfecture de Chiba, a été construite en 1884 par Akitake, le frère cadet de Tokugawa Yoshinobu. Pixta)

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