Les Jeux paralympiques de Paris vus par un photographe japonais
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Des Jeux atteignant un niveau totalement inédit
Lors d’une conférence de presse qui a précédé la cérémonie de clôture des Jeux paralympiques de Paris 2024, le président du Comité paralympique international Andrew Parsons a déclaré ceci : « Tout simplement, Paris 2024 est le nouveau point de référence pour les Jeux paralympiques, à tous égards et pour chaque détail de l’organisation. » Son éloge de l’événement est tout à fait compréhensible.
Je pense que Paris a « loupé » quelque chose, à l’instar de Londres et Tokyo : des explications détaillées sur le classement des catégories d’invalidité. En termes d’appréciation de l’art, c’est comme si l’on contemplait des œuvres d’art sans bénéficier d’étiquettes explicatives.
Les nombreux spectateurs ont apprécié les épreuves, et le sentiment de respect pour les exploits des athlètes était palpable. Paris s’est aussi distingué par l’élimination de la distinction entre athlètes valides et invalides.
Les traces de fauteuils roulants
Le tennis en fauteuil roulant s’est tenu au stade Roland Garros, sur les mêmes courts en terre battue rouge que les célèbres championnats internationaux. J’étais impatient de voir comment je pourrais photographier les traces laissées par les fauteuils roulants des joueurs.
La médaille d’or des simples hommes s’est disputée entre le Japonais Oda Tokito et l’Anglais Alfie Hewett. Pour cette épreuve, j’ai délibérément choisi un siège haut placé, loin de la zone réservée aux photographes au bord du court, de façon à m’assurer une meilleure vue des traces de roues.
Oda a réussi à battre le joueur classé en tête au niveau mondial et à remporter la médaille d’or. À la fin du match, il s’est effondré sur le court en terre battue et a été salué par une salve d’applaudissements. J’étais perdu dans l’instant alors que je ne cessais d’appuyer sur le déclencheur dans l’espoir de prendre la photo idéale.
Mais lorsque j’ai examiné mes photographies après l’événement, j’ai réalisé que mon cadrage reposait sur une méprise.
Mon idée était de me servir des traces sur le court en terre battue pour exprimer abstraitement le chemin emprunté par des para-athlètes pour gagner leurs combats, mais en fait, ce que j’avais capturé, c’est la férocité de la bataille qu’ils avaient livrée ce jour-là.
De tous les gens qui ont assisté à ce match historique, aucun ne l’a vu à travers le prisme des « sports pour handicapés ». J’ai réalisé que l’époque où nos visions des sportifs olympiques et paralympiques ne différaient plus était arrivée.
Sydney : des préoccupations injustifiées
En repensant aux expériences que j’avais connues lors des événements précédents, le chemin qui a mené aux Jeux de Paris a attiré mon attention.
La première fois que j’ai assisté à des Paralympiques remonte à 24 ans, à Sydney, où l’enthousiasme de la foule m’a étonné. La raison de ma surprise était simple : jusque-là, j’avais éprouvé de la pitié envers les personnes souffrant d’un handicap. Je rechignais à braquer mon appareil photo sur elles.
Lors de la cérémonie d’ouverture, j’ai vu un athlète amputé des deux jambes faire le poirier sur une seule main tout en agitant l’autre pour saluer. D’autres sautaient sur des membres prothétiques où couraient malgré leur cécité, tandis que les joueurs de basketball et de rugby se ruaient les uns sur les autres sous les feux d’artifice qui illuminaient le ciel. Je m’étais persuadé que l’humeur ambiante serait à la pitié, mais celle-ci n’était pas de mise.
À Paris, il n’y avait guère de traces des perceptions dépassées jadis associées au handicap. La ville toute entière se réjouissait des Jeux paralympiques.
Les Jeux de Paris ont généré un nouveau degré d’unité entre les deux compétitions. Les para-athlètes ont évolué de concert avec leur équipement, et le niveau de compétition s’est lui aussi intensifié. Les Jeux olympiques et paralympiques avaient en commun un même emblème, qui associait trois symboles : la médaille d’or, la flamme et Marianne, incarnation de la République française. Ils figuraient tous les trois sur les cartes d’identité délivrées notamment aux athlètes, aux membres du personnel et des médias, aux côtés des cinq anneaux du logo olympique et des trois traits en courbe, les agitos (du mot latin signifiant « je bouge ») du logo paralympique. Il en allait de même pour la quasi-totalité des objets officiels, jusqu’aux plus petits éléments d’équipement, si bien que les deux compétitions étaient à l’unisson.
Londres : des jeux qui ne visent qu’au plaisir des spectateurs
Les Jeux de Pékin, en 2008, ont donné l’impression qu’une transformation majeure avait eu lieu, dans la mesure où tous les sièges étaient occupés pour toutes les épreuves. Puis à Londres, en 2012, les médias britanniques ont braqué leurs projecteurs sur l’élite des athlètes paralympiques, dont les épreuves ont été diffusées sur le réseau public. Le sport paralympique était désormais reconnu comme un divertissement sportif à part entière, dans une ville où l’on peut faire remonter son histoire à 1948, année des Jeux de Stoke Mandeville. Il y a même eu de la bousculade pour l’achat des billets.
À Rio, l’enthousiasme de la foule a été tout aussi impressionnant en 2016. Les Jeux ont été couverts au jour le jour au Japon, en anticipation des Jeux de Tokyo 2020.
Les Jeux paralympiques sont devenus un événement sportif international majeur. Des hordes de spectateurs ont envahi Paris, où 2,5 millions de tickets ont été vendus. Un nouveau record a été établi dans la capitale en ce qui concerne le total des tickets vendus pour les deux compétitions. Lors des pauses entre les épreuves, la foule chantait en chœur Les Champs-Élysées. L’excitation qui régnait dans les stades montrait clairement que les gens ne faisaient plus de distinction entre les Jeux olympiques et paralympiques.
Les gens se sont tout autant réjouis du spectacle des Paralympiques, sans aucune réticence à propos des handicaps des athlètes. Les choses ne redeviendront jamais comme avant : si l’on doit s’attendre à quelque chose, c’est à une accélération de la transformation.
Les athlètes sont de plus en plus forts, et cela vaut pour les Jeux de Tokyo
Les Jeux de Tokyo 2020 ont été repoussés à 2021, en raison de la pandémie de Covid-19, et ils se sont tenus en l’absence de spectateurs. Si tel n’avait pas été le cas, les Jeux auraient sans doute partagé l’attrait pour les para-sports avec un plus vaste public.
Le Japon a vu ses para-athlètes se renforcer. En 2019, le Centre d’entraînement couvert de l’Est, utilisé par les para-athlètes, a été fondé dans l’arrondissement tokyoïte de Kita. Il constitue une base propice à la découverte de nouveaux athlètes et à la formation des entraîneurs.
Les athlètes sont plus nombreux à bénéficier d’un parrainage national et entrepreneurial, et certains d’entre eux accèdent au statut professionnel ou semi-professionnel. L’équipe paralympique japonaise a remporté 13 médailles d’or à Tokyo et 14 à Paris.
Veiller à ce que le mouvement s’enracine
Il reste toutefois bien des questions en suspens.
Les para-athlètes ont souvent besoin d’équipements coûteux, tels que fauteuils roulants et membres prothétiques. Les Jeux de Paris ont vu s’affronter 168 équipes, dont celle des réfugiés, mais les athlètes en provenance de pays en développement étaient à l’évidence moins nombreux.
La ville de Paris elle-même manquait d’infrastructures accessibles, notamment en ce qui concerne les trottoirs et le métro, et il était donc difficile de se déplacer en fauteuil roulant.
L’élite des athlètes japonais a bénéficié d’un fort soutien, mais l’attention qui leur est accordée reste déficiente dans les zones rurales et les écoles. Il y a des gymnases qui interdisent l’usage de leurs installations par les athlètes en fauteuil roulant.
Nous devons créer un environnement où la pratique du sport soit accessible à tout le monde. Qui plus est, le sport peut offrir un moyen de renforcer l’intégration sociale des personnes souffrant d’un handicap. Les Jeux paralympiques ont été conçus à cette fin dès leur origine. Nous avons devant nous bien d’autres tâches que l’obtention d’un plus grand nombre de médailles. Des athlètes médaillés ont eux-mêmes formulé cette préoccupation lors de conférences de presse.
Aux Jeux de Paris, il y avait deux mascottes Phryges. La Phryge paralympique avait une jambe droite artificielle. Les deux Phryges avaient pour devise : « Seules, nous allons plus vite, mais ensemble, nous allons plus loin. »
Voilà qui exprime très bien les possibilités et les défis qui nous attendent. En ce qui me concerne, j’ai le sentiment que ma couverture des Jeux paralympiques est elle aussi en train d’entrer dans une nouvelle phase.
(Propos recueillis par Nishioka Yukifumi. Photo de titre : Oda Tokito, vainqueur des simples de tennis en fauteuil roulant au stade Rolland Garros de Paris. Toutes les photos : © Ochi Takao)
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