
La politique diplomatique du nouveau Premier ministre Ishiba Shigeru
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L’environnement sécuritaire en Asie de l’Est se détériore, et l’opposition entre les États-Unis et la Chine se poursuit. C’est dans ce contexte qu’Ishiba Shigeru, tout juste élu Premier ministre, a fait savoir qu’il continuera pour l’essentiel la politique étrangère de son prédécesseur, en accordant la priorité à Washington et à Séoul. Il ajoutera cependant sa propre approche pour ce qui est de la stratégie Indo-Pacifique, avec entre autres la création d’une version asiatique de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), ou encore la révision de l’Accord de statut des forces [abrégé ci-après en SOFA, de l’anglais Statute of Forces Agreement] Japon-États-Unis.
Ishiba est un politicien très axé sur les principes de base. Il inclut dans son processus de réflexion, quel que soit le sujet, une théorie sur les origines ou la manière dont les choses devraient être. L’équilibre stratégique des relations avec les États-Unis d’une part, et avec la Chine de l’autre, sera questionné dans l’espace étroit entre cette pensée doctrinaire qui fait tout revenir aux bases essentielles et les situations qui émergeront en tant que réalités à traiter.
Son ambition : une version asiatique de l’OTAN
Relativement à la politique étrangère et de sécurité, deux points sont à souligner. Le premier est l’idée d’une version asiatique de l’OTAN qu’Ishiba n’a cessé d’appeler de ses vœux.
Le nouveau dirigeant insiste depuis longtemps sur l’importance de dépasser l’époque du modèle de sécurité hub and spoke (réseau avec trafic en étoile), dans lequel les États-Unis ont des liens individuels sous la forme d’alliances avec d’autres pays (Japon, Corée du Sud, Australie, Philippines). Pour lui, il faudrait établir une garantie de sécurité de type network (réseau), en renforçant la solidarité organique entre pays partageant les mêmes idées ou ayant une alliance avec les États-Unis. Cet ambitieux projet s’appuierait sur les divers cadres « minilatéraux » qui ont récemment vu le jour dans la région, tels que le Quad, le dialogue quadrilatéral pour la sécurité (États-Unis, Japon, Australie et Inde), ou le système de défense Japon-États-Unis-Corée du Sud, ou encore l’ANZUS (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande).
Mais il est toujours plus facile de parler que d’agir. Si entente de sécurité collective il y a, elle devra se baser sur un élément central : si l’un des pays de cette alliance est attaqué, les autres membres ont automatiquement l’obligation de combattre son agresseur.
Étant donné que dans le cas du Japon, cela dépasserait le droit à l’autodéfense, apparaît naturellement un point litigieux : dans le cadre de la loi en vigueur, l’envoi à l’étranger de troupes des Forces japonaises d’autodéfense (FAD) n’est pas possible. Pressé de questions à ce sujet lors d’une interview le jour de son élection au poste de président du PLD (27 septembre), Ishiba Shigeru a déclaré : « Il faut aller jusqu’au bout et définir si assumer l’obligation d’entraide dans le cadre de ce système, et non pas l’envoi de troupes, constitue une contribution à la garantie de sécurité, et si c’est ou non conforme à la loi. » Il a ainsi évité de s’exprimer clairement, mais a aussi souligné dans cette interview que si l’OTAN n’avait pu secourir l’Ukraine, c’est parce que l’Ukraine n’en était pas membre.
Derrière ces mots se trouve une idée forte : nous devons protéger notre pays nous-mêmes ; mais si notre pays ne peut assurer seul sa défense, nous devons faire des alliances pour nous préparer à sa protection ; et il vaut mieux le faire au sein d’un groupe qu’à deux pays. Dans le même temps, le refrain courant à Tokyo selon lequel « l’Ukraine d’aujourd’hui est l’Asie de demain » sonne faux pour Ishiba. Il a souvent exprimé sa frustration face à ce qu’il considère comme un manque d’empressement de la part de la classe politique et des décideurs stratégiques à s’attaquer réellement aux problèmes de sécurité du Japon.
Réviser les SOFA et le risque vis-à-vis des USA
Une autre question mise en lumière par l’élection d’Ishiba est celle de la révision de l’Accord de statut des forces (SOFA) Japon-États-Unis. Le 17 septembre, dans un discours qu’il a donné à Naha, dans la préfecture d’Okinawa, il a abordé l’accident d’hélicoptère survenu en 2004, alors qu’il était à la tête de l’Agence de défense. L’appareil était tombé sur un terrain du campus de l’Université internationale d’Okinawa. Il a d’abord rappelé que l’armée américaine s’était occupée de tout, et que c’était elle qui avait récupéré l’épave, avant de poser cette question : « Est-ce ainsi qu’agit un pays souverain ? » Il y a répondu en disant qu’il s’engageait à lancer la révision du SOFA avec les États-Unis. Lors de sa première conférence de presse comme président du PLD, il a aussi déclaré avec force : « Dans la mesure où les collectivités locales d’Okinawa la souhaitent, nous ne pouvons ignorer leur désir. »
« Établir une base d’entraînement des Forces d’autodéfense sur le sol américain serait très efficace. » Il n’est pas question pas d’un déploiement avancé, mais du renforcement de l’alliance nippo-américaine, car si les FAD terrestres et aériennes s’entraînaient sur une grande base aux États-Unis, elles seraient mieux formées. Au final, « cela ferait naître la nécessité de conclure un SOFA pour les Forces d’autodéfense japonaises aux États-Unis », ce qui rétablirait l’égalité avec les forces américaines au Japon, explique Ishiba dans un article du numéro d’octobre du mensuel Bungei Shunjû.
Selon la thèse propre à Ishiba, un SOFA Japon-États-Unis ferait un tout avec le traité de sécurité Japon-États-Unis. Et si l’on va jusqu’au bout du raisonnement, le problème des SOFA soulèverait inévitablement des questions relatives à l’autodéfense collective et, en fin de compte, à la constitutionnalité. Précisément parce que nous ne pouvons pas utiliser entièrement notre droit à l’autodéfense collective, le système de défense Japon-États-Unis est un système asymétrique. Si l’on veut diminuer l’échelle de la présence militaire américaine au Japon, il faut autoriser le plein usage du droit à l’autodéfense collective, et souligner la symétrie du traité.
Pour vraiment se lancer dans la révision du SOFA, il faudra beaucoup de temps et une gigantesque énergie politique. Ishiba tombe aisément dans l’approche de principe selon laquelle « la sécurité Japon-États-Unis doit être sur un pied d’égalité, comme il convient à un pays véritablement indépendant », mais aller trop vite risquerait d’éveiller la suspicion accrue des États-Unis.
Ishiba Shigeru recevant des honoraires lorsqu’il quitte son poste de ministre de la Défense en août 2008. (Kyôdô)
Une amélioration des relations avec la Chine : est-ce possible ?
La politique vis-à-vis de la Chine, une question urgente pour le nouveau Premier ministre, n’est pas non plus sans danger.
Il y a eu un accord sur l’un des sujets de préoccupation, à savoir la levée progressive de l’interdiction des importations de produits marins japonais mise en place par la Chine en lien avec les rejets en mer par le Japon de l’eau traitée de la centrale de Fukushima, mais le meurtre à coups de couteau, d’un enfant japonais sans défense, dans la ville de Shenzhen, a créé une ambiance néfaste entre les populations des deux pays.
Ce crime a eu lieu le 18 septembre, date anniversaire de l’incident de Moukden en 1931, un attentat commis par l’armée japonaise, qui a été le point de départ de l’occupation par le Japon de la Mandchourie. La partie chinoise, qui a informé le Japon qu’elle enquêtait sur ce meurtre commis en cette date fatidique, donne le sentiment de vouloir écarter l’idée que la date aurait quelque chose à voir avec le crime, car elle a aussi déclaré qu’il s’agissait d’un hasard.
Nous pouvions noter que les relations bilatérales s’amélioraient depuis le sommet de novembre 2023 entre Kishida Fumio, alors Premier ministre, et le président chinois Xi Jinping, mais ce meurtre ne peut qu’avoir un impact négatif. Le 15 septembre, Ishiba avait déclaré au micro de la NHK que l’accord sur la question de l’interdiction des produits marins japonais n’avait rien à voir avec les autres problèmes, et que la levée de l’interdiction ne saurait les faire disparaître. Il a ainsi montré à nouveau qu’il est prêt à dire ce qui doit l’être, certes, mais depuis qu’il s’est rendu en août dernier à Taiwan où il a rencontré le président Lai Ching-te, la partie chinoise se méfie beaucoup de lui...
Pendant son voyage à Taïwan, la fièvre a gagné le quartier de Nagata-chô [le centre de la politique japonaise], lorsque Kishida a annoncé le 14 août qu’il ne serait pas candidat à sa réélection à la tête du PLD. Cela a marqué de fait le début de l’ère post-Kishida. Profitant de ce vide politique, l’armée chinoise a été encore plus loin dans ses provocations.
En effet, le 26 août, la veille de la visite en Chine de Nikai Toshihiro, président du groupe parlementaire d’amitié Japon-Chine, un avion espion de type Y9 a traversé l’espace aérien japonais au large des des îles Danjo dans la préfecture de Nagasaki. C’était la première fois qu’un avion chinois violait l’espace aérien japonais. Puis le 18 septembre, date anniversaire de l’incident de Moukden, vu en Chine comme « l’anniversaire de la honte », le porte-avions chinois Liaoning a fait une incursion dans la zone contiguë aux eaux territoriales japonaises entre deux îles de la préfecture d’Okinawa, Yonaguni et Iriomote. Le même jour, la Corée du Nord a annoncé qu’elle avait lancé plusieurs missiles balistiques de courte portée, ce qui a été confirmé par des observations. Enfin, des bâtiments russes et chinois ont participé à des manœuvres navales conjointes à proximité du Japon, et le 23 septembre, un avion militaire russe a pénétré à trois reprises dans l’espace aérien japonais au large de Rebun, dans la préfecture de Hokkaidô.
Aucun doute n’est possible : l’environnement sécuritaire en Asie de l’Est est de plus en plus difficile. C’est dans ce contexte que le ministère des Affaires étrangères a entamé les préparatifs du planning de Kishida pendant le congrès de l’ASEAN, les 9 et 11 octobre, au Laos. Nommé dirigeant le 1er octobre, c’est finalement Ishiba qui s’y est rendu afin de s’entretenir avec le premier ministre chinois Li Qiang.
Ishiba a aussi l’intention de participer au sommet de Lima de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) à la mi-novembre, ainsi qu’au sommet de Rio de Janeiro du G20. La toute première rencontre avec Xi Jinping est très attendue. Du côté chinois, un tel événement viserait, dans le contexte actuel du marasme de l’économie chinoise plombée par la crise immobilière, à éliminer la défiance japonaise vis-à-vis de la Chine et à réactiver la puissance économique japonaise. Il sera intéressant de voir comment Ishiba, qui connaît bien la partie chinoise, traitera avec elle.
L’arrivée d’Ishiba Shigeru au poste de Premier ministre n’a pas vu de rupture avec la politique étrangère de son prédécesseur, en tout cas pour ce qui est des relations avec les États-Unis et la Corée du Sud, qui suivent un cours stable. Mais s’il pousse trop pour mettre en pratique sa vision fondamentaliste qui compte tant à ses yeux, cela risque de conduire à des escarmouches à propos des mesures à prendre avec les ministères des Affaires étrangère et de la Défense.
(Photo de titre : Ishiba Shigeru serre la main du président taïwanais Lai Ching Te au siège de la présidence à Taipeh le 13 août dernier. C’est pendant cette visite que Kishida Fumio, alors Premier ministre, a annoncé qu’il ne serait pas candidat à un nouveau mandat. Jiji)
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